Terrain enneigé de l’hôpital géré par MSF à Kunduz. Afghanistan, 2023 © MSF
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Afghanistan : « Tout est allé si vite »

Dans le froid glacial de l’hiver afghan, les familles à faible revenu sont confrontées à des risques inattendus alors qu’elles luttent pour se réchauffer. Diana Pereira de Sousa, infirmière de Médecins Sans Frontières (MSF), raconte l’histoire qui s’est déroulée à Kunduz, une ville du nord de l’Afghanistan.

« Pouvez-vous venir aux urgences tout de suite? » C’était Boyd qui m’appelait, l’un de nos médecins. Lorsque je suis arrivée sur place, j’ai vu certains de nos médecins séniors parler rapidement. Cinq personnes brûlées avaient été transportées aux urgences. Je n’avais aucune idée de ce qui allait suivre.

Dans la zone rouge, il y avait une femme et quatre jeunes enfants, tous brûlés au deuxième et au troisième degré. La zone rouge est l’endroit où nous traitons les gens dont l’état critique met leur vie en danger.

En évaluant ces cinq personnes, il était difficile de comprendre l’étendue des blessures, le pourcentage de la surface corporelle brûlée. Il ne s’agissait pas de brûlures comme celles que nous avions vues auparavant, par exemple lorsqu’un enfant en bas âge renverse de l’eau chaude. Bien que nous ayons déjà admis des gens souffrant de brûlures liées à un traumatisme, la complexité et la gravité de celles-ci nécessitaient un niveau de soins plus élevé que celui que nous pouvions offrir.

Trois autres personnes sont arrivées, elles aussi gravement brûlées. Un homme, une femme enceinte et un enfant de 10 ans, inconscient.

Nous avons décidé d’hospitaliser la femme et les trois enfants. Celui dans l’état le plus critique serait transféré à l’hôpital régional de Kunduz. Il risquait de perdre ses voies respiratoires et nous n’avions pas la capacité de ventiler les patients et les patientes.

Alors que nous faisions part de notre plan à l’équipe des urgences, trois autres personnes sont arrivées, elles aussi gravement brûlées. Un homme, une femme enceinte et un enfant de 10 ans, inconscient. Pendant que les gens qui venaient d’entrer étaient rapidement évalués, la confusion se lisait sur nos visages. Que s’était-il passé? Et surtout, allions-nous recevoir d’autres personnes?

Nous ignorions encore si nous avions affaire à un incident impliquant un grand nombre de victimes, comme un attentat à la bombe. Puis nous avons appris qu’il n’était pas possible d’envoyer les patientes et les patients à l’hôpital régional. Les trois derniers avaient été transférés de là : l’hôpital n’avait pas la capacité de les traiter.

Diana Pereira de Sousa, infirmière à MSF.

« Savez-vous ce qui est le plus effrayant? Se retrouver dans une salle de réanimation avec cinq enfants… sans qu’aucun d’entre eux ne pleure. »

Tout s’est passé très vite. En quelques minutes, toutes les personnes brûlées ont été mises sous perfusion et la première série d’observations a été effectuée. Autour de moi, la zone rouge était pleine de monde. Nous devions prendre des décisions rapidement.

Ensemble, nous avons élaboré un plan. Tous les services de l’hôpital se sont adaptés pour donner à ces patients et ces patientes les meilleures chances de survie. Nous avons enlevé de la liste de la salle d’opération tous les cas non urgents. Afin de libérer des lits, les gens qui pouvaient sortir en toute sécurité ont été retirés du service de soins intensifs et du service des personnes hospitalisées .   

Savez-vous ce qui est le plus effrayant? Se retrouver dans une salle de réanimation avec cinq enfants, dont quatre sont éveillés, avec 30 à 50 % de leur corps brûlé, sans qu’aucun d’entre eux ne pleure.

J’entendais le personnel parler. J’entendais le bruissement des couvertures de survie. Mais je n’entendais pas les enfants. Peu de gens aiment entendre un enfant pleurer, mais dans un hôpital, cela peut nous en apprendre beaucoup sur son état.

Sans traitement approprié, le corps peut cesser de fonctionner.

Involontairement immobilisés par les brûlures recouvertes d’une épaisse gaze, nos patients et patientes ne bougeaient pas non plus. Leur immobilité et leur silence pesaient lourd dans la pièce.

Mode automatique

En médecine, il arrive que l’on passe en mode « automatique ». Je pense que c’est ce que nos équipes ont toutes fait ce jour-là. D’une manière rapide mais fluide, les patients et les patientes ont reçu le meilleur traitement possible avec les connaissances et les ressources dont nous disposions à ce moment-là.

Œuvre d’art sur le mur de l’hôpital de MSF à Kunduz. Afghanistan, 2023 © MSF

Lorsqu’une personne est gravement brûlée, il se produit une réaction inflammatoire dans tout le corps pour tenter de compenser les dégâts. L’une des conséquences est que celle-ci perd continuellement des fluides à cause des brûlures, ce qui peut entraîner une déshydratation sévère et un déséquilibre électrolytique. Sans traitement approprié, le corps peut cesser de fonctionner.

