Jessa Pontevedra, coordonnatrice des urgences de MSF en Asie du Sud-Est. Suisse, 2024. © Pierre-Yves Bernard/MSF
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« En tant que professionnelle de la santé publique, ce que j’ai vu à Naypyidaw m’a profondément touchée. »

Jessa Pontevedra partage son expérience après l’intervention d’urgence au Myanmar

Jessa Pontevedra
Coordonnatrice des urgences de MSF au Myanmar

Le 28 mars, un séisme de magnitude 7,7 a frappé le centre du Myanmar. Depuis l’épicentre situé dans la ville de Sagaing, les secousses ont été ressenties jusqu’en Thaïlande, au Bangladesh, en Chine et au Laos. Nos équipes déjà présentes dans le pays se sont immédiatement mobilisées pour se rendre dans les zones touchées à Sagaing, Mandalay, Naypyitaw et dans le sud de l’État Shan. Elles ont évalué les besoins immédiats, alors que nos équipes d’urgence se préparaient à venir au Myanmar dans les plus brefs délais. Jessa Pontevedra, coordonnatrice des urgences basée en Asie du Sud-Est, faisait partie de ces équipes qui se préparaient à venir prêter main-forte. Elle nous fait part de son expérience lors de la première semaine de l’intervention d’urgence de Médecins Sans Frontières (MSF) au Myanmar. 


Nous avons atterri à Yangon au milieu de la nuit du 1er avril et nous nous sommes directement rendus au bureau de MSF pour un breffage. Après quelques heures de repos, nous sommes partis le lendemain matin pour un trajet de six heures et demie en voiture jusqu’à Naypyitaw, afin de rejoindre l’équipe déjà sur place depuis le 30 mars. À environ 100 km de la ville, nous avons commencé à voir les effets du séisme. Les fissures qui parcouraient la route étaient un rappel sinistre de l’ampleur de la catastrophe.  

Nous sommes entrés dans la capitale du Myanmar et nous avons gagné nos chambres, réservées dans un hôtel où avaient trouvé refuge les familles déplacées qui en avaient les moyens. Le soir, nous avons rencontré le reste de l’équipe d’urgence afin de définir les objectifs pour les jours à venir. En tant que coordonnatrice médicale, mon rôle consiste à évaluer la situation sanitaire, c’est-à-dire l’état des structures médicales et les besoins urgents des personnes touchées.

Une maternité dans un musée de bijoux

Avant le séisme, Naypyidaw disposait d’importantes structures médicales : un hôpital de 1 000 lits, un hôpital pédiatrique de 500 lits, un hôpital orthopédique de 500 lits, une maternité de 500 lits, etc. Cependant, tous ces grands hôpitaux spécialisés ne pouvaient pas fonctionner au maximum de leurs capacités en raison des dommages structurels que les installations ont subis dans cette ville qui compte 1,1 million de personnes. 

L’un des exemples les plus frappants d’adaptation a été la transformation d’un hôpital obstétrique et pédiatrique de 500 lits. Les patientes, les patients, le personnel et une partie du matériel ont été transférés dans un musée de bijoux, privé et inoccupé, qui n’avait pas été touché par le séisme. Soucieux d’apporter son aide, le propriétaire a accueilli la maternité dans son bâtiment et dans son enceinte. Le musée, qui devait à l’origine être une attraction touristique haut de gamme, est devenu un espace de soins d’urgence. À l’intérieur des salles somptueuses, des rangées de lits ont été installées pour accueillir les femmes enceintes sur le point d’accoucher.

Les membres du personnel et les familles partageaient les lieux, leurs repas, offraient des dons à ceux et celles qui en avaient besoin, se soutenaient mutuellement et agissaient comme une grande communauté. Tout le monde faisait de son mieux pour s’en sortir collectivement.

Un détecteur de métaux installé à l’entrée servait désormais de point de triage, tandis que des bureaux situés plus loin à l’intérieur étaient utilisés pour les consultations prénatales et postnatales. D’autres pièces ont été transformées en salles d’urgence et une salle d’opération pratiquait déjà des césariennes. Les membres du personnel, eux-mêmes déplacés, ont installé des tentes pour dormir dans le musée, tout comme les familles des patientes et des patients. Un bâtiment en briques à l’arrière de l’enceinte, qui ressemblait à une gare, servait de bureaux administratifs et de cuisine pour le personnel.

May Phyoe Thu et Thae Su Heing, sages-femmes, mesurent le périmètre brachial de Kaung Pyae Khant, un enfant âgé de 4 mois. Myanmar, 2025. © Lena Pflueger/MSF 
Des gens poursuivent les opérations de nettoyage dans la ville de Mandalay. Myanmar, 2025. © MSF

J’ai vu beaucoup de solidarité et de dévouement

Dans ce musée transformé, j’ai rencontré la directrice de l’hôpital, qui a pris le temps de nous parler malgré la situation difficile. En dépit de l’environnement chaotique, elle gardait le sourire. Les membres du personnel et les familles partageaient les lieux, leurs repas, offraient des dons à ceux et celles qui en avaient besoin, se soutenaient mutuellement et agissaient comme une grande communauté. Tout le monde faisait de son mieux pour s’en sortir collectivement. 

