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Allocution d’ouverture – Dr Jason Nickerson, conseiller aux affaires humanitaires

Comité permanent de la santé

26 février 2021

 

Bonjour et merci au Comité de m’avoir de nouveau invité ici aujourd’hui.

 

 

On a dit à maintes reprises que cette pandémie mondiale exigeait une solidarité mondiale et des actions mondiales. En plus de protéger les Canadiens, il est essentiel que notre gouvernement s’unisse derrière une réponse véritablement mondiale. Les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont été témoins des ravages causés par la deuxième vague de la pandémie de COVID-19 dans de nombreux endroits où nous travaillons. Dans des pays comme le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe, les systèmes de santé ont eu du mal à faire face à l’afflux soudain de patients. Plusieurs pays d’Afrique ont enregistré plus de cas de COVID-19 au mois de janvier 2021 que dans toute l’année 2020. Et dans de nombreux pays, les impacts indirects de la pandémie – en particulier la perturbation des services de santé essentiels – ont été encore plus meurtriers que la COVID-19 elle-même.

Mon message clé aujourd’hui est que notre priorité mondiale immédiate doit être de veiller à ce que les travailleurs de la santé et les personnes les plus vulnérables dans les pays à revenu faible et intermédiaire aient un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19 les plus efficaces et les plus adaptés au contexte, et ce de toute urgence. Faute d’étendre l’accès aux vaccins globalement, le monde risque de générer de nouvelles pandémies de variants de la COVID-19 qui sont résistants aux vaccins. Si nous échouons à distribuer équitablement ces vaccins, nous échouons face à la santé publique mondiale. C’est aussi simple que cela. Ce serait moralement catastrophique et représenterait un risque important pour la santé publique de tous, y compris des Canadiens.

Des milliards de personnes dans le monde dépendent presque exclusivement du mécanisme COVAX comme source de vaccins — pourtant, ce n’est que mercredi de cette semaine que les premières doses issues du COVAX sont arrivées dans le premier pays bénéficiaire. C’est parce que le COVAX a lui-même du mal à accéder aux doses en temps opportun, en grande partie parce que l’approvisionnement existant a été jusqu’à présent monopolisé par les pays à revenu élevé.

Faut-il le rappeler, le mécanisme COVAX existe uniquement parce que le système mondial actuel qui assure le développement, la fabrication et la distribution de nouveaux médicaments et vaccins est déficient. Il est organisé pour maximiser les profits. De par sa structure, l’industrie pharmaceutique ne peut réagir rapidement face aux agents pathogènes émergents ayant un potentiel pandémique, ni intensifier la fabrication de nouvelles technologies de la santé pour répondre à la demande mondiale, et comme nous le voyons aujourd’hui et depuis des décennies, ni garantir un accès équitable aux nouveaux médicaments et vaccins, en particulier pour les habitants des pays économiquement pauvres.

Il faut changer la façon dont les médicaments et les vaccins sont mis au point; il faut donner la priorité aux outils nécessaires pour répondre aux menaces à la santé publique et rendre ceux-ci facilement disponibles et accessibles. Il existe de vastes domaines de la médecine qui n’arrivent tout simplement pas à répondre aux besoins du marché. Ce sont des échecs. La COVID-19 entre clairement dans cette catégorie; il y a un an et demi, il n’y avait aucun intérêt commercial pour les vaccins contre les coronavirus. Ebola et les infections résistantes aux médicaments sont également de bons exemples. Alors que le Canada s’apprête à se pencher sur la bioproduction de médicaments et de vaccins, il est essentiel que la conversation ne tourne pas seulement autour de la façon d’inciter les entreprises privées à construire des usines ici. Il doit s’agir d’une conversation visant à transformer notre rôle dans la façon dont les médicaments et les vaccins sont découverts, développés, fabriqués et distribués.

En fait, le présent comité a déjà examiné la question en 2018 dans le cadre de son étude sur la recherche en santé financée par le gouvernement fédéral. Aucune des recommandations formulées par le comité dans ce rapport n’a été mise en place; celles-ci auraient pu contribuer à éviter certaines parties de cette crise en exigeant des prix équitables, une plus grande transparence et un plus grand partage des technologies, ainsi qu’un accès mondial aux médicaments et vaccins développés avec des fonds publics canadiens. Il serait logique de penser que lorsque le gouvernement fédéral investit dans la mise au point de vaccins ou de médicaments, il s’assure que le produit final est disponible à un prix équitable partout dans le monde, y compris au Canada. Mais tel n’est pas le cas.

Nous savons que cet enjeu préoccupe les Canadiens, car plus de 90 000 personnes ont signé la pétition de MSF demandant au gouvernement fédéral d’assortir ce financement de conditions afin de garantir que les médicaments et vaccins payés par les contribuables soient abordables et accessibles aux personnes qui en ont besoin.

Aujourd’hui, nous avons trois recommandations à présenter à ce comité :

1. Le Canada doit établir un échéancier pour rendre un pourcentage de ses doses de vaccins contre la COVID-19 disponibles pour une utilisation dans les pays à revenu faible et intermédiaire afin d’y vacciner les travailleurs de la santé et d’autres personnes à haut risque. Le Canada a rendu publiques les dates auxquelles il prévoit avoir un excédent de doses, il devrait donc être en mesure de publier un échéancier pour le partage des vaccins. Ce comité devrait l’exiger.

2. Faire pression pour la mise en œuvre des recommandations de l’étude de 2018 sur la recherche en santé financée par le gouvernement fédéral et la science ouverte, qui recommandait au Canada d’assortir le financement accordé pour développer de nouveaux médicaments et vaccins de conditions pour qu’ils soient disponibles pour les populations du monde entier à des prix abordables et équitables.

3. Demander à ce que le directeur parlementaire du budget examine tous les médicaments et vaccins qui ont été découverts et mis au point avec un financement public canadien pour comprendre si, sous un autre modèle de production, nous pourrions avoir des options plus abordables et plus accessibles pour des outils comme le vaccin contre le virus Ebola rVSV-ZEBOV – d’abord mis au point avec un financement public canadien – qui coûte aujourd’hui 98,60 $ par dose, sans aucun doute le vaccin le plus cher utilisé en santé mondiale.

Comme toujours, je serai heureux de discuter de tout cela plus en détail avec vous. Merci encore de m’avoir accueilli ici encore une fois.