Afghanistan : Insécurité persistante dans un contexte d’appels à la paix
L’année 2020 est considérée comme historique pour l’Afghanistan. En février, 20 ans après l’invasion menée par les États-Unis, ces derniers ont signé un accord avec l’Émirat islamique – autrement connu sous le nom de talibans – pour ouvrir la voie à un retrait des troupes américaines, sur la base de certaines conditions. En septembre, des pourparlers intra-afghans entre les talibans et le gouvernement afghan ont commencé à Doha.
Cette année marque également les 40 ans de Médecins Sans Frontières (MSF) dans le pays, et force est de constater que nos patients n’ont pas encore vu d’améliorations tangibles dans leur accès aux soins de santé.
Ils n’ont guère d’autre choix que de continuer à faire des trajets dangereux pour y parvenir. Ces défis surviennent au milieu d’une deuxième vague de COVID-19 et des conséquences qui se feront bientôt sentir d’une réduction du financement des bailleurs de fonds dans un pays aux besoins humanitaires croissants.
Ci-dessous, nous donnons un aperçu de ce à quoi nos patients sont encore confrontés lorsqu’ils tentent d’accéder aux soins de santé et de quoi nos équipes sont témoins à leur arrivée.
Ville de Lashkar Gah, province de Helmand
Safia était enceinte de sept mois lorsqu’une balle perdue a transpercé son corps devant sa maison. Après avoir voyagé pendant des heures pour atteindre le premier établissement de santé disponible – empruntant un itinéraire plus long que d’habitude pour éviter les combats – elle s’est retrouvée à l’hôpital provincial Boost soutenu par MSF dans la ville de Lashkar Gah, capitale de la province de Helmand.
L’hôpital de traumatologie de 100 lits a été submergé de blessés dans les 24 heures suivant une intensification des combats, et alors que nos équipes se préparaient à faire office de centre de débordement, nous avons croisé Safia. Elle a subi une césarienne d’urgence, mais malgré tous les efforts, le bébé qu’elle souhaitait tant depuis quatre ans n’a pas survécu. Son enfant a été abattu dans son ventre.
« Je me suis assise avec Safia ce matin », a raconté Marianna Cortesi, coordonnatrice de l’hôpital de MSF. « Sa force et sa résilience étaient toujours présentes, mais son chagrin me bouleverse encore. Dans l’utérus et dans la tombe, son premier-né n’a pas connu la paix. »
MSF travaille à l’hôpital provincial de Boost depuis 2009, et l’escalade de la violence en octobre était d’une intensité sans précédent depuis 2016. En à peine une semaine, tout en ne répondant qu’au débordement de blessés, nos équipes ont traité 62 patients avec des blessures par balle, des éclats d’obus dus aux pilonnages et des blessures dues aux bombes et aux engins explosifs improvisés.
Nos préoccupations ne concernent pas uniquement les blessés. Chaque semaine au cours de cette même période, le nombre de patients triés aux urgences a diminué de 700, et les admissions générales ont chuté d’environ 100. Cela indique que les personnes souffrant de blessures ou de maladies mortelles mais non liées au conflit ne pouvaient pas atteindre l’hôpital en raison de l’insécurité le long des routes.
Ville de Kandahar, province de Kandahar
Murad Khan est un patient du programme de lutte contre la tuberculose de MSF à Kandahar. Il nous a dit qu’une route qu’il empruntait pour récupérer ses médicaments contre la tuberculose n’était plus sécuritaire. Souvent, alors qu’il voyageait d’une province à une autre pour atteindre le centre de traitement de la tuberculose, il devait attendre jusqu’à cinq heures avant que les combats cessent pour poursuivre son voyage. Il est venu avec quatre de ses fils qui sont également atteints de tuberculose.
