Belen Ramirez, coordonnatrice de projet pour MSF, pose une attelle sur le bras d’un garçon de cinq ans qui souffre sans doute d’une fracture.
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48 heures à la frontière entre les États-Unis et le Mexique

Belen Ramirez, coordonnatrice de projet pour Médecins Sans Frontières (MSF), raconte ses deux jours de travail aux côtés de bénévoles du groupe des Samaritains, basés en Arizona. Cette organisation apporte de l’assistance aux personnes qui traversent la frontière dans l’impitoyable désert de Sonora.

C’est le petit matin en Arizona, juste avant le lever du jour, et je conduis sur une route non goudronnée le long du mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique. Il pleut et j’entends le tonnerre au loin.

Dans les véhicules qui me précèdent se trouvent des bénévoles des Samaritains qui, depuis des décennies, fournissent de l’eau, de la nourriture et d’autres produits de première nécessité aux personnes migrantes qui franchissent la frontière dans le sud de l’Arizona. Nous nous rendons au bout du mur, un camp de fortune géré par des bénévoles et situé près d’une brèche dans le mur qui longe la frontière entre le sud des États-Unis et le Mexique.

Dans cette partie isolée du désert de Sonora, le mur de bornes en acier de 30 pieds (environ neuf mètres) se termine et une clôture à hauteur de poitrine continue de marquer la frontière. C’est là le point de passage pour les gens qui entrent aux États-Unis depuis le Mexique dans l’espoir de demander l’asile. Au cours des cinq dernières semaines, en tant que coordonnatrice de projet de MSF, j’ai soutenu des groupes de bénévoles basés en Arizona, comme les Samaritains, qui fournissent une assistance humanitaire aux personnes migrantes et demandeuses d’asile en Arizona, notamment dans la région où se trouve le camp End of the Wall (« la fin du mur »).

Des personnes migrantes et demandeuses d’asile originaires du Bangladesh et du Népal attendent que la patrouille frontalière vienne les chercher. Elles se trouvent ici le long de la route non goudronnée qui jouxte le mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique à Sasabe, en Arizona.

Les journées ne se ressemblent pas

Les journées ne se ressemblent pas pour les bénévoles de ce camp. Certains jours, les bénévoles ne passent que quelques minutes avec les demandeurs et demandeuses d’asile. Certains autres jours, ils peuvent passer des heures avec ceux-ci avant que la patrouille frontalière américaine ne les emmène à la base opérationnelle avancée de Sasabe. La patrouille transfère ensuite les personnes migrantes au centre de détention de Tucson, où elles pourront entamer la procédure légale de demande d’asile. Pendant ce temps, les bénévoles font en sorte que les gens se sentent bien accueillis et leur fournissent de l’eau, de la nourriture, une assistance psychologique indispensable et des informations sur la suite des événements.

Ce matin, nous sommes les premières personnes à arriver au camp. Les bénévoles se mettent au travail et commencent à réapprovisionner des bacs d’entreposage et une glacière avec des collations et des bouteilles d’eau.

Parmi eux, Judy Storey, 77 ans, est bénévole auprès des Samaritains depuis sept ans. « Lorsqu’il fait très chaud, nous trempons des bandanas dans de l’eau glacée », me dit-elle. « Les gens se les mettent ensuite sur la tête ou autour du cou, et c’est un cadeau du ciel lorsqu’il fait 90 degrés °F (32 degrés °C) ici et qu’ils doivent attendre la patrouille frontalière pendant cinq heures. »

Bientôt entre dans la tente un groupe d’hommes et de femmes qui viennent de traverser la frontière. Nous leur disons : « Bonjour, bienvenue! D’où venez-vous? » Certains répondent qu’ils sont du Cameroun. « Nord-ouest, Bamenda », explique quelqu’un.

Un autre homme déclare : « Nous venons du Soudan, du Darfour. » Il raconte qu’il a fui le Soudan vers le Tchad voisin à cause de la guerre qui a commencé en avril 2023. Il a ensuite voyagé pendant deux mois, en débutant par le Maroc, puis en passant par l’Espagne, la Colombie, le Salvador, le Nicaragua, le Mexique et enfin les États-Unis. « Je suis maintenant du bon côté », dit-il.

À l’extérieur de la tente, d’autres bénévoles discutent avec un groupe d’hommes et de femmes originaires du Mexique. Quelques minutes plus tard, vers 8 heures, des agents et agentes de la patrouille frontalière arrivent pour les emmener.

Des demandeurs et demandeuses d’asile du monde entier traversent le camp End of the Wall et d’autres brèches du mur frontalier dans cette région isolée. Ils sont déposés par des guides du côté mexicain de la frontière et on leur dit qu’ils peuvent se rendre à la patrouille frontalière pour demander une protection au titre de l’asile aux États-Unis.

Mais le poste de la patrouille le plus proche se trouve à des kilomètres de là. Les gens doivent donc marcher pendant des heures sur un terrain et dans des conditions météorologiques extrêmes ou bien attendre que des agents et agentes de la patrouille les prennent en charge.

