Mohammad Al Hawajri, infirmier chez MSF, et son fils Omar sont assis dans la cour de récréation de l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, où Omar est soigné pour une blessure subie lors d’une frappe aérienne israélienne à Gaza. Jordanie, 2025. © Mohammad Shatnawi/MSF
PARTAGEZ

Palestine : obtenir des soins malgré le génocide. Le périple d’un père et de son fils depuis Gaza

Mohammad Al Hawajri, infirmier chez MSF, raconte comment sa famille a trouvé la sécurité et des soins spécialisés pour leur fils de cinq ans en Jordanie.

Au cours des deux dernières années, la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza a causé des pertes et des ravages inimaginables. Les personnes vivant à Gaza, y compris nos collègues, ont été tuées, blessées, affamées, assiégées et déplacées. 

Mohammad Al Hawajri travaillait avec Médecins Sans Frontières (MSF) à Gaza comme infirmier en salle d’opération. Il raconte comment lui et sa famille ont tenté, en vain, de trouver un refuge sûr. Son fils Omar, âgé de cinq ans, a été blessé au cours d’une frappe aérienne israélienne. Toute la famille a finalement réussi à s’échapper vers la Jordanie. Omar est actuellement soigné à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman. Voici son témoignage.


Quelques jours après le début de la guerre à Gaza, Israël a ordonné à près de la moitié de la population de fuir vers le sud. Nous sommes restés dans le nord et nous sommes rendus au bureau de MSF le plus proche. De nombreux membres du personnel et leurs familles s’y étaient rassemblés. Nous nous sentions plus en sécurité là-bas que chez nous, même si chaque bruit à l’extérieur nous rappelait qu’aucun endroit n’était vraiment sûr. 

Au fil des semaines, les forces israéliennes ont pris d’assaut l’hôpital Al-Shifa. La peur s’est alors propagée dans toute la ville de Gaza. À ce moment-là, les magasins et les boulangeries étaient fermés depuis longtemps, et la famine commençait à sévir dans le nord du territoire. La ville était en train d’être détruite et les gens qui y étaient restés mouraient de faim. Nous avons décidé de fuir, dans l’espoir que le sud nous offrirait une petite chance de survie. 

Mes enfants se souviennent de ce jour comme si c’était hier. Les coups de feu provenaient de tant de directions différentes qu’il était impossible de dire d’où ils venaient. Une balle est passée juste au-dessus de leurs têtes avant d’abattre Alaa, notre collègue et ami qu’ils aimaient profondément.

Une tentative tragique pour se mettre en sécurité

MSF a tenté d’organiser un passage sûr pour les membres de son personnel pendant les brefs moments où les forces israéliennes le permettaient. Nous sommes partis dans un convoi de voitures transportant à la fois le personnel de MSF et leurs familles. Mais des milliers de personnes désespérées tentaient de fuir et le chaos régnait dans le corridor de Netzarim. La fenêtre s’est donc refermée avant que nous puissions traverser vers le sud et nous avons été obligés de retourner dans la ville de Gaza. Alors que notre convoi, clairement identifié par les logos de MSF, faisait demi-tour vers la clinique, des coups de feu ont soudainement éclaté. Les balles sifflaient dans les airs et les vitres explosaient, tandis que des éclats d’obus déchiraient nos véhicules.

Un véhicule de MSF détruit par les forces israéliennes devant notre clinique dans la ville de Gaza. Palestine, 2023. © MSF

Dans le chaos des coups de feu, Alaa Al-Shawa, qui était infirmier urgentiste bénévole pour MSF, a été touché à la tête alors qu’il tenait mes enfants dans ses bras. Il est mort sur le coup. 

Mes enfants se souviennent de ce jour comme si c’était hier. Les coups de feu venaient de tellement de directions différentes qu’il était impossible de savoir d’où ils provenaient. Une balle est passée juste au-dessus de leurs têtes avant d’abattre Alaa, notre collègue et ami qu’ils aimaient profondément. Nous étions suffisamment près de la clinique pour nous y précipiter. Malgré ça, nous avons vu Alaa se vider de son sang, alors que toutes les tentatives pour le sauver étaient vouées à l’échec. 

Les enfants hurlaient, leurs cris emplissant l’air pendant qu’Alaa était enterré. Nous sommes restés là, incrédules, incapables de comprendre ce qui venait de se passer.

