[Série] Vivre au Myanmar : « Le jour où nous avons tout perdu »
Depuis la prise de pouvoir par l’armée en 2021, le Myanmar est confronté à des défis incessants. Des affrontements entre l’armée, les groupes armés et les minorités ethniques ont éclaté dans tout le pays, avec des conséquences considérables.
Cette série met en lumière l’impact du conflit au Myanmar sur la vie des personnes, du point de vue de Médecins Sans Frontières (MSF). Dans cette première partie d’une série de deux, des membres de l’équipe de MSF d’un hôpital de Yangon, la plus grande ville du Myanmar, s’entretiennent avec Shinjiro Murata, directeur général de MSF Japon, sur les défis complexes de la fourniture de soins de santé aux communautés du Myanmar.
Le seul hôpital de lutte contre la tuberculose en activité au Myanmar
« Avant la prise du pouvoir par les militaires en 2021, il y avait cinq laboratoires de tuberculose », explique un membre du personnel de MSF à l’hôpital Aung San TB à Yangon. « Aujourd’hui, un seul reste opérationnel. » Cet hôpital de 90 lits est la seule installation d’envergure encore en activité au Myanmar pour traiter les malades atteints de tuberculose, en particulier ceux et celles qui présentent des formes multirésistantes de la maladie.
Environ neuf patientes et patients sur dix sont atteints de tuberculose multirésistante (TB-MR). Bien que l’hôpital dispose d’un laboratoire capable d’effectuer des diagnostics avancés, il est à peine opérationnel actuellement. Certains services de l’hôpital ont été fermés et les équipements n’ont pas été remplacés. Les services et les salles de consultation, autrefois très animés, sont désormais vides, sinistrement silencieux comme des ruines abandonnées.
Une quarantaine de membres du personnel de MSF, dont cinq techniciens et techniciennes de laboratoire, travaillent dans cet hôpital et dans le laboratoire national de référence pour la tuberculose. L’équipe de MSF fournit des services médicaux aux malades ayant la tuberculose et soutient le programme national de lutte contre la tuberculose du ministère de la Santé. MSF mène également des activités de promotion de la santé en lien avec l’hygiène et la prévention des infections.
« Nous avons environ 70 personnes hospitalisées, ce qui n’est pas beaucoup », explique un médecin de MSF. « Seuls les cas graves ou complexes viennent dans cet hôpital. » Bien des gens ayant la tuberculose ne sont traités que lorsque leur maladie atteint un stade sévère. Cela est dû aux retards de diagnostic, aggravés par plusieurs facteurs : un manque d’éducation sanitaire concernant la nécessité de consultations précoces, ainsi que l’augmentation du coût de la vie et la détérioration de la situation sécuritaire, qui entravent considérablement l’accès aux soins de santé.
L’accès aux soins médicaux entravé par la détérioration de la situation sécuritaire
Depuis la prise de pouvoir par l’armée, les soins médicaux sont de plus en plus inaccessibles au Myanmar. Une bonne partie du personnel médical a démissionné en signe de protestation, puis s’est jointe au Mouvement de désobéissance civile (MDC) contre les autorités militaires. À Yangon, les restrictions imposées à la circulation des gens et la détérioration de la situation sécuritaire due aux affrontements entre différents groupes ont mis à rude épreuve le système de santé déjà fragile, limitant la disponibilité des services médicaux.
En raison des couvre-feux en vigueur actuellement dans toute la ville, les malades dont l’état s’aggrave durant la nuit ne peuvent se rendre à l’hôpital. Des cas de personnes décédées d’une crise d’asthme parce qu’elles n’avaient pas pu bénéficier de soins d’urgence ont même été signalés.
« Beaucoup de gens pensent que Yangon est sûre, mais il y a eu des attaques ici aussi », déclare un membre de l’équipe de MSF. « La situation est relativement meilleure ici que dans d’autres régions. »
Des sentiments de désespoir et d’impuissance
De nombreuses personnes décrivent le désespoir qu’elles ont ressenti à la suite de la prise du pouvoir par les militaires.
« L’Internet a été coupé, mais j’ai découvert ce qui est arrivé à notre pays grâce aux informations télévisées », raconte l’une d’entre elles. « J’ai eu l’impression que nous avions tout perdu. Nous avions tant à faire et tout allait bien ».
Le changement de pouvoir a poussé beaucoup de gens à renoncer à leurs rêves. Un membre du personnel a déclaré qu’il avait envisagé d’étudier à l’étranger, mais que ses projets semblaient désormais irréalisables. La loi sur la conscription, annoncée en février de cette année, jette une ombre supplémentaire sur les esprits.
Garder l’espoir
Cependant, une bonne partie du personnel de MSF dit trouver de l’espoir dans son travail avec notre organisme. Les membres de cette équipe sont inspirés et motivés par les efforts de chacun et chacune de leurs collègues pour servir les malades et les communautés.
« Si je travaille avec MSF, ce n’est pas seulement pour les malades, la communauté et ma famille, mais c’est aussi pour moi-même », explique un membre de l’équipe venant de l’État de Rakhine, dans l’ouest du Myanmar. « Pour l’instant, j’ai un emploi et je peux manger tous les jours. Mais ce n’est pas le cas de bien des gens au Myanmar actuellement ». Ainsi, sa famille ne peut pas quitter son village dans l’État de Rakhine, où d’intenses combats se poursuivent.
Malgré toutes les contraintes et les défis, ces membres du personnel continuent leur travail avec un esprit tourné vers l’avenir. L’un d’eux, à qui l’on demande un message pour le peuple du Myanmar, répond : « Donnez la priorité à la sécurité et restez forts pour le Myanmar. Nous croyons qu’un jour, nos espoirs se réaliseront ».