Les bénévoles distribuent aux personnes qui arrivent des bouteilles d’eau et des en-cas pour la route. Nous leur disons qu’elles sont en sécurité et essayons de leur expliquer ce qui va se passer.

Je remarque que l’homme originaire du Soudan tremble. Il demande où il se trouve. Je lui réponds qu’il est en Arizona. Je m’assure qu’il boive suffisamment d’eau avant qu’un agent de la patrouille ne lui ordonne de monter dans la voiture. Je ne peux qu’imaginer ce qu’il a enduré pour en arriver là.

Un bénévole des Samaritains s’entretient avec un groupe de mineurs non accompagnés qui ont franchi la frontière pour entrer aux États-Unis. Les bénévoles offrent de l’eau et de la nourriture à ces jeunes et leur donnent des informations sur ce qui les attend lorsque la patrouille frontalière vient les chercher.

Le camp de la fin du mur

Dans ce camp, les bénévoles des organisations Samaritans (Samaritains), No More Deaths (Assez de morts) et Humane Borders (Frontières humaines) assurent les gardes du matin, de midi et de la nuit, sept jours sur sept. Ils restent souvent jusqu’à ce que la patrouille frontalière vienne chercher tout le monde vers 8 heures, 14 heures et 20 heures.

Trois tentes fournissent de l’ombre et une certaine protection contre les éléments; des bouteilles d’eau et des réservoirs périodiquement réapprovisionnés en eau potable; des collations et des couches dans des bacs en plastique. On trouve également un poste Internet alimenté par l’énergie solaire qui aide les personnes migrantes et les bénévoles à rester en contact avec leur famille et les services d’urgence, ainsi que des toilettes portables.

Malgré les barrières linguistiques, avec l’aide occasionnelle d’un demandeur ou d’une demandeuse d’asile qui parle anglais ou d’une application de traduction en ligne, les bénévoles donnent aux personnes arrivantes des conseils sur ce qu’il faut faire ensuite et ce à quoi s’attendre à l’arrivée de la patrouille frontalière, et les avisent de leur droit à demander l’asile.

Parmi les bénévoles, nombreux sont les gens qui parlent couramment l’espagnol et peuvent fournir ces informations à ceux et celles qui viennent de pays hispanophones d’Amérique latine. Cependant, depuis l’année dernière, des personnes originaires de pays aussi éloignés que la Chine, la Guinée, l’Inde, l’Irak, la Mauritanie et le Yémen sont arrivées. Des groupes de bénévoles ont obtenu quelques traductions ad hoc en bengali et en arabe, mais des informations dans d’autres langues sont encore nécessaires.

Un jeune Bangladais de 17 ans lit un document en bengali contenant des informations préparées par des bénévoles des Samaritains. Il s’agit notamment de sa localisation actuelle, du temps d’attente avant que la patrouille frontalière américaine vienne le chercher, ainsi que son droit de demander l’asile.

Mineurs non accompagnés

Les bénévoles voient souvent des mineurs non accompagnés arriver au camp. La veille, par une très chaude journée d’été, Abdul*, un jeune homme de 17 ans, originaire du Bangladesh, est entré aux États-Unis par le camp End of the Wall. Il avait l’air fatigué et a dit qu’il avait besoin de boire de l’eau. Il a mentionné qu’il avait faim et qu’il avait très chaud.

Les bénévoles de Samaritains ont invité Abdul* à pénétrer dans une tente pour y trouver de l’ombre, de l’eau, des pommes et d’autres en-cas à manger. Sally Meisenhelder, une bénévole de 77 ans des Samaritains, lui a remis des documents en bengali sur ce qui l’attend dans les prochaines heures et après que la patrouille frontalière l’aura récupéré. Ces documents ont été traduits récemment afin de combler le fossé linguistique et de fournir des informations de base aux personnes arrivant du Bangladesh.

Ce jour-là, j’ai décidé de patienter quelques heures avec Abdul* pour m’assurer qu’il se sentait en sécurité et qu’il ne resterait pas seul pendant longtemps à attendre la patrouille frontalière.

Malgré la barrière de la langue, il m’a expliqué qu’il avait pris un vol du Bangladesh vers le Qatar, puis vers le Paraguay ou l’Uruguay; il ne savait pas exactement lequel. Il a ensuite pris l’avion pour la Colombie et s’est dirigé vers le nord pour franchir la célèbre et dangereuse jungle du Darién et entrer au Panama, avant de poursuivre sa route à travers l’Amérique centrale et le Mexique.

Au Mexique, il s’est fait voler la plupart de ses affaires, y compris son téléphone et son passeport. Le seul document qu’il avait sur lui était un bout de papier, son acte de naissance.

Lors de la même semaine, un groupe de 11 mineurs non accompagnés originaires du Mexique et du Guatemala sont parvenus au camp. Le plus jeune avait cinq ans. Certains des enfants plus âgés, de 11 et 12 ans, nous ont raconté qu’ils l’avaient trouvé seul et en pleurs lorsqu’ils sont arrivés au camp à l’aube. Ils lui ont demandé de s’asseoir avec eux et l’ont réconforté.

