Afghanistan : il n’existe pas de meilleures personnes à soigner
En 2015, des frappes aériennes américaines ont touché l’hôpital de Kunduz et tué 42 personnes, dont 14 travaillaient pour MSF.
« Ne pouvez-vous pas trouver de meilleures personnes à soigner ? »
Cette question nous a été posée, à Médecins Sans Frontières (MSF), lors d’une réunion avec un groupe armé, il y a quelques années. Nous discutions de l’un de nos hôpitaux, situé en première ligne, et du fait que nous soignions des gens considérés comme des ennemis.
Il y a dix ans, les frappes aériennes américaines ont tué 42 personnes, dont du personnel, des patientes, des patients et des aidantes et aidants naturels, et détruit le centre de traumatologie de MSF à Kunduz, en Afghanistan. On a manifesté de l’indignation, de la colère et une profonde tristesse ; des enquêtes ont été demandées ; des campagnes ont été lancées. En mai 2016, une résolution historique des Nations Unies a été adoptée, la 2286. (Des attaques dévastatrices contre des structures médicales avaient également eu lieu en Syrie et au Yémen au cours des mois précédents.) La résolution condamnait fermement les attaques contre les installations et le personnel médicaux dans les situations de conflit et appelait à une plus grande protection. Et pourtant, selon la Coalition pour la sauvegarde de la santé lors des conflits, les soins de santé ont été attaqués en moyenne 10 fois par jour dans les zones touchées par des conflits en 2024. Au lieu de s’améliorer, la situation s’est aggravée, les attaques contre les soins de santé ayant augmenté avec les guerres et les violences dans des endroits tels que l’Ukraine, la Palestine, le Soudan et Haïti.
Il n’existe pas de personnes meilleures ou pires que d’autres. Les patientes et les patients sont traités sans discrimination en fonction de leurs besoins médicaux, indépendamment de leur origine ethnique, de leurs convictions ou affiliations politiques, de leur religion ou de leur sexe.

Lorsqu’un hôpital n’est plus opérationnel ou que les équipes médicales ne peuvent plus travailler, les gens souffrent. Dans les jours qui ont précédé le bombardement, l’hôpital de Kunduz était plein, dépassant sa capacité d’accueil, les patientes et les patients étant installés dans tous les espaces disponibles. Au cours de cette semaine, près de 400 personnes ont été soignées après avoir été blessées durant les combats – des hommes, des femmes et des enfants. Par la suite, cette bouée de sauvetage essentielle a disparu. Du jour au lendemain, plus d’un million de personnes dans le nord-est de l’Afghanistan se sont retrouvées privées de soins chirurgicaux de haute qualité. Près de six ans ont été nécessaires pour reconstruire ce qui avait été perdu.
Malheureusement, certains individus considèrent positivement ce type d’attaque. Les assauts contre les services de santé constituent une forme de stratégie militaire, une décision délibérée de priver certaines personnes de leur droit fondamental, le droit à la santé. Cela nous ramène à la question suivante : « Ne pouvez-vous pas trouver de meilleures personnes à soigner ? » Non, il n’existe pas de personnes meilleures ou pires que d’autres. Les patientes et les patients sont traités sans discrimination en fonction de leurs besoins médicaux, indépendamment de leur origine ethnique, de leurs convictions ou affiliations politiques, de leur religion ou de leur sexe. C’est un principe fondamental du droit humanitaire, qui ne devrait pas faire de l’assistance médicale une cible. Il n’existe pas de système à deux vitesses pour déterminer qui mérite des soins et qui n’en mérite pas.
Il s’avère cependant de plus en plus difficile de plaider en faveur de la protection des hôpitaux et des soins de santé, alors qu’il est maintenant si facile de les attaquer. On a l’impression que de plus en plus de gens sont devenus insensibles à l’horreur de cet acte. Aujourd’hui, tout ce qu’un État comme Israël a à dire, c’est oui, son armée a bien attaqué un hôpital à Gaza, mais elle savait que les gens qui s’y trouvaient le méritaient. Même dans le cas exceptionnel où un hôpital aurait perdu sa protection – ce qui n’était pas le cas à Kunduz –, cela ne donne pas le droit d’attaquer son personnel, ses patientes et ses patients. Le niveau de surveillance internationale est si faible que la justification ou la preuve de ces actes n’est jamais demandée ni exigée. Un hôpital ne peut pas être rasé par erreur. Et lorsqu’un d’eux est bombardé, ce n’est pas à ceux qui s’y trouvent de prouver pourquoi cela n’aurait pas dû se produire.
Partout dans le monde, le personnel médical continue de se rendre chaque jour sur son lieu de travail, malgré l’insécurité et les conflits. On doit cependant en faire davantage pour assurer leur sécurité et celle des gens qu’il soigne.
Est-il encore possible aujourd’hui de fournir des soins médicaux en toute sécurité sur une ligne de front ? Si nous poursuivons sur cette voie, la réponse à cette question pourrait bientôt être négative. À Kunduz, l’hôpital se trouvait au milieu d’une ligne de front en pleine mutation, mais il a continué à fonctionner. Les membres du personnel de santé ont soigné les personnes blessées même lorsque la zone dans laquelle l’établissement se trouvait est passée du contrôle de l’armée afghane à celui des talibans. C’était ce qui avait été négocié, c’est ce que doit être un hôpital en situation de conflit. Pourtant, aujourd’hui en Ukraine, quand un hôpital se retrouve de l’autre côté de la ligne de front, il cesse souvent de fonctionner complètement en tant que structure de santé.
Les personnes qui se sont rendues à l’hôpital de Kunduz l’ont fait parce qu’elles pensaient qu’il était sûr. Certaines y ont même amené leur famille. Personne n’aurait pu imaginer ce qui s’est passé le 3 octobre 2015. Tous ceux et celles qui se trouvaient à l’intérieur croyaient être protégés, même s’ils avaient peur. Aujourd’hui, les gens continuent de se réfugier dans les hôpitaux dans l’espoir d’y être en sécurité.

Partout dans le monde, le personnel médical continue de se rendre chaque jour sur son lieu de travail malgré l’insécurité et les conflits. On doit cependant en faire davantage pour assurer leur sécurité et celle des gens qu’il soigne. Il faut faire pression sur les États qui attaquent les structures de santé en toute impunité, afin qu’ils justifient leurs actes. Le fardeau de la preuve doit passer de la victime à l’agresseur.
Mais le plus important est sans doute de conserver notre sentiment d’indignation et de refuser la normalisation des bombardements d’hôpitaux. Attaquer les services de santé est un acte odieux. Ce n’est pas un prix acceptable à payer. Il n’y a pas de « meilleurs » patients ou patientes à soigner.