Saed Bibi is giving a glass of milk to her son Saddiqulah, 10, in the paediatric department of the MSF supported Boost hospital in Lashkar Gah, Helmand province. Saddiqulah has measles which has led him to develop pneumonia and severe sepsis. © Tom Casey/MSF
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Afghanistan : La rougeole, un risque mortel pour les enfants malnutris

Zainab n’a pas bien dormi la nuit dernière. Les lumières et le bip incessant des machines dans l’unité de soins intensifs gardaient tout le monde réveillé. Mais surtout, elle ne pouvait pas dormir parce qu’elle s’inquiétait pour son fils d’un an, Takberullah. Lui aussi a passé une mauvaise nuit, car il avait du mal à respirer jusqu’à ce que le médecin lui donne des médicaments. « Pourquoi le pied de mon bébé est-il froid? », a demandé Zainab à un médecin, en serrant la cheville de Takberullah et en repoussant la couverture sur sa poitrine.

Cela fait trois jours que Takberullah se trouve à l’unité des soins intensifs pédiatriques de l’hôpital Boost soutenu par MSF à Lashkar Gah, dans la province de Helmand. Il y a dix jours, ses deux sœurs et lui ont commencé à faire de la fièvre et à avoir des diarrhées, puis l’état de santé du petit garçon s’est détérioré. Deux jours plus tard, une éruption cutanée est apparue, et sa mère l’a amené à l’hôpital Boost où on lui a diagnostiqué une rougeole.

Entre décembre 2021 et la fin février 2022, plus de 150 enfants atteints de rougeole arrivaient à l’hôpital en moyenne chaque semaine.

Maintenant, Takberullah souffre d’une pneumonie potentiellement mortelle et d’hypoglycémie. Ces complications expliquent pourquoi ses mains et ses pieds sont froids, et pourquoi il repose dans un état critique. « Combien de temps devra-t-il rester ici? », demande Zainab. « J’ai d’autres enfants malades à la maison, mais je ne sais pas comment ils vont. »

Takberullah reçoit de l’oxygène, des antibiotiques et du glucose pour lutter contre les complications. Il est l’un des plus de 1 400 enfants atteints de rougeole que MSF a vus dans ses projets à Helmand et à Hérat en février. La moitié d’entre eux ont développé des complications qui ont nécessité leur hospitalisation.

Manque de lits

Le nombre de cas de rougeole à l’hôpital Boost a été extrêmement élevé. Entre décembre 2021 et la fin février 2022, plus de 150 enfants atteints de rougeole arrivaient à l’hôpital en moyenne chaque semaine. Quarante pour cent de ces enfants présentaient une complication sévère comme la pneumonie et sont hospitalisés pour recevoir un traitement.

À Hérat, MSF a enregistré près de 800 cas de rougeole en février. Au début de l’année, le projet comptait huit lits d’isolement pour les patients atteints de maladies infectieuses comme la tuberculose ou la rougeole. Très rapidement, cette unité est devenue submergée de patients atteints de rougeole et 12 autres lits ont été ajoutés. Des travaux de réhabilitation sont en cours pour transformer un bâtiment existant en une unité de 60 lits pour le traitement de la rougeole, afin de fournir des soins intensifs aux patients critiques et des soins hospitaliers à ceux qui se rétablissent. Une mesure qui ne suffira probablement pas.

« Soixante pour cent des cas de rougeole que nous voyons arriver à l’hôpital régional d’Hérat nécessitent une hospitalisation, et la moitié de ceux que nous admettons aux soins intensifs sont également malnutris », explique Sarah Vuylsteke, coordonnatrice du projet MSF à Hérat.

La rougeole et la malnutrition, une combinaison mortelle

La situation est particulièrement alarmante du fait que l’Afghanistan vit déjà une crise nutritionnelle. Pendant des mois, les enfants recevant un traitement dans les centres d’alimentation de MSF à Helmand et à Hérat ont souvent dû partager des lits, car le nombre de patients dépassait le nombre de lits. De janvier à fin février, près de 800 enfants ont été admis dans les deux projets pour malnutrition aiguë sévère.