Mohammed Al Hawajri, infirmier chez MSF, panse la plaie d’un homme gravement brûlé lors d’un raid aérien, à la clinique de MSF spécialisée dans le traitement des brûlés à Gaza. Palestine, 2023. © MSF

Pendant les jours suivants, nous sommes restés coincés dans la clinique, dormant là où le corps d’Alaa reposait. Nous n’avions nulle part où aller. Mon fils aîné était particulièrement bouleversé. Chaque nuit, il se réveillait en pleurant, hanté par la mort d’Alaa et par ce qu’il avait vu. 

Lorsque nous avons finalement réussi à traverser vers le sud à la fin novembre 2023, la route était jonchée de cadavres. C’était un spectacle que personne ne pourra jamais effacer de sa mémoire. 

Nous avons atteint Khan Younès et trouvé refuge dans les locaux de MSF. Mais même là, la guerre nous a rattrapés. Une frappe à proximité a brisé les fenêtres, secouant le bâtiment jusque dans ses fondations. Plus tard, un obus tiré par un char a directement touché l’installation, alors qu’elle était clairement identifiée par le drapeau et le logo de MSF. Lors de cette attaque, la fille d’un de nos collègues de MSF a été tuée.

Chercher des soins pour un enfant blessé

Après les bombardements, nous avons fui à nouveau, cette fois vers Rafah, la zone dite « sûre ». Mais même là-bas, les frappes aériennes n’ont jamais cessé. Si les bombes ne tombaient pas directement sur les maisons, leurs éclats déchiraient quand même les murs et les abris. 

S’ensuivirent des mois de déplacement, marqués par des pertes insupportables et des conditions de vie inhumaines. Le temps s’est estompé alors que nous passions d’un endroit à l’autre, survivant au jour le jour. Alors que nous pensions avoir enduré le pire, le génocide a amené une nouvelle forme de terreur à notre porte. Le 27 juin 2025, une frappe aérienne a atteint la rue à côté de notre maison. Notre plus jeune fils, Omar, se tenait près de la porte lorsqu’un éclat d’obus lui a déchiré la jambe. Il n’avait que cinq ans et était déjà affaibli par des mois de peur et de faim. 

À Gaza, il a subi plusieurs opérations chirurgicales dans des conditions insupportables. Au même moment, la famine sévissait et le prix des denrées alimentaires et des médicaments grimpait en flèche. Se nourrir et se soigner devenaient inabordable et inaccessible sous le siège israélien. 

Omar est en classe à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman. Jordanie, 2025. © Mohammad Shatnawi

Six semaines plus tard, nos collègues ont réussi à nous transférer à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF en Jordanie. À ce moment-là, Omar était dénutri et ses frères et sœurs présentaient un poids dangereusement insuffisant. 

Ici, à Amman, il a subi d’autres interventions chirurgicales et a reçu des soins de santé mentale. Il peut désormais se tenir debout, jouer et redevenir un enfant. Le voir faire ses premiers pas vers la guérison nous rappelle que même après tout ce qu’on a traversé, la vie peut recommencer. 

Mais peu importe les soins qu’il recevra, une partie de son enfance portera toujours les cicatrices de ce qui s’est passé : un génocide contre nous, nos enfants et la terre que nous aimons si profondément. Qu’on ait laissé cela se produire nous dépasse encore aujourd’hui. 

À propos du programme de chirurgie reconstructive de MSF en Jordanie

Le programme de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie, a été initialement mis en place en 2006 pour soigner les personnes blessées lors de la guerre en Irak. Avec l’augmentation des blessures liées aux conflits dans tout le Moyen-Orient, l’hôpital d’Amman a élargi ses activités pour accueillir des gens de Syrie, du Yémen, de Jordanie et de Palestine. Récemment, il a commencé à accueillir des personnes de Somalie et du Soudan, leur offrant une expertise médicale inexistante dans leur pays d’origine. 
 
L’hôpital d’Amman est devenu un centre régional pour le traitement des blessures complexes et des brûlures. Dans une approche holistique, il offre entre autres des soins chirurgicaux, de la physiothérapie, de l’ergothérapie, un soutien en santé mentale et des soins psychosociaux. La plupart des personnes qui y sont admises y restent plusieurs mois pour soigner leurs blessures physiques et psychologiques. 

Depuis octobre 2023, le programme a accueilli 45 enfants de Gaza et les personnes qui les accompagnent. Nos équipes leur prodiguent des soins spécialisés et de rééducation qui sont indisponibles dans la bande de Gaza.