Que les personnes portent des blessures par balle ou qu’elles aient été diagnostiquées avec la tuberculose, le résultat est le même sans établissement de santé pour les traiter. D’autres ne peuvent pas accéder aux services limités disponibles en raison de l’insécurité, des coûts ou de l’incapacité de l’établissement de s’occuper de leur état. Pour les femmes afghanes, l’accès aux soins de santé est un défi encore plus grand, car un accompagnateur de sexe masculin doit également vouloir et pouvoir les escorter.
Province de Khost
Shamila, 31 ans, mère de six enfants, est arrivée à la maternité de MSF dans la ville de Khost en novembre. Pour la naissance de quatre de ses enfants, des problèmes familiaux l’ont empêchée d’aller à l’hôpital, mais elle a convaincu un membre masculin de sa famille de l’y emmener pour la naissance de ses deux derniers, car elle se sentait très faible.
Lorsqu’elle a commencé à avoir des contractions à la fin de sa dernière grossesse, elle a de nouveau demandé aux hommes de sa famille de l’emmener à l’hôpital. C’était le soir et ils ont dit non, soulignant qu’ils risquaient d’être attaqués en chemin. Ils lui ont dit qu’elle devrait tolérer sa douleur jusqu’au matin. Le lendemain, alors qu’ils se rendaient à la maternité, Shamila a perdu son bébé.
Ville de Hérat
Qamar Gull vit depuis trois ans dans un camp pour personnes déplacées à Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan. Elle est arrivée à Hérat depuis sa province natale de Faryab après l’attaque du poste de contrôle où son mari travaillait. Elle n’a pas eu de ses nouvelles depuis et se demande s’il est toujours en vie.
En décembre 2018, MSF a mis en place ce qui était à l’origine une simple « clinique d’hiver » pour fournir des soins de santé aux enfants qui faisaient partie des personnes nouvellement déplacées cherchant refuge à Hérat.
Alors que le nombre de personnes et les besoins de santé dans les camps augmentaient et que d’autres organisations se retiraient, notre clinique est restée la seule dans la région.
Malgré les difficultés prolongées de vivre dans un campement informel envisagé comme une solution temporaire, Qamar Gull ne pense pas encore pouvoir rentrer chez elle avec ses filles en toute sécurité.
Attaques contre les soins de santé
Se rendre dans des établissements de santé en Afghanistan est risqué, mais y arriver ne garantit pas non plus la sécurité de nos patients. Nos patients et notre personnel l’ont douloureusement vécu le matin du 12 mai, lorsque des hommes armés ont pris d’assaut la maternité gérée par MSF à l’hôpital de 100 lits Dasht-e-Barchi, dans l’ouest de Kaboul.
Les assaillants ont systématiquement abattu 16 mères dans leur lit – dont cinq sur le point d’accoucher – notre collègue sage-femme Maryam, deux enfants présents pour une vaccination de routine et six autres personnes.
Cette attaque brutale a eu lieu cinq ans après qu’une frappe aérienne américaine a détruit le centre de traumatologie de MSF à Kunduz, tuant 24 patients, 14 membres du personnel et quatre soignants.
L’Afghanistan continue d’être témoin d’attaques à l’endroit d’établissements médicaux, avec 67 incidents signalés par l’Organisation mondiale de la Santé entre janvier et octobre 2020.
La violence aveugle reste la principale cause de victimes civiles, et les activités quotidiennes, telles que les déplacements à destination ou en provenance des établissements de santé exposent les personnes à de graves risques de blessures et de mort. Les routes sont souvent impraticables en raison de combats actifs ou elles sont chargées d’engins explosifs improvisés.
Si l’accès aux soins médicaux fait partie des besoins humanitaires les plus urgents en Afghanistan, nous sommes préoccupés par les patients coincés dans le conflit qui perdure alors qu’ils tentent d’atteindre les établissements de santé. Nous observons également un décalage entre le discours officiel sur les gains obtenus dans le système de santé public grâce au soutien international et la réalité sur le terrain.