A displaced person is trained as a community agent. They will support the MSF health promotion team in the Grimari IDP site, in front of the hospital, where 8,000 people have taken refuge. © Seigneur Yves Wilikoesse
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Centrafrique : répondre aux urgences en plein conflit

Depuis fin décembre, la situation en République centrafricaine (RCA) s’est rapidement aggravée, les affrontements entre une coalition de groupes armés non étatiques et les forces gouvernementales soutenues par des troupes étrangères, qui ont débuté lors d’élections contestées, s’étant intensifiés. En réponse à cette situation, Médecins Sans Frontières (MSF) a déployé des équipes d’urgence dans tout le pays pour venir en aide aux personnes touchées par la violence qui vivent dans la peur constante d’être attaquées par toutes les parties. Voici ce que nos équipes ont trouvé à Bossembélé, Grimari et Ippy, trois zones touchées par le conflit.

Vagues de personnes déplacées, perte des moyens de subsistance et traumatismes

 

La recrudescence de la violence en RCA a déraciné des communautés entières et forcé environ 280,000 personnes à fuir leur foyer depuis décembre. MSF a vu et entendu des témoignages de civils intimidés, agressés, kidnappés et tués, et leurs villages pillés et détruits. Certaines communautés, en particulier les groupes musulmans et les Peuls, ont été stigmatisées et maltraitées. Ces populations civiles sont souvent obligées de fuir rapidement, en laissant tout derrière elles. Des familles entières restent dans des camps ou des bâtiments de fortune dans les villes, d’autres se cachent dans la brousse.

À Grimari, dans le centre de la RCA, environ 8,000 personnes ont cherché refuge devant l’hôpital local depuis la fin décembre et 3,000 autres personnes déplacées sont arrivées des régions voisines à la mi-février pour quelques jours.

Environ 1,200 personnes se sont réfugiées près de l’hôpital de Bossembélé, dans l’ouest de la RCA, tandis que le reste de ses 80,000 habitants ont fui loin de la route principale traversant la ville, et sont restés dans la brousse jusqu’à huit semaines. Les équipes MSF ont également trouvé 3,600 personnes déplacées réfugiées à l’intérieur et à l’extérieur de la ville d’Ippy.

“Nous avons entendu des rumeurs sur l’arrivée [d’hommes armés] et avons fui avec nos femmes, nos enfants et quelques biens, notamment des récoltes”, raconte Bruno, du village de Ngreko, près de Grimari. “Ils voulaient que nous restions pour combattre à leurs côtés”. Lorsque Bruno a été surpris à se cacher dans la brousse avec deux autres villageois, ils ont été pris en otage, battus et maltraités.

Pour beaucoup, la violence a gravement affecté leurs moyens de subsistance. Le bétail est mort ou a été pris par des acteurs armés. Les agriculteurs n’ont pas pu travailler dans les champs en raison de l’insécurité ou parce qu’ils ont été chassés de leurs villages. D’autres ont vu leurs maisons brûlées ou détruites.

 

“Ils ont dit qu’ils n’étaient pas là pour nous faire du mal mais pour prendre nos biens. Ils nous ont tout pris, ils ont détruit tout ce que nous avions. Ils ont même brûlé nos champs”, raconte Sylvie, une mère de cinq garçons de Grimari.

 

 

De nombreuses personnes blessées mais pas de moyens adéquats pour les soigner

 

Le 28 décembre, une attaque contre un camion transportant des civils à Grimari a tué plusieurs passagers, dont un membre du personnel de MSF, et en a blessé plusieurs autres. Une équipe MSF a évacué les blessés qui devaient être opérés vers l’hôpital régional de Bambari, à 75 kilomètres de là, car l’hôpital de Grimari n’avait ni le personnel ni le matériel nécessaires pour les prendre en charge. Les combats se sont poursuivis dans les mois qui ont suivi et ont fait des ravages parmi les civils. Vingt-cinq pour cent (30 sur 119)  des personnes souffrant de blessures de guerre traitées par MSF à Bambari depuis la reprise de la violence viennent de Grimari et des environs.

