MSF staff on their journey to set up a clinic in Sin Thet Maw village in Paukaw township, 14 March 2022 © Ben Small/MSF
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Après 10 ans dans des camps au Myanmar, les Rohingyas continuent de souffrir de problèmes de santé mentale

 

En 2012, quand des violences ont éclaté entre les communautés rohingyas et rakhines, la maison de Zaw Rina située dans la ville de Pauktaw a été réduite en cendres. Elle a alors été forcée de fuir avec sa famille pour trouver refuge dans un camp, à Ah Nauk Ywe, installé sur une île difficile d’accès dans la zone occidentale isolée de l’État. Le caractère transitoire de la fragile cahute de bambou où elle vit maintenant dénonce la décennie qu’elle a passée dans le camp.  

Un à la suite de l’autre, les abris précaires se succèdent en bordure des sentiers étroits et boueux à travers les camps surpeuplés qui abritent plus de 5 000 personnes. Le drainage insuffisant crée des flaques d’eau stagnante qui constituent un milieu propice aux moustiques et aux maladies. Il y a trop de monde pour trop peu de latrines, tandis qu’un faible approvisionnement en eau, surtout pendant la saison sèche, signifie que les installations sanitaires sont généralement dans un état lamentable. Il est presque impossible d’y préserver un minimum d’intimité.

L’épisode de violence responsable de la destruction de la maison de Zaw Rina et des centaines de morts a poussé quelque 140 000 personnes, tant des musulmans rohingyas que kamans, à se réfugier dans des camps. La majorité des personnes qui habitent ici aujourd’hui disposent d’une liberté de mouvement limitée, sans accès ni au travail rémunéré, ni à l’éducation, ni aux soins de santé. Bon nombre d’entre elles entreprennent de périlleux voyages par la mer ou par la route pour gagner le Bangladesh et la Malaisie dans l’espoir de trouver une vie meilleure.

Répercussions sur la santé mentale

Portrait de Zaw Rina
Zaw Rina reçoit des services de soins en santé mentale à la clinique de MSF dans le camp d’Ah Nauk Ywe, situé dans la commune de Pauktaw. État de Rakhine.Ben Small/MSF

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Le quotidien de Zaw Rina et de milliers d’autres personnes qui, comme elle, vivent dans l’État de Rakhine, est dominé par la difficulté à trouver les moyens de se nourrir, la peur d’être agressée et un sentiment de détresse. Ce statu quo prolongé a des conséquences désastreuses sur la santé mentale.

Le stress engendré par ces conditions de vie a été aggravé quand la fille de Zaw Rina, âgée de 20 ans, a fait une tentative de suicide après que son mari a demandé le divorce.

« Elle avait beaucoup de disputes sérieuses avec sa belle-mère et son mari lui a déclaré qu’il voulait divorcer parce qu’il ne l’aimait pas et qu’en fait, il ne l’avait jamais aimée », explique Zaw Rina.

« J’étais devenue très pessimiste et je ne trouvais aucune raison d’avoir une vision positive. Je criais après mon mari. Je criais après mes enfants. Je ne pouvais pas trouver de réponse en moi. »

Au Myanmar, tout comme dans l’État de Rakhine, il existe d’énormes lacunes dans les services de santé mentale, ce qui ne laisse que peu d’options à des personnes comme Zaw Rina et sa fille. La seule clinique dédiée à la santé mentale se trouve à Sittwe, et elle est trop chère pour la majorité des gens, tandis que les services de psychiatrie de l’hôpital public sont de portée très limitée.

Pour exacerber les difficultés d’accès, la ville se situe à quelque 10 kilomètres des camps de la commune de Pauktaw, soit sur l’autre rive de la rivière Kaladan. Cette distance combinée aux restrictions à la liberté de mouvement fait en sorte qu’il est extrêmement difficile pour les Rohingyas vivant dans les camps d’atteindre ces établissements de santé.

Toutefois, grâce à ses cliniques, Médecins Sans Frontières (MSF) est en mesure de venir apporter aux membres de la communauté rohingya un soutien essentiel en matière de soins en santé mentale. Des conseillers, des conseillères et des médecins proposent des consultations individuelles ou des séances de groupe ainsi que des visites à domicile. Ces services sont disponibles à quiconque se rend dans nos établissements, quelle que soit son origine ethnique ou sa religion.

Zaw Rina et sa fille ont reçu un soutien psychosocial de la part des équipes de MSF, et cela leur a permis de mieux gérer leurs symptômes.

« Je me sentais vraiment perdue et je ne savais pas où demander de l’aide jusqu’à ce que je rencontre un conseiller [de MSF] », explique Zaw Rina.

« Je me sens mieux maintenant en ce qui concerne ma santé mentale, beaucoup mieux, et ma fille aussi. »

Se battre pour trouver un moyen de gagner de l’argent dans le ghetto de Sittwe

Portrait de Daw Than Than
Daw Than Than reçoit des services de soins en santé mentale à la clinique de MSF dans le ghetto d’Aung Mingalar, au centre-ville de Sittwe. État de Rakhine.Ben Small/MSF

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Bien que Daw Than Than soit née à Mandalay de parents bouddhistes, elle s’est mariée avec un musulman kaman, a changé de religion et vit maintenant avec les Rohingyas et les Kamans à Aung Mingalar, un ghetto musulman au centre de Sittwe.