C’était merveilleux de voir l’équipe s’adapter avec une telle rapidité et un tel dévouement.  

Notre service de soins intensifs a été transformé en unité des grands brûlés, où six des patientes et des patients ont été admis pour une surveillance étroite, une thérapie liquide énergique et un traitement contre la douleur.   

Les personnes brûlées courent de grands risques d’infection. C’est pourquoi l’équipe du service de soins intensifs (agents et agentes d’entretien, infirmiers et infirmières et même médecins) a participé au nettoyage en profondeur de l’unité, encore plus que d’habitude. Elle s’est aussi mise à porter des équipements de protection individuelle, comme des blouses, des gants et des masques. C’était merveilleux de voir l’équipe s’adapter avec une telle rapidité et un tel dévouement.  

L’explosion

Nous voulions désespérément échanger avec les personnes hospitalisées et leur famille, mais elles ne parlaient que l’ouzbek. Seul un nombre très limité de membres du personnel pouvait donc communiquer avec elles.

Nous avons fini par apprendre ce qui s’était passé. La famille s’était rendue au domicile d’un proche pour présenter ses condoléances après des funérailles. Il faisait si froid que la bouteille de gaz a gelé. Quelqu’un l’a donc ramenée dans la maison et l’a placée près d’un petit radiateur pour la décongeler.

Ils ont décrit ce qui s’était passé, les larmes aux yeux.

Certains des enfants dormaient lorsque la bouteille de gaz a explosé, mais on a réussi à faire sortir tout le monde avant que tout le plafond ne s’effondre. L’un des membres de la famille avait une vidéo de la maison détruite. Ils ont décrit ce qui s’était passé, les larmes aux yeux.

Malheureusement, en raison de la gravité de ses brûlures, l’aîné des enfants, un petit garçon d’une dizaine d’années, est décédé moins de 36 heures après son admission.  

Garder la foi

Malgré la perte du jeune patient, notre équipe a gardé la foi. Elle a travaillé d’arrache-pied pour soigner les autres personnes brûlées, dont le père et les deux sœurs du petit garçon.

Le personnel médical s’occupe des patients dans le service des brûlés de l’hôpital soutenu par MSF à Kunduz. Afghanistan, 2023 © Diana Pereira de Sousa

Faire de la place pour le jeu

Au fil des semaines, nous avons pu constater la complexité de l’hospitalisation prolongée à laquelle cette famille allait devoir faire face. Chaque semaine, chaque membre de celle-ci devait subir deux ou trois interventions chirurgicales pour faire retirer les tissus morts et prévenir les infections.

Il est très difficile de voir des enfants qui ne sourient pas. Alors que les enfants reprenaient peu à peu des forces, l’équipe du service de soins intensifs a relevé un défi : faire en sorte qu’ils se sentent en sécurité et qu’ils puissent jouer. Nous avons utilisé de la musique, des dessins animés et des poupées fabriquées en gonflant des gants chirurgicaux comme des ballons. Un jour, nous avons réalisé qu’ils étaient restés près de deux mois dans le service de soins intensifs sans voir le ciel. Nous avons donc trouvé un moyen de les emmener dehors pour les mettre en contact avec l’air frais et la nature.

Trois mois plus tard

Trois mois après leur admission, quatre membres de la famille se portaient suffisamment bien pour sortir de l’hôpital. Je n’oublierai jamais les deux petits garçons, Abdul* et Abbas, qui m’ont fait signe lorsqu’ils sont revenus à l’hôpital pour faire changer leurs pansements. Les voir marcher et sourire, comme n’importe quels enfants, était vraiment gratifiant et me donnait de l’espoir pour les deux petites filles encore hospitalisées.

L’une des choses dont je me souviens le plus est la première fois qu’Abdul a ri.

À ce moment-là, le père des fillettes a été transféré dans un service de traitement des brûlures à Kaboul. Les fillettes, Sima et Habiba, se portaient suffisamment bien pour quitter le service de soins intensifs et être soignées dans le service des personnes hospitalisées.

Avec le recul, il n’est pas facile de mettre des mots sur ce que je ressens pour ces patients et ces patientes. L’une des choses dont je me souviens le plus est la première fois qu’Abdul a ri. C’était deux semaines après l’admission du groupe. Petit à petit, nous avons aidé les enfants à se sentir à l’aise et nous avons instauré un climat de confiance. Un jour, l’une des infirmières a essayé de chatouiller doucement Abbas et a été récompensée par un sourire timide. Elle a chatouillé Abdul, et nous avons entendu le premier vrai éclat de rire.

Soudain, l’équipe s’est mise à rire de manière contagieuse et ce moment nous a donné le regain d’énergie dont tout le monde a besoin pour continuer à travailler dur. Ces deux semaines avaient été intenses et incertaines, mais en entendant Abdul rire, j’ai eu l’impression que ma poitrine n’était pas assez grande pour contenir toute cette joie.

*Tous les noms ont été changés.