Yesterday night fire erupted in Moria, Lesbos, burning to the ground the entire camp and forcing 12000 people to evacuate the site. They are all on the streets now with no place to stay. "We saw the fire spread across #Moria and rage all night long. The whole place was engulfed in flames, we saw an exodus of people from a burning hell with no direction. Children scared and parents in shock. We are working now to address their needs." Marco Sandrone, MSF Project Coordinator in Lesbos. © MSF/Médecins Sans Frontières (MSF)
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Camp de Moria : Si le seul moyen de vous libérer est de brûler votre maison, quelque chose ne va pas

Par Aurélie Ponthieu, spécialiste des affaires humanitaires à Médecins Sans Frontières (MSF)

Au sujet de l’incendie qui a presque entièrement détruit le camp de Moria sur l’île de Lesbos, Stelios Petsas, porte-parole du gouvernement grec, a déclaré lors d’un point de presse : « Ils pensaient que s’ils mettaient le feu à Moria, ils pourraient quitter l’île. Quoi qu’ils avaient en tête, ceux qui ont allumé l’incendie peuvent l’oublier. »

L’origine du feu n’est toujours pas confirmée, mais si, comme le suggère M. Petsas, il s’agit d’une manœuvre des réfugiés pour s’échapper de Moria, cet événement est le reflet du système inhumain toujours en place à Lesbos. Lorsque le seul moyen de vous libérer est de brûler votre maison, c’est que quelque chose ne tourne pas rond; cela devrait remettre en question la nature même de cet endroit appelé « Moria ».

Ces 12 000 personnes étaient déjà sans abri. Les personnes touchées par l’incendie n’avaient pas de maison; elles vivaient dans des conteneurs, des cabanes et des tentes, partageant des conditions de vie misérables avec les 12 000 habitants du camp. Toutes ces personnes  sont désormais dans la rue, livrées à elles-mêmes et condamnées à retourner vivre sur les cendres d’un camp qu’elles détestent pour y avoir été maltraitées.

 

Pas le premier incendie à Moria

 

Ce n’est pas la première fois que le camp de Moria est englouti par les flammes. En septembre 2016, un incendie l’avait déjà détruit. Au moins 20 personnes avaient subi des brûlures mineures, tandis qu’une femme et un enfant, gravement brûlés, avaient été évacués vers l’hôpital d’Athènes. Des milliers de personnes étaient restées sans abri. Depuis, d’autres incendies isolés ont entraîné la mort de trois personnes.

Les tensions, cependant, ne datent pas de mardi; elles font rage depuis des années. Elles sont alimentées par la douleur infligée par la stratégie migratoire dissuasive de l’Union européenne (UE), et attisées par les restrictions de mouvement, les files d’attente déshumanisantes des distributions de nourriture, les procédures d’asile injustes qui changent constamment, et une routine d’humiliation, de xénophobie et de violence. Par les espoirs anéantis des gens qui espéraient un avenir meilleur, ou du moins une certaine dignité en Europe.

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie adopté il y a 4 ans a plongé des milliers de gens dans le désespoir. Les habitants du camp arrivent et repartent. Les incendies et la mort ont laissé « l’accord » incontesté et qualifié de succès par les dirigeants européens. Après avoir été bloqués sur l’île pendant des mois – parfois des années -, les options qui s’offrent à eux sont le continent grec, ou le retour en Turquie ou dans leur pays d’origine. Ils quittent Lesbos malades, épuisés, parfois blessés et souvent atteints de troubles psychologiques sévères. Arrivent ensuite de nouveaux réfugiés pour prendre leur place et être, à leur tour, écrasés par ce système. Les incendies ne sont pas des accidents à Moria, ce sont le produit d’une obsession : refouler migrants et demandeurs d’asile à tout prix.

Lorsque la pandémie de COVID-19 a été déclarée en Grèce en mars, les équipes MSF craignaient qu’une épidémie à Moria ne devienne une catastrophe de santé publique. Dans ces conditions de surpeuplement, avec un accès limité au savon et à l’eau, nous craignions que le virus ne se propage comme une traînée de poudre. Des centaines de personnes dans le camp présentaient des conditions médicales les rendant vulnérables à la forme grave de la COVID-19 si elles contractaient le virus.