C’est tout ce qu’il reste de la population musulmane de Sittwe qui comptait près de la moitié des 200 000 résidents et résidentes de la ville. Les autres ont fui pendant les violences de 2012 ou ont été forcés de rejoindre des camps comme celui où vit Zaw Rina. Depuis 10 ans, les personnes musulmanes du centre-ville de Sittwe sont confinées dans ce petit quartier, privées de liberté de mouvement et surveillées jour et nuit par des policiers.

Daw Than Than est veuve. Elle n’a ni enfant ni famille pour prendre soin d’elle. Quand elle le peut, elle cuisine et fait le ménage chez les gens. Néanmoins, incapable d’aller et venir librement dans le quartier, elle a souvent eu, au cours des années, du mal à gagner sa vie. 

Alors que les restrictions à la liberté de mouvement pour entrer et sortir du ghetto ont été assouplies au cours de l’année dernière, ce qui lui permet de se déplacer dans Sittwe, sa santé physique s’est détériorée, ce qui l’empêche de travailler. « Je me sens triste dans mon combat quotidien. Je me sens seule et triste, car je n’ai personne pour m’aider quand je suis malade. Je ne peux pas me permettre d’aller me faire soigner dans un hôpital privé », dit-elle, ajoutant qu’elle n’a pas assez d’argent pour manger à sa faim, se contentant souvent de riz et de thé.

Chaque vendredi, MSF ouvre une clinique à Aung Mingalar où les gens du ghetto peuvent recevoir des soins de santé primaires, un soutien en santé mentale et des traitements pour les maladies non transmissibles.

« Je lutte pour survivre et je suis triste dans la vie, mais quand je parle [à des conseillers ou des conseillères de MSF], j’éprouve un certain soulagement. Les conseillers m’invitent à venir les voir quand je ressens de la douleur physique ou mentale », reconnaît-elle.

« Ils m’aident à faire des exercices de respiration qui sont vraiment utiles pour la relaxation. Pendant les séances de counseling, je n’arrive cependant pas à contrôler mes émotions, et je pleure. »

« Les conseillers me parlent avec compassion et ils disent comprendre mes problèmes. »

La violence aggrave la santé mentale des femmes rohingyas

Portrait de Khin Phyu Oo
Khin Phyu Oo reçoit des services de soins en santé mentale à la clinique de MSF, au village de Sin Thet Maw, dans la commune de Pauktaw. État de Rakhine.Ben Small/MSF

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Les conditions difficiles et stressantes dans lesquelles les communautés rohingyas sont détenues dans des camps surpeuplés où les possibilités économiques sont limitées rendent les femmes et les filles plus vulnérables aux mauvais traitements, au harcèlement sexuel et à la violence domestique.

Khin Phyu Oo s’est rendue pour la première fois à la clinique de Sin Thet Maw, gérée par MSF, à la suite d’une crise convulsive. Le personnel soignant lui a conseillé de faire très attention en cuisinant en raison de son état de santé. Frustré de voir qu’elle n’était pas en mesure de s’occuper des tâches ménagères, son mari l’a battue. Ces violences s’étant reproduites plusieurs fois, elle a songé à se suicider. C’est à ce moment-là que MSF a commencé à lui offrir un soutien psychosocial en parallèle à son traitement anticonvulsif.

« Je n’ai personne à qui parler [dans la communauté]. Personne ne veut m’écouter. Je suis heureuse de venir ici et de dire tout ce qui me vient à l’esprit », déclare-t-elle.

« Je me sens plus heureuse. Je pense que recevoir un traitement m’est bénéfique. Je peux parler de ce que je vis aux médecins, ici, et ils me motivent, me donnent des suggestions [sur la manière de me sentir mieux]. Les médecins ont également sensibilisé mon mari à la santé mentale. »

Surmonter les causes profondes de la santé mentale

Personnel se promenant vers un village au Myanmar au fil de l
Le personnel de MSF en route pour installer une clinique dans le camp d’Ah Nau Ywe, dans la commune de Paukaw.Ben Small/MSF

 

Les membres de la communauté rohingyas continueront d’être aux prises avec des problèmes de santé mentale tant que les causes profondes de leur détresse persisteront.   

« J’ai l’espoir que mes enfants pourront un jour faire des études », confie Zaw Rina.

« Et je voudrais avoir un bon abri, afin de vivre une vie normale et agréable, comme j’avais avant dans la ville de Pauktaw. Quand je vivais dans ma propre maison, je me sentais en sécurité. »

Depuis 1992, MSF travaille au Myanmar pour soutenir les communautés victimes de conflits qui peinent à accéder aux soins de santé. Aujourd’hui, plus de 1 000 membres du personnel offrent des soins de santé de base, des traitements contre le VIH, l’hépatite C et la tuberculose ainsi que des transferts vers des hôpitaux en cas d’urgence et pour des traitements spécialisés dans les États et régions de Kachin, Rakhine, Shan, Tanintharyi et Yangon. À Rakhine, les équipes de MSF soutiennent des communautés déplacées par les conflits, notamment les bouddhistes rakhines et les musulmans rohingyas et kamans.