Un hôpital pédiatrique, qui comptait à l’origine 500 lits, avait été transféré à l’autre bout de la ville et fonctionnait désormais comme un hôpital de banlieue de 32 lits, sans salle d’opération. Compte tenu des besoins de la communauté, des femmes enceintes qui accouchaient et des enfants qui tombaient malades au milieu d’une catastrophe naturelle, transformer un hôpital de 500 lits en hôpital de 32 lits n’était pas une solution viable.

De nombreuses personnes touchées vivaient dans des conditions précaires, sans accès à l’eau ni à l’assainissement, et ne disposaient pas des conditions minimales pour préserver leur dignité.

La rencontre avec le directeur de cette installation m’a profondément touchée. Les professionnelles et les professionnels de la santé étaient très dévoués et faisaient de leur mieux. L’esprit communautaire qui régnait partout et la solidarité m’ont beaucoup touchée, car je suis originaire d’Asie du Sud-Est et cela fait partie intégrante de notre culture. Les gens étaient également reconnaissants envers les équipes de MSF d’être à leurs côtés dans cette situation d’urgence.

En collaboration avec un entrepreneur local, MSF restaure 140 points d’eau pour une communauté de 475 foyers. Myanmar, 2025. © Lena Pflueger/MSF

De nombreuses personnes sont sans domicile fixe dans les zones urbaines

Cinq jours plus tard, j’ai quitté Naypyidaw. À l’approche de Mandalay, nous avons aperçu, d’un côté de la route, des abris de fortune. Constitués de bâches en plastique, ils abritaient peut-être un millier de personnes. De l’autre côté, les bâtiments étaient en ruines. Les jours suivants, alors que nous parcourions la ville pour évaluer la situation dans les hôpitaux, nous avons constaté des dégâts similaires : des maisons effondrées et des communautés en plein désarroi. De nombreuses personnes touchées vivaient dans des conditions précaires, sans accès à l’eau ni à l’assainissement, et ne disposaient pas des conditions minimales pour préserver leur dignité. 

À Mandalay, les familles qui avaient choisi de rester près de leurs maisons endommagées ou effondrées vivaient devant leur porte, dans leur cour ou encore dans la rue. Certaines sont même retournées dans leurs maisons endommagées, au risque de se blesser davantage, simplement pour accéder à des installations de base, comme des toilettes. Les hôpitaux fonctionnaient partiellement et pouvaient prendre en charge les individus blessés, souvent à l’extérieur, sous de simples bâches, un abri minimal contre les intempéries. 

Tout au long de ces évaluations, nos équipes ont fourni des consultations médicales de base, des premiers soins psychologiques aux communautés touchées. En coopération avec des organisations locales de la société civile, elles ont distribué des articles de première nécessité, comme des trousses d’hygiène. Les équipes logistiques ont travaillé sans relâche pour rétablir les structures d’approvisionnement en eau et en assainissement. Elles ont installé des latrines dans les monastères où de nombreuses familles déplacées avaient trouvé refuge.

Un camion MSF qui transporte des articles de première nécessité est déchargé à Sat Kyar, dans la ville de Mandalay, en collaboration avec une organisation locale de la société civile. Myanmar, 2025. © Lena Pflueger/MSF 
 
Une superviseuse du soutien aux patientes et aux patients offre une assistance psychologique d’urgence et une séance de conseil dans le refuge temporaire de Thanlyat, à Mandalay. Myanmar, 2025. © MSF 

Des perspectives difficiles, mais une forte résilience de la part des communautés

À l’approche de la saison des pluies, les défis s’accumulent. La situation pourrait devenir de plus en plus précaire. Si des milliers de personnes se retrouvent sans abri dans les zones urbaines, avec le risque d’épidémies, il sera extrêmement difficile de répondre à leurs besoins.  

Ce que j’ai vu à Naypyidaw m’a profondément touchée en tant que professionnelle de la santé publique, mais ce que j’ai vu à Mandalay m’a profondément touchée à titre de travailleuse humanitaire.    

Pour l’instant, les communautés trouvent des moyens de se soutenir mutuellement. Alors que je faisais mon jogging, j’ai rencontré un couple qui séjournait dans le même hôtel que moi, à Naypyidaw. Ils pratiquaient eux aussi leur exercice matinal. C’était l’anniversaire de l’homme. Mais vu la situation, il n’y aura pas de fête. « Nous avons aussi perdu notre maison, mais nous avons un peu plus de chance, alors nous voulons donner en retour », m’a-t-il dit. Et c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont distribué de la nourriture, de l’eau et des articles de première nécessité dans l’un des quartiers les plus touchés de Naypyidaw. Je me souviens également d’un médecin que j’ai rencontré. Il venait d’une ville moins touchée et avait rassemblé un groupe de personnel médical pour mettre en place une clinique gratuite. Cette équipe a rapidement commencé à recevoir des dons de l’étranger : de la nourriture, des articles de première nécessité et bien plus encore. Cet esprit communautaire est très fort au Myanmar, mais je ne peux m’empêcher de me demander : combien de temps cela va-t-il durer?  

Nos équipes d’urgence continuent de travailler presque 24 heures sur 24 pour évaluer et anticiper les besoins. Elles tentent de soutenir les efforts de secours partout où cela est possible, en travaillant en collaboration avec les communautés. Le rétablissement, après ce séisme dévastateur, sera long pour les personnes touchées. Où qu’elles vivent, et elles auront besoin d’une assistance humanitaire essentielle.