Avec d’autres organisations, nous avons appelé les autorités européennes et grecques à évacuer les personnes les plus en danger et à décongestionner le camp, qui à l’époque comptait 19 000 personnes. Des centaines de personnes ont été transférées de manière préventive hors de Moria. Pourtant, 200 personnes considérées vulnérables à la COVID-19 vivaient toujours à Moria au moment de l’incendie.

Notre équipe, en collaboration avec les autorités de santé publique, a mis en place un centre de triage et d’isolement dédié pour s’assurer que les premiers cas de COVID-19 puissent être détectés rapidement. Entre mai et juillet, nous avons traité et isolé 55 patients soupçonnés d’avoir contracté le coronavirus.

Malheureusement, en juillet, les autorités locales nous ont contraints de fermer le centre, citant des infractions administratives liées à l’urbanisme. La fermeture du centre a laissé les résidents de Moria sans soutien spécifique contre la COVID-19 et le système de santé local sans capacité d’isolement en cas d’épidémie.

Depuis le mois de mars, les couvre-feux liés à l’épidémie de coronavirus et les restrictions de mouvements des demandeurs d’asile à Moria ont été prolongés sept fois pour une période totale de plus de 150 jours. Lorsque le confinement de Lesbos a été levé et que l’ensemble de la population a retrouvé sa liberté, les habitants de Moria sont restés prisonniers. Leur confinement a été renforcé sans pour autant que leurs conditions de vie soient améliorées ou qu’une riposte à la COVID-19 soit mise en place. Pour les habitants du camp de Moria, les mesures de prévention – distanciation physique ou lavage des mains – sont impossibles. Le message qu’on leur a envoyé est clair : leur santé est moins importante que le maintien de la politique de dissuasion migratoire.

 

Politiser la COVID-19

Pour ajouter l’insulte à l’injure, le gouvernement grec a ouvertement utilisé la détection du premier cas de COVID-19 en août à Moria pour justifier de nouvelles restrictions pour les demandeurs d’asile dans les îles et promouvoir des plans de création de centres de détention.

Les mesures de santé publique, lorsqu’elles restreignent les libertés individuelles, doivent être proportionnées, nécessaires et légales. Elles doivent également être basées sur des preuves scientifiques. Il n’y a aucune preuve que la détention et le confinement dissuadent les demandeurs d’asile de quitter leur pays d’origine. Cependant, les preuves montrent clairement que la quarantaine est inefficace et même contre-productive dans des conditions de surpeuplement et d’insalubrité.

Aucune épidémie de maladie ne peut être maîtrisée avec succès sans la confiance des communautés. Nous l’avons appris à nos dépens, avec notre expérience de travail dans d’autres épidémies de maladies infectieuses. En février de l’année dernière, la réponse à Ebola menée par le gouvernement en République démocratique du Congo a été politisée et a suscité la méfiance et l’hostilité de la population locale. En conséquence, nos centres de traitement Ebola à Katwa et Butembo ont été attaqués, et le centre de Katwa a été entièrement brûlé.

Nous exhortons depuis des semaines les autorités grecques de la santé et de la migration à mettre en place un plan de réponse COVID-19 adéquat pour Moria : un plan basé sur la lutte contre les épidémies, qui compte sur la collaboration des personnes et offre de la dignité aux malades et à ceux qui pourraient infecter les autres. Les autorités grecques n’ont pas mis en place une telle réponse, tandis que l’UE a fermé les yeux et n’a rien fait pour résoudre la situation.

Les cendres de la Moria témoignent du désespoir qui a été fabriqué par un système de dissuasion, de déshumanisation et de négligence parrainé par l’État. Il ne faut pas qu’un système similaire de détention inhumaine renaisse de ses cendres, sinon le chaos et le désespoir continueront de vivre aux frontières de l’UE.