Wais Mohammad, MSF anaesthetist, carries out a check on Esa, 63, prior to surgery to remove a kidney stone Boost hospital, Lashkar Gah, Helmand Province, Afghanistan © Tom Casey/MSF
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Afghanistan : quand les gens sont privés de soins de santé

 

Selon un nouveau rapport publié par Médecins Sans Frontières (MSF), le système de santé dysfonctionnel, la pauvreté généralisée et les restrictions accrues imposées aux femmes sont au cœur de la crise humanitaire qui sévit actuellement en Afghanistan. Les décideurs politiques, les bailleurs de fonds et les autorités locales doivent renforcer d’urgence les soins médicaux primaires dans les districts pour améliorer l’accès aux soins de santé. Les acteurs internationaux doivent s’attaquer aux problèmes qui contribuent à la crise économique. Les femmes doivent par ailleurs être autorisées à poursuivre leurs études, à occuper un emploi, à augmenter les revenus de leur famille et à veiller à ce qu’il y ait suffisamment de travailleuses de la santé dans le pays pour répondre aux besoins.

Dans le plus récent rapport de MSF sur l’accès aux soins de santé en Afghanistan intitulé Persistent barriers to access healthcare in Afghanistan: The ripple effects of a protracted crisis and a staggering economic situation (en anglais seulement), 91,2 % des personnes interrogées ont enregistré, l’année dernière, une baisse de leurs revenus, soit 15 % de plus qu’en 2021. De plus, 95 % d’entre elles ont déclaré avoir eu de la difficulté à s’offrir de la nourriture au cours des 12 derniers mois, principalement en raison de la hausse du chômage et de la stagnation des salaires qui s’accompagnent d’une augmentation des prix, en particulier pour les produits alimentaires de base. Cette situation survient alors que les sanctions imposées par la communauté internationale continuent de paralyser l’économie et que les actifs de la banque centrale afghane, évalués à 9,42 milliards de dollars canadiens, restent gelés à l’étranger.

 

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« Parfois, les mères sont si malnutries qu’elles ne peuvent pas allaiter leur enfant. Nous les voyons donner des biberons de thé à des nouveau-nés d’à peine sept ou huit jours, ce qui peut être très dangereux », explique Hadia, membre du personnel médical de MSF à l’hôpital régional d’Hérat.

Une grande partie de la population a été contrainte d’adopter des mécanismes d’adaptation néfastes pour composer avec la situation économique difficile. Parmi toutes les personnes interrogées dans le rapport, 88 % ont déclaré avoir retardé ou suspendu la recherche de soins médicaux, ou s’être carrément abstenues de consulter en 2022, ce qui représente une augmentation de 14,3 % par rapport à l’année précédente. Après son arrivée à l’hôpital régional d’Hérat que soutient MSF, Marieh nous a raconté ce qui suit : « Quand mon enfant est tombé malade, nous nous sommes présentés dans une clinique privée et nous avons reçu une ordonnance pour des médicaments qui coûtaient 1 000 AFG [environ 16 $ CA]. Ils n’ont pas aidé. Ensuite, nous nous sommes rendus dans un hôpital public à proximité, mais les médecins ne nous ont donné que la moitié d’un comprimé, pas tous les médicaments dont nous avions besoin… Maintenant, nous sommes ici. L’état de santé de mon bébé s’est détérioré, et j’ai dû m’endetter pour payer le transport. »

« L’un des principaux problèmes en Afghanistan est qu’il manque d’équipement, de ressources et de personnel dans les établissements de santé en périphérie. Cela signifie que les gens qui habitent en zones rurales doivent parcourir de grandes distances pour obtenir un traitement de qualité, même s’ils ne peuvent souvent pas se permettre de tels voyages sans s’endetter », explique Filipe Ribeiro, représentant de MSF en Afghanistan. « Les espoirs que la fin de la guerre réduirait considérablement les obstacles à l’accès aux soins de santé ont été anéantis par de nouvelles barrières et craintes. Le trajet pour se rendre vers les hôpitaux est peut-être moins dangereux, maintenant que la guerre est terminée, mais il est certainement devenu plus difficile à payer. »

Plus de 60 % des personnes interrogées ont déclaré que les femmes étaient confrontées à des obstacles plus importants que les hommes lorsqu’elles essayaient d’accéder à des soins de santé, principalement en raison des restrictions de mouvement associées au mahram, une pratique socioculturelle de longue date qui oblige les femmes à être accompagnées par un homme de leur famille lorsqu’elles quittent la maison. Cette pratique peut entraver leur capacité à se rendre à l’hôpital – en tant que patientes, soignantes ou travailleuses humanitaires –, par exemple lorsqu’aucun homme de la famille n’est pas disponible pour les accompagner, ou lorsqu’un voyage déjà difficile à payer pour une personne devient inabordable pour deux.

 

Marieh, une patiente du centre de traumatologie de MSF à Kunduz, en Afghanistan, pose pour une photo au service d’hospitalisation pour les femmes de l’hôpital.
Amara, une patiente du centre de traumatologie de MSF à Kunduz, en Afghanistan, pose pour une photo au service d’hospitalisation pour les femmes de l’hôpital. Elle a été blessée par son fils qui lui a tiré accidentellement dans la jambe. Afghanistan, 2022.© Nava Jamshidi

 

En décembre 2022, le gouvernement afghan a annoncé sa décision d’interdire aux femmes de travailler pour des organisations non gouvernementales et d’accéder à une éducation universitaire. Cette décision risque d’aggraver l’accès des femmes aux soins de santé. « Il est déjà difficile dans certains de nos projets de pourvoir les postes nécessaires, y compris les postes de gynécologues. Si les femmes ne sont pas autorisées à étudier, d’où viendra la prochaine génération de médecins, de sages-femmes et d’infirmières? Les équipes de MSF dans nos projets de maternité en Afghanistan ont assisté plus de 42 000 accouchements l’année dernière, dont 8 000 avec des complications obstétricales directes. Interdire aux femmes d’apprendre et de travailler mettra davantage en danger la vie des mères et celle de leurs enfants », conclut Filipe Ribeiro.

*Les noms de toutes les Afghanes citées dans l’article ont été modifiés pour protéger leur identité.

Le rapport Persistent barriers to access health care in Afghanistan: The ripple effects of a protracted crisis and a staggering economic situation s’appuie sur des données médicales, des entrevues et des sondages réalisés auprès de personnes traitées, de leur entourage et du personnel des projets de MSF à Helmand, Hérat, Kandahar Khost et Kaboul. MSF a également documenté les obstacles à l’accès aux soins de santé en Afghanistan dans des rapports publiés en 20142020 et 2021