De violents combats ont eu lieu à Bossembélé, notamment autour de Boali où une centrale hydroélectrique fournit 80 % de l’électricité utilisée à Bangui, la capitale de la RCA. Pourtant, comme à Grimari, les personnes souffrant de blessures de guerre n’ont pas pu être soignées à Bossembélé, faute de personnel et d’équipements adéquats. Soixante-six patients ont dû être soignés à l’hôpital soutenu par MSF à Bossangoa, à 147 kilomètres au nord.

A Ippy, la situation était la même. EURECA, l’équipe mobile d’urgence de MSF, a traité neuf personnes souffrant de blessures de guerre, dont deux cas graves. Un patient a dû être transféré dans un hôpital soutenu par MSF à Bria pour y être opéré.

Face à la persistance des violences, MSF a renforcé les capacités des hôpitaux de Grimari, Bossembélé et Ippy en mettant en place des plans d’urgence, en formant le personnel du ministère de la Santé et d’autres ONG et en faisant don de médicaments essentiels. Les équipes médicales pourront ainsi répondre de manière autonome aux nouveaux afflux de patients, et respectivement stabiliser et traiter entre 20 et 30 blessés de guerre.

 

Pillage et destruction généralisés des centres de santé

 

La violence en RCA a davantage endommagé un système de santé qui était déjà dans un état très précaire. Les centres de santé soutenus par les ONG dans la région de Grimari, ainsi que leurs bases, ont été pillés après l’évacuation temporaire du personnel au plus fort des combats.

Le conflit, ainsi que les actes de violence directe contre la mission médicale, ont gravement perturbé l’approvisionnement en ressources médicales. En conséquence, la plupart des centres de santé situés près d’Ippy sont à court de médicaments, notamment ceux nécessaires au traitement des principales causes de décès en RCA, comme le paludisme. A Kouchou, un village près d’Ippy, le personnel de MSF a trouvé le centre de santé complètement pillé et détruit.

La même chose s’est produite à Bossembélé, où de nombreux établissements de santé ont été pillés, souvent plus d’une fois et par toutes les parties au conflit. Le personnel médical s’est caché dans la brousse avec d’autres membres de leurs communautés. Les différents acteurs armés dans la région ont souvent utilisé les centres de santé comme bases temporaires.

Le personnel des centres de santé de toute la région va devoir repartir de zéro, car les médicaments, le matériel médical, le mobilier, les panneaux solaires et les réfrigérateurs ont été pris ou détériorés.

“Nous avons trouvé les murs et les toits endommagés par des impacts de balles, et des tâches de sang sur les murs”, explique Renate Sinke, coordinatrice des projets d’urgence MSF, à propos de Boyali, un petit village près de Bossembélé. “Toutes les parties au conflit doivent respecter et protéger les infrastructures médicales en tout temps.”

 

Des besoins sanitaires et humanitaires non satisfaits

 

En réponse à la détérioration de la situation, MSF a commencé à organiser des cliniques mobiles dans les structures de santé existantes, les écoles et les sites de déplacés. À Grimari et Bossembélé, les équipes d’urgence de MSF ont organisé des cliniques mobiles de janvier à mars. À Ippy et dans les villages environnants, l’équipe EURECA a organisé des cliniques mobiles de début février à début avril et a prévu d’effectuer des visites de suivi pour surveiller la situation et atteindre d’autres villages reculés depuis Ippy.   

Les équipes MSF ont effectué 5,307 consultations entre décembre et avril, en se concentrant sur les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes et les cas d’urgence. De nombreuses personnes rencontrées par MSF avaient un besoin urgent d’assistance médicale. À Grimari et Bossembélé, plus de la moitié des patients traités par nos équipes souffraient de paludisme (59 %), l’une des principales causes de mortalité en RCA et le principal motif de consultation dans le pays. Les autres patients souffraient de parasitoses, de maladies diarrhéiques et d’infections des voies respiratoires.