Le garçon, Mateo*, tenait un petit sac en plastique attaché au chapelet qu’il portait autour du cou. À l’intérieur se trouvait un morceau de papier sur lequel était inscrit le numéro de téléphone de sa mère. Elle l’attendait aux États-Unis.

Lorsque je l’ai rencontré, il m’a répété que ce papier était destiné à la police. Il semblait très inquiet à ce sujet.

J’ai pu appeler la mère de Mateo par vidéo. Il s’est exclamé « Maman, maman », il était si heureux de la voir. Sa mère lui a dit d’être courageux et de ne pas pleurer. Je leur ai expliqué à tous les deux que la patrouille frontalière allait emmener le petit garçon dans un centre spécial pour mineurs non accompagnés. De plus, je leur ai mentionné que j’ignorais combien de temps s’écoulerait avant qu’elle n’ait des nouvelles des autorités. Je voulais m’assurer qu’elle savait qu’il allait bien.

Je suis habituée aux histoires d’épreuves et de peur, mais je ne me suis jamais habituée à entendre ces histoires de la part d’enfants qui subissent ce voyage traumatisant, en particulier ceux qui voyagent seuls.

C’était une journée difficile. Nous apportons une première assistance psychologique aux personnes qui traversent la frontière afin de nous assurer que leurs besoins fondamentaux sont couverts. Entrer en contact avec les membres de la famille pour leur faire savoir que vous êtes en sécurité est l’une des interventions de santé mentale qui ont le plus d’impact, surtout dans les moments critiques qui suivent un événement traumatisant.

Belen Ramirez, coordonnatrice de projet pour MSF, s’entretient avec des bénévoles des Samaritains au camp End of the Wall (« Fin du mur »).

Deuxième journée au camp

Lors d’une autre journée atypique, en me dirigeant vers le camp End of the Wall, je rencontre un groupe de 18 hommes originaires du Népal et du Bangladesh qui ont marché environ trois miles (près de cinq kilomètres) vers l’ouest, en direction de Sasabe, sur la route vallonnée qui longe le mur frontalier. Ils sont entrés aux États-Unis pendant la nuit et ont continué à marcher. Ils sont maintenant fatigués et se sont assis pour se reposer. Les chaussures de l’un d’eux n’avaient plus de semelle; il avait donc utilisé ses lacets pour fixer les semelles intérieures à ses pieds.

Nous leur donnons de l’eau et des en-cas et leur demandons d’arrêter de marcher, car la route est escarpée et il y a peu d’ombre. Le soleil est sur le point de se lever sur une nouvelle journée chaude.

Plus loin, je rencontre un autre groupe de neuf hommes originaires d’Inde qui marchent le long de la route. Nous leur conseillons d’arrêter de marcher en raison du danger et d’attendre plutôt la patrouille frontalière.

On voit maintenant davantage de personnes demandeuses d’asile dans le camp. Une famille du Chiapas, au Mexique, nous a dit avoir fui la violence des cartels, laissant derrière elle tout ce qu’elle possédait. Les parents craignaient que leur fille adolescente ne soit recrutée dans un réseau de prostitution.

Je rencontre également une jeune mère du Guatemala et son enfant de trois ans. Elle explique qu’elle tenait un dépanneur dans la capitale, Guatemala City, et qu’elle avait été victime d’extorsion de la part de gangs locaux. « Ils m’ont dit que je devais payer ou qu’ils prendraient mes enfants », raconte-t-elle.

Un groupe de bénévoles des Samaritains se rend sur place pour contrôler les personnes qui ont quitté le camp à pied. Sally Meisenhelder s’inquiète pour celles qui marchent sur la route vallonnée. « J’ai écrit des messages en plusieurs langues sur la tente pour déconseiller aux gens de marcher. Ils peuvent être renversés par une voiture », dit-elle. « Lorsque vous franchissez les collines, [le conducteur] ne peut pas voir qui se trouve de l’autre côté jusqu’à ce qu’il commence à descendre. C’est dangereux. De plus, ils ne peuvent pas aller jusqu’au bout [jusqu’à Sasabe]. »

Plusieurs voitures de la patrouille frontalière arrivent à l’heure prévue, vers 8 h. Les agents et agentes demandent aux gens de se mettre en rang et nous informent qu’ils ont recueilli des personnes migrantes sur la route. Ils indiquent aux mineurs non accompagnés, aux familles et aux femmes de monter en premier dans les voitures.

Nous disons au revoir à tous ces gens et leur souhaitons bonne chance en les saluant de la main. Après avoir tout rangé, nous roulons pendant environ 40 minutes jusqu’à l’endroit où nous sommes hébergés. À notre arrivée, nous recevons un message des bénévoles des Samaritains : puisque d’autres demandeurs et demandeuses d’asile sont parvenus au camp End of Wall après notre départ, ils sont restés pour les aider.

*Le nom a été modifié pour protéger la vie privée.