Haïti : réparer la peau, un retour à la vie pour les personnes brûlées
À l’hôpital MSF de Tabarre, les personnes ayant survécu à l’explosion d’un camion-citerne reçoivent des soins et un suivi pour leur rétablissement.
« J’ai cru que j’allais mourir dans les flammes », confie Jordan. Le 14 septembre 2024, il a été brûlé à 60 % lors de l’explosion d’un camion-citerne à Miragoâne, dans le sud-ouest d’Haïti. L’hôpital Tabarre de Médecins Sans Frontières (MSF) est la seule structure du pays spécialisée dans la prise en charge des personnes gravement brûlées. Là, deux autres survivants poursuivent, comme Jordan, un parcours de soins entamé il y a huit mois.
L’incident a fait plus de 15 morts et blessé une quarantaine de personnes. Jordan, Emmanuel et Stanley, trois chauffeurs de moto-taxi, figurent parmi les personnes qui ont survécu. « Ce jour-là, un autre chauffeur est venu me dire qu’un camion-citerne fuyait. J’ai pris ma moto et j’ai foncé, comme beaucoup d’autres. On voulait simplement récupérer un peu d’essence », raconte Stanley, 33 ans.
Jordan, Emmanuel et Stanley se trouvaient à peine à deux ou trois mètres du camion lorsque l’explosion les a violemment projetés en arrière. « Je me suis roulé sur le sol pour éteindre les flammes. Ça a semblé durer une éternité, la douleur était insupportable. J’ai vu d’autres hommes courir en hurlant, le corps noircit. J’ai compris tout de suite que j’étais gravement brûlé », raconte Emmanuel.
« Avec ce carburant, j’aurais pu faire plus de trajets, travailler davantage, gagner un peu plus pour nourrir ma famille », explique Jordan.

Un parcours de soins semé d’embûches
En Haïti, les brûlures graves sont courantes. Elles sont notamment causées par des accidents domestiques et des incendies déclenchés lors des violents combats entre groupes armés, autorités nationales et groupes d’autodéfense civile. Des combats de plus en plus fréquents, à Port-au-Prince.
Les structures aptes à traiter les personnes brûlées sont quasi inexistantes dans le pays. L’insécurité croissante dans la capitale haïtienne entraîne également le blocage des routes qui perturbe l’approvisionnement en médicaments, en matériel médical et en carburant. L’exode du personnel de santé qualifié vers l’étranger a aussi entraîné une pénurie de personnel médical.
« Quand je suis arrivé, je ne pouvais même pas bouger un bras », raconte Emmanuel. « Aujourd’hui, je marche à nouveau. J’ai reçu des soins, des médicaments, des greffes, des pansements tous les trois jours, des antibiotiques, des exercices de kinésiologie, un accompagnement psychologique… Tout ça est hors de portée pour quelqu’un comme moi. »
Emmanuel Délicieux
Dans ce contexte, les gens doivent parfois parcourir de longues distances pour espérer recevoir des soins. « Mon voisin nous a emmenés à l’hôpital Sainte Thérèse », raconte Emmanuel. « Mais ils ne pouvaient rien faire. Ensuite, en direction de l’hôpital Beraccat, où on m’a donné du sérum, fait quelques pansements, mais c’était insuffisant. Puis l’hôpital Saint Boniface, puis un autre, tout ça en une seule journée. Finalement, j’ai été héliporté jusqu’à l’hôpital MSF de Tabarre. »


Une prise en charge unique dans le pays
MSF a d’abord ouvert un service pour les personnes gravement brûlées à l’hôpital Drouillard, avant de transférer, en 2021, l’unité à l’hôpital de traumatologie de Tabarre, pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui, l’établissement dispose de 30 lits dédiés aux individus brûlés. MSF y offre une prise en charge complète : chirurgie reconstructive, greffes de peau, soins postopératoires, kinésithérapie, fabrication de masques de compression 3D et soutien psychologique. En 2024, plus de 400 personnes y ont été soignées.
« Quand je suis arrivé, je ne pouvais même pas bouger un bras », raconte Emmanuel. « Aujourd’hui, je marche à nouveau. J’ai reçu des soins, des médicaments, des greffes, des pansements tous les trois jours, des antibiotiques, des exercices de kinésiologie, un accompagnement psychologique… Tout ça est hors de portée pour quelqu’un comme moi. »

Des personnes gravement brûlées isolées face à l’insécurité
La durée des soins pour les personnes gravement brûlées est particulièrement longue, et cela représente un autre défi pour ces gens. En raison de l’insécurité, plusieurs se retrouvent isolés à l’hôpital, privés de la présence de leurs proches. Le blocage des routes par les groupes armés limite par ailleurs l’accès à la capitale, où se déroulent de violents affrontements.
Après des mois d’hospitalisation, Stanley a effectué en mars dernier un aller-retour jusqu’à Miragoâne, avec son masque de compression 3D, pour revoir sa famille. « Cela faisait plus de cinq mois que je ne les avais pas vus à cause de l’insécurité. Le trajet est trop risqué, trop cher. Ma mère est venue une fois malgré tout. Quand elle m’a vu, elle a été choquée. Mais en mars, quand elle a vu mon visage reprendre de la couleur avec le masque, elle a retrouvé espoir. Moi aussi. »