Un promoteur de santé de MSF fournit des informations sur les services de planification familiale aux femmes qui attendent une consultation à l'hôpital universitaire régional de Bangassou (HRUB). RCA, 2023. © MSF
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Centrafrique : une urgence sanitaire oubliée

Dans l’ombre du conflit, la République centrafricaine (RCA) est aux prises avec une crise sanitaire qui dure depuis des décennies. Dans ce pays de 5,5 millions de personnes, l’accès aux soins est quasiment impossible et l’espérance de vie dépasse à peine 54 ans. Pendant des années, Médecins Sans Frontières (MSF) a multiplié les appels aux gouvernements et aux acteurs humanitaires pour qu’ils agissent davantage. Pourtant, la situation s’aggrave. Nos équipes et les communautés que nous soutenons s’interrogent : où est tout le monde ?

« En arrivant ici, j’ai eu l’impression de tomber dans le vide », raconte le Dr Louis-Marie Sabio dans la cour de l’hôpital secondaire de Bakouma. Le Dr Sabio — ancien médecin de MSF dans cette ville — en a pris la direction au début 2023. Cette structure est destinée à prendre en charge les cas de complications chirurgicales, dans cette zone instable du nord-ouest du Mbomou, près de Nzacko.

« Pendant 12 ans, pas un seul médecin n’a été présent ici, explique-t-il. L’hôpital était géré par un assistant de santé. Enfin, quand je dis “hôpital”, c’est un grand mot. Il n’y a pas d’électricité, pas d’ambulance, des lits sans matelas… À mon arrivée, il n’y avait même pas de thermomètre. Pas de tensiomètre. Pas d’oxymètre pour prendre le pouls. Pas de glucomètre. Rien. Et la pharmacie, n’en parlons même pas : elle est vide. »

Les hôpitaux secondaires tels que celui de Bakouma sont censés fournir des soins plus avancés que les postes de santé, les centres de santé et les hôpitaux de district. Cependant, le Dr Louis-Marie Sabio a du mal à donner ne serait-ce que des soins de base. L’hôpital est vide et étrangement silencieux. En dépit de sa taille, moins de 10 patientes et patients sont alités. Des poules se promènent dans les couloirs et dans les salles, se faufilant entre les balances cassées et les tables rouillées. À part MSF qui organise des vaccinations et le transfert des malades graves en ambulance jusqu’à Bangassou, l’établissement ne reçoit aucun autre soutien. Les gens savent donc que, par manque de moyens humains et matériels, ils ont peu de chance de trouver l’aide médicale dont ils ont besoin, malgré la bonne volonté du Dr Sabio.

« Nous sommes 18 personnes à travailler dans cet hôpital, mais je suis le seul à avoir une formation médicale », poursuit le jeune médecin. « En raison de nos ressources techniques limitées, nous ne pouvons pas assurer le minimum requis d’un hôpital. Puisqu’on n’a pas d’électricité, on ne peut faire ni échographie ni radio. Le bloc opératoire est pour ainsi dire vide. Il y a juste un petit panneau solaire pour alimenter deux ampoules. Quand les gens ont besoin de médicaments, il faut les envoyer au marché et espérer qu’ils trouvent quelque chose. »

Une situation sanitaire critique

 Le manque de fournitures, de personnel et de soutien se retrouve dans les établissements de santé de toute la RCA. Selon l’OMS et le ministère de la Santé, moins de la moitié des structures de soins sont pleinement opérationnelles. Le ratio médecins/population est alarmant, avec seulement 0,6 médecin pour 10 000 personnes — l’un des plus faibles au monde.

Des décennies d’instabilité politique et de violence entre groupes armés ont plongé le pays dans une situation humanitaire critique, avec plus de la moitié des six millions de gens ayant aujourd’hui besoin d’aide humanitaire en RCA. L’espérance de vie dans le pays n’est que de 54 ans. Les femmes enceintes sont exposées à un risque important de décès ou de maladie grave en raison de la pénurie de gynécologues. Le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevés au monde.

« On se sent souvent seuls »

MSF compte près de 2 800 membres du personnel dans le pays – c’est l’un de nos programmes les plus importants dans les 75 pays où nous sommes présents. La plupart sont recrutés localement et travaillent sans relâche pour aider les autorités sanitaires et les communautés à améliorer l’accès aux soins dans certaines des régions les plus négligées. Ainsi, dans la préfecture du Mbomou, MSF soutient 15 structures de soins, depuis les petits postes de santé isolés jusqu’à l’hôpital régional universitaire de Bangassou (HRUB), une structure de référence spécialisée desservant une région de la taille de la Grèce.

Lancés initialement comme réponse d’urgence aux violences massives qui ont secoué le pays en 2013-2014, les programmes de MSF dans cette région desservent désormais une grande partie de la préfecture. Des équipes mobiles sillonnent les structures de soins afin de leur fournir équipements, vaccins et médicaments essentiels qui peuvent aider à traiter les maladies infantiles courantes dans la région (paludisme, diarrhée, infections respiratoires). Elles forment aussi le personnel soignant et organisent les transferts des cas graves vers Bangassou, où MSF appuie la quasi-totalité des services essentiels.  

« Notre objectif est de renforcer l’offre de soins à tous les échelons, afin de réduire la mortalité dans cette région », explique Pelé Kotho-Gawe, infirmier superviseur des activités mobiles de MSF à Bangassou.

Cependant, les besoins restent largement négligés, car MSF n’est pas — et ne peut pas être — partout. Les organisations humanitaires sont rares dans cette région, même si la