Les équipes de MSF évaluent les besoins dans le village de Taharat, après le puissant tremblement de terre qui a frappé le centre du Maroc. Maroc, 2023. © John Johnson/MSF
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Maroc : traiter les blessures invisibles et reconstruire sa vie

Fouzia Bara est une infirmière franco-marocaine qui a déjà une expérience en matière d’assistance psychologique (PFA). Elle vient de rentrer du Maroc après deux semaines passées au sein de l’équipe d’intervention d’urgence de Médecins Sans Frontières (MSF). Là, elle a apporté une première assistance psychologique aux communautés des villages les plus impactés. Au cours de son travail au Maroc, Fouzia a rencontré plus de 150 personnes, en séances de groupe ou individuelles, principalement des femmes, des enfants et des jeunes volontaires.

Fouzia Bara examine une structure détruite par les tremblements de terre. Maroc, 2023. © MSF

« Je suis arrivée le 11 septembre, deux jours après le tremblement de terre qui a frappé la région du Haut Atlas, au Maroc. Il s’agissait du plus fort tremblement de terre que le Maroc ait connu depuis des décennies. Près de 3 000 personnes ont été tuées et environ 6 000. Ont été blessées. Avec quatre autres équipes de MSF, nous avons visité des dizaines de villages. Plus de 50 000 maisons ont été détruites, l’électricité a été coupée dans plusieurs endroits, et certains villages ont été complètement rasés, rendant l’accès plus difficile.

Malgré la gravité du tremblement de terre, les autorités marocaines ont rapidement lancé une intervention massive, avec le soutien de quelques autres États, pour rechercher des corps sous les décombres et soigner les personnes blessées. Elles ont également envoyé des hélicoptères pour évacuer les personnes qui se trouvaient dans des zones isolées et dans les montagnes. Les autorités ont répondu aux besoins médicaux urgents et immédiats des communautés, mais le besoin de soutien en santé mentale n’était pas encore couvert.

MSF détient une longue expérience en matière de réponse aux tremblements de terre. À ce titre, nous savons que la santé mentale n’est parfois pas considérée comme une priorité, alors qu’il s’agit d’un élément clé pour aider les gens à s’adapter, à se rétablir et à reconstruire leur vie. En tant que médecin parlant l’arabe et le berbère, j’ai pu parler aux gens, écouter leurs histoires et les aider à exprimer leurs émotions et à en parler. En général, il est difficile d’organiser des séances d’assistance psychologique en berbère, car le Maroc manque de psychologues qui connaissent cette langue.

Compte tenu de ma formation, j’ai pu faire des séances de groupe sans traducteur. J’ai pu constater l’ampleur du choc sur les personnes, quel que soit leur âge. Ce qui ressortait surtout, c’était la peur et l’anxiété. Au début, plusieurs personnes éprouvaient de la difficulté à parler. Une femme d’un village que j’ai visité près de Tigouga a perdu ses trois enfants. Le plus jeune n’avait qu’un mois. Elle ne parlait pas pendant la journée et, la nuit, elle pleurait constamment en cherchant ses enfants dans le village.

Dans ces zones montagneuses, les gens ont tout perdu en quelques secondes : ils ont perdu leur passé, leur présent et leur avenir. Ce sont des Berbères qui vivaient ici depuis des siècles, et ils ne veulent pas quitter leurs terres, ce qui ajoute une couche d’anxiété et d’incertitude pour l’avenir. Comment vais-je reconstruire ma vie? Va-t-elle redevenir ce qu’elle était avant? L’hiver arrive et nous vivons sous des tentes. Ce n’est pas viable. Ce sont les questions les plus récurrentes que j’ai entendues au cours des séances, et elles font toutes partie du chemin de la guérison. Dans un village de la région de Taroudant, une seule personne a survécu. Ce village comptait auparavant 70 personnes.

En plus de la mobilisation massive des autorités marocaines, des centaines de jeunes travailleuses ou travailleurs humanitaires, originaires pour la plupart des provinces voisines, sont venus par solidarité pour participer aux opérations de secours. Ces jeunes volontaires n’ont pas été épargnés par le traumatisme et leurs besoins étaient aussi importants que ceux des autres personnes que j’ai rencontrées. Les jeunes volontaires avec lesquels j’ai travaillé, âgés de 17 à 24 ans, étaient sous le choc. Les séances leur ont permis de digérer et de comprendre ce qui se passait dans leur tête. Au fil des séances, ces jeunes se sont ouverts et ont partagé les souffrances qu’ils cachaient ou dont ils n’osaient pas parler auparavant, car ils voulaient rester forts. Ces jeunes volontaires avaient grand besoin de cet espace pour mieux gérer leurs émotions. Le tremblement de terre a également ravivé de nombreux troubles cachés de la santé mentale que les gens ont tendance à enfouir pendant des années, ce qui aggrave leur situation et leurs symptômes.

Dans les semaines à venir, MSF travaillera avec les autorités et les organisations locales pour fournir des soins de santé mentale gratuits et aider les gens à se rétablir. Des milliers de personnes ont besoin d’être soutenues et cela doit être fait le plus tôt possible, tant que le traumatisme est encore frais et pour prévenir les troubles de stress post-traumatique.

Nous travaillons avec des psychologues, des agents et des agentes de promotion de la santé et des spécialistes du travail social originaires du pays. À travers des séances individuelles ou de groupe, nous leur offrons de la formation pour l’identification des besoins des personnes et l’apport d’une première assistance psychologique. Nous les formerons également à identifier les cas graves qui nécessitent un soutien supplémentaire et doivent être orientés vers des soins spécialisés ou psychiatriques.

Une expérience aussi traumatisante que de survivre à un tremblement de terre nécessite un soutien immédiat avec un accès accru à l’assistance en santé mentale. Ces soins de santé critiques, parfois négligés en raison de la priorité donnée à ceux et celles dont les blessures sont visibles, n’en sont pas moins essentiels pour éviter des problèmes de santé mentale à long terme. »