“Je suis malade depuis que nous avons fui dans la brousse. J’ai froid tout le temps et j’ai des douleurs dans tout le corps. Je vomis constamment et j’ai la diarrhée. Les plantes et les remèdes traditionnels m’ont aidés pendant les deux ou trois semaines que nous avons passées dans la brousse “, raconte Thérèse, une femme déplacée qui se trouve actuellement à Grimari et qui n’a malheureusement pas fait partie des 2,197 enfants, femmes enceintes et personnes en situation d’urgence soignées par la clinique mobile de MSF à Grimari. ” Quand je suis arrivée ici, mon état a empiré. Je ne peux pas aller à l’hôpital car je n’ai pas d’argent. Nous avons tout perdu. “

La mise en place de systèmes d’eau potable et d’assainissement a constitué une partie importante de la réponse. Les équipes MSF ont installé des latrines et des douches dans les enceintes des hôpitaux de Grimari et Bossembélé où les gens se sont réfugiés et ont mis de l’eau potable à disposition. À Ippy et dans les villages environnants, des activités d’approvisionnement en eau et d’assainissement ont également été menées dans les sept centres de santé visités et évalués par l’équipe EURECA.

Saidou Ibrahim, un jeune garçon de 10 ans originaire d’Ippy, était tombé lorsqu’il était enfant en jouant avec ses amis. Il s’agissait d’une simple blessure qui s’était sérieusement infectée au fil des ans. La douleur l’empêchait de marcher et de parler. Au début, ses proches l’ont aidé à payer le traitement hospitalier, mais ils ont dû arrêter parce qu’ils n’en avaient pas les moyens, même si l’hôpital n’était qu’à un kilomètre de chez lui. La famille a alors eu recours à la médecine traditionnelle pendant près de quatre ans, mais cela n’a rien donné. Lorsque l’équipe d’urgence de MSF a rencontré Saidou dans un site de personnes déplacées, il était dans un très mauvais état. Ils l’ont envoyé à l’hôpital où son pansement a été changé tous les trois jours pendant plus de deux semaines. Sans ce traitement, il aurait perdu sa jambe. Il se rétablit maintenant doucement.

Au-delà des besoins sanitaires, souvent aucune autre organisation humanitaire n’était présente dans les zones touchées par la violence. En conséquence, de nombreuses personnes déplacées manquent de protection, de nourriture, d’abris adéquats ainsi que d’eau potable et d’assainissement.

 

Augmentation de la violence sexuelle, notamment des viols collectifs 

 

Comme c’est souvent le cas lors des conflits, la violence sexuelle s’est généralisée dans toute la région. ” Les femmes sont particulièrement vulnérables et se sont retrouvées prises dans des viols collectifs perpétrés par des hommes armés “, explique Narin Fandoglu, coordinatrice de l’équipe mobile d’urgence EURECA.

À Ippy et ses environs, MSF a offert une prise en charge médicale et psychologique à 29 survivantes de la violence sexuelle. Parmi elles, 21 femmes ont été violées lors de de deux viols collectifs, qui ont eu lieu au même endroit et à seulement deux semaines d’intervalle. A Grimari et Bossembélé, MSF a traité 16 survivantes de la violence sexuelle. Nous avons également formé le personnel hospitalier à la prise en charge des patients ayant subi des violences sexuelles et fait don de médicaments et de matériel à cet effet.

Moins de la moitié des survivantes de la violence sexuelle vues par le personnel de MSF sont arrivées dans les 72 heures suivant l’événement. Cette proportion est inquiétante, car recevoir des soins médicaux dans les trois premiers jours suivant une agression sexuelle réduit considérablement le risque de grossesses non désirées et de transmission de maladies, dont le VIH.

“Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. De nombreuses femmes ne viennent pas nous voir parce qu’elles ont peur des représailles, que ce soit de la part de leurs agresseurs ou de leur propre communauté”, explique Narin. “La procédure judiciaire est aussi un long processus qui n’est pas accessible depuis les provinces. Cela les décourage beaucoup. “

A Grimari, MSF a organisé des discussions de groupe pour sensibiliser les communautés à cette question et réduire la stigmatisation.