« La plupart des enfants que nous voyons dans notre centre d’alimentation et notre unité de soins intensifs ont contracté la rougeole récemment », affirme Fazal Hai Ziarmal, chef de l’équipe clinique de MSF à l’hôpital Boost. « La rougeole endommage le système immunitaire des enfants et réduit leur capacité à combattre les complications telles que les infections respiratoires – la pneumonie par exemple. »

Soixante pour cent des cas de rougeole que nous voyons arriver à l’hôpital régional d’Hérat nécessitent une hospitalisation, et la moitié de ceux que nous admettons aux soins intensifs sont également malnutris.

« Si un enfant souffre de malnutrition, ce qui est fréquent actuellement en Afghanistan, son système immunitaire est déjà très faible, ce qui peut entraîner une infection rougeoleuse prolongée et plus grave. Cela nuit encore plus à son système immunitaire et le rendre très vulnérable. Beaucoup d’enfants souffrant de malnutrition meurent de complications liées à la rougeole. »

Difficulté à trouver des soins

La rougeole est évitable par la vaccination, mais la couverture vaccinale en Afghanistan est faible, ce qui explique en partie l’augmentation rapide des cas. De plus, il arrive que plusieurs familles vivent ensemble sous un même toit, ce qui crée des conditions propices à la propagation rapide de la maladie. Certains enfants guérissent de la rougeole par eux-mêmes, alors que d’autres ont besoin de médicaments pour traiter leurs complications. Mais en Afghanistan, de tels médicaments peuvent être difficiles à trouver, car de nombreux établissements de santé manquent de fournitures. Cela signifie que de nombreux parents doivent acheter les médicaments dans les pharmacies locales.

« Mes 12 petits-enfants sont tombés malades, mais ce sont ces trois-là qui souffrent le plus », raconte Han Bibi, qui attend son fils à l’unité de dépistage de la rougeole de l’hôpital Boost, avec ses petits-enfants autour d’elle. Ils sont amorphes et maussades; tous les trois ont contracté la rougeole.

La rougeole est évitable par la vaccination, mais la couverture vaccinale en Afghanistan est faible…

« Nous avons acheté des médicaments dans notre village, mais les enfants ne se sont pas rétablis, donc nous sommes venus ici. L’aînée pleurait en disant avoir mal à la poitrine, et elle vomissait. Elle boit beaucoup d’eau, mais ne peut rien avaler d’autre. »

Fardeau supplémentaire pour le système de santé

« Dans notre projet à Hérat, deux enfants meurent chaque jour de complications liées à la rougeole. Je n’ose même pas imaginer ce qui se passe dans d’autres régions du pays qui n’ont pas accès à des soins plus avancés », explique Sarah Vuylsteke, coordonnatrice de MSF à Hérat.

« Les établissements de santé publique que nous avons visités dans les zones rurales ont la capacité de prendre en charge les patients atteints de rougeole avec des complications légères. Toutefois, le personnel prévient qu’il ne sera pas en mesure de soigner les cas graves ou compliqués par manque de fournitures, de personnel ou d’équipement. Pour les enfants qui sont très malades, les plus vulnérables, il n’y a pas grand-chose qu’ils peuvent faire. »

« Nous pouvons augmenter le nombre de lits dans les endroits où MSF travaille, mais cela ne résoudra pas le problème. À moins d’une campagne de vaccination généralisée, nous continuerons à observer une augmentation des cas au cours des six prochains mois, ce qui exercera une pression encore plus forte sur un système de santé déjà fragile. À plus long terme, le programme de vaccination régulière contre la rougeole devrait être renforcé afin que les enfants puissent être vaccinés systématiquement, plutôt qu’en réponse à des flambées de cas. »

Dans la ville de Kunduz, MSF a financé le personnel et l’équipement d’une nouvelle unité de traitement de la rougeole de 35 lits à l’hôpital régional de Kunduz. L’unité a ouvert ses portes le 27 février 2022 et, le lendemain matin, il avait déjà plus de patients que de lits.

De retour à l’unité de soins intensifs pédiatriques de l’hôpital Boost, les médecins se pressent autour de ce qui était autrefois le lit de Takberullah, essayant de sauver la vie d’un nouveau patient. Pendant ce temps, Zainab a ramassé ses affaires et est partie chez elle, seule, pour rejoindre ses autres enfants.

…Ce qui se passe dans d’autres régions du pays qui n’ont pas accès à des soins plus avancés