Afghanistan : 10 ans après l’attaque contre le centre de traumatologie de MSF à Kunduz
Durant la période entre sa réouverture en 2021 et août 2025, le service des urgences du centre de traumatologie a traité plus de 95 000 personnes.
« Mon fils était gravement blessé », raconte Fatima, la mère d’un jeune patient admis au centre de traumatologie de Médecins Sans Frontières (MSF) à Kunduz, en Afghanistan, en juillet 2025. « Je n’avais aucun espoir qu’il se rétablisse, car même son foie était déchiqueté. L’hôpital a fait tout son possible pour l’aider à guérir, en prenant soin de lui jour et nuit. Je suis reconnaissante que nous ayons cet hôpital. »
Près de dix ans auparavant, dans la nuit du 3 octobre 2015, pendant plus d’une heure, le centre de traumatologie de Kunduz a été la cible de frappes aériennes américaines intenses et prolongées. Le bâtiment principal de l’hôpital a été touché à plusieurs reprises avec précision. Il abritait l’unité de soins intensifs, les salles d’urgence, le laboratoire, la radiologie, le service ambulatoire, le service de santé mentale et celui de physiothérapie
Une fois l’incendie éteint, la poussière retombée et le contact rétabli avec les personnes survivantes, on a dénombré 42 décès, dont ceux de 24 patients et patientes, 14 membres du personnel de MSF et quatre préposés et préposées aux soins. Des patients et patientes avaient brûlé dans leur lit, des gens avaient été décapités ou avaient perdu des membres, d’autres avaient été abattus depuis les airs alors qu’ils tentaient de s’échapper du bâtiment en feu. À ce jour, il s’agit de l’attaque la plus meurtrière jamais perpétrée contre l’une de nos installations.
Sayed Hamed Hashemy, un médecin qui travaillait comme chirurgien dans l’une des salles d’opération la nuit de l’attaque, s’est rendu à l’hôpital deux semaines après le bombardement. « Tout avait brûlé », raconte-t-il. « La salle d’opération où je travaillais la nuit de l’attaque avait des trous dans le plafond et les murs. Les bouteilles d’oxygène et la table d’opération étaient en morceaux. Le temps s’était figé : on pouvait sentir le moment où tout le monde avait cessé de travailler. »
La peinture avait cloqué et s’était écaillée des murs sous l’effet de la chaleur des flammes, des pièces de métal grotesquement déformés se mêlaient aux débris sur le sol et le toit était ouvert à certains endroits. Les activités médicales de MSF dans le nord-est de l’Afghanistan avaient cessé.


Qu’est-ce qui a été détruit ?
Le projet de MSF à Kunduz a démarré en août 2011, sous la forme d’un hôpital de 55 lits. Nous avons fourni des soins chirurgicaux d’urgence et des traitements de suivi aux personnes souffrant de traumatismes causés par des explosions, des éclats d’obus et des blessures par balle dues au conflit en cours. Avant l’ouverture de l’hôpital, les gens gravement blessés dans la région étaient contraints d’effectuer de longs et dangereux trajets jusqu’à Kaboul ou au Pakistan, ou de se rendre dans de coûteuses cliniques privées. Une fois opérationnel, l’établissement a rapidement atteint une capacité de 70 lits, puis 92 lits en 2015. L’hôpital de Kunduz était le seul centre spécialisé dans le traitement des traumatismes dans le nord de l’Afghanistan.
En septembre 2015, les combats à Kunduz se sont intensifiés lorsque les forces talibanes sont entrées dans la ville et en ont pris le contrôle, avant de le perdre à nouveau quelques semaines plus tard. L’hôpital se trouvait en première ligne et était submergé de personnes blessées ; nous avons augmenté le nombre de lits à 110, puis à 150. À la fin du mois, les patientes et patients étaient si nombreux que nous devions les soigner dans des bureaux ou des salles d’examen et les stabiliser sur des matelas posés à même le sol. Pendant toute cette période, le centre de traumatologie est resté ouvert, même lorsque le contrôle de la ville a changé de mains.

« Nous avions beaucoup de fierté de soigner tout le monde – femmes, hommes, enfants – indépendamment de leur appartenance ethnique ou politique », explique Esmatullah Esmat. Ce médecin a survécu à l’attaque et travaille aujourd’hui comme conseiller médical adjoint pour le centre de traumatologie de Kunduz.
Après l’attaque, l’hôpital était en grande partie détruit et n’était plus opérationnel. L’accès aux soins d’urgence a donc été considérablement réduit pour des milliers de personnes au moment où elles en avaient le plus besoin. Il a fallu plus d’un an à MSF pour recommencer à prodiguer des soins médicaux dans la ville de Kunduz, et encore plus longtemps pour reprendre les soins en traumatologie. Pendant cette période, l’hôpital régional de Kunduz a travaillé d’arrache-pied pour tenter de combler le vide.
MSF a continué à offrir son soutien au poste avancé du district de Chahardara (un autre district de Kunduz), situé dans un territoire contrôlé par l’opposition. Les infirmières et infirmiers ont prodigué des soins immédiats aux personnes blessées, mais il n’était plus possible de les transférer vers le centre de traumatologie de Kunduz. Seuls des soins de base étaient disponibles et une ligne de secours avait été coupée.

Que s’est-il passé ensuite ?
MSF avait besoin de comprendre ce qui s’était passé et de faire le deuil des personnes disparues : patients et patientes, amis et amies, collègues… L’attaque avait eu lieu même si MSF avait communiqué les coordonnées GPS de l’hôpital au service américain de la Défense, au ministère afghan de l’Intérieur et de la Défense et à l’armée américaine à Kaboul. Après coup, malgré des discussions avec les autorités américaines et afghanes à tous les niveaux, MSF n’était pas convaincue que les parties concernées puissent mener une enquête indépendante et impartiale. Dans ce contexte, nous avons demandé à la Commission humanitaire d’établissement des faits d’engager une enquête indépendante. Cependant, sans l’accord des gouvernements américain et afghan, celle-ci n’a pas pu avoir lieu. En novembre 2015, nous avons publié notre propre rapport d’enquête interne.
En janvier 2017, MSF a décidé d’aller de l’avant et de construire un nouvel hôpital de traumatologie sur un autre site de la ville. Une fois le terrain obtenu et déminé, le chantier a commencé à la fin 2018. Parallèlement, en juillet 2017, MSF a ouvert une petite clinique ambulatoire à Kunduz pour les personnes souffrant de blessures et de traumatismes mineurs. Cependant, celle-ci a malheureusement fermé en avril 2020 pendant la pandémie de COVID-19 et n’a pas rouvert.
« Une chose ne changera jamais : à MSF, nous traitons chaque personne en fonction de ses besoins médicaux. Nous ne faisons aucune distinction fondée sur la race, le sexe, l’origine ethnique, les croyances religieuses ou l’affiliation politique des patients et patientes. »
– Emilie Buyle, responsable de projet pour MSF à Kunduz
Lorsque les combats se sont intensifiés à Kunduz en 2021, les équipes de MSF, qui attendaient toujours la fin de la construction de la nouvelle installation, ont mis en place une unité de traumatologie temporaire de 25 lits dans leurs bureaux pour soigner les personnes blessées de guerre. Finalement, le 16 août 2021, MSF a transféré toutes celles hospitalisées à l’unité de traumatologie improvisée vers le nouveau centre de traumatologie de Kunduz. Selon les mots d’un des médecins qui y travaillait à l’époque : « Nous faisons notre travail médical pendant que la construction est encore en cours, mais la vitesse à laquelle l’équipe de construction et les autres personnes réparent les choses est assez impressionnante. »
À mesure que le calme revenait dans la ville avec la fin des combats, les types de soins dont les gens avaient besoin ont commencé à changer. Au lieu de blessures par balle et d’explosions de bombes, l’équipe a vu augmenter le nombre d’accidents de la route, les gens se sentant plus en sécurité pour se déplacer. Ces changements se sont poursuivis : en 2023, un programme de gestion de la résistance aux antimicrobiens a été lancé et des activités de soins des personnes brûlées ont été mises en place en 2025.

Le centre de traumatologie de Kunduz aujourd’hui
Le nouveau centre de traumatologie de Kunduz existe aujourd’hui dans un pays qui n’est plus en guerre, mais qui est confronté à une multitude d’autres défis. Le centre dispose d’un service d’urgence, d’une unité de soins intensifs, de services d’hospitalisation et de soins ambulatoires, de salles d’opération et d’un espace consacré à la physiothérapie.
Le centre de traumatologie compte 79 lits et fournit des soins complets aux gens souffrant de blessures traumatiques causées par des chutes, des accidents de la route, des munitions non explosées, etc. Entre janvier et juin 2025, nous avons accueilli 10 253 personnes dans la salle d’urgence de l’installation et réalisé 3 197 interventions chirurgicales.
« La ville de Kunduz est aujourd’hui différente de celle de 2015, tout comme la nature des traumatismes a changé », explique Emilie Buyle, responsable de projet pour MSF à Kunduz. « Mais une chose ne changera jamais : à MSF, nous traitons chaque personne en fonction de ses besoins médicaux. Nous ne faisons aucune distinction fondée sur la race, le sexe, l’origine ethnique, les croyances religieuses ou l’affiliation politique des patients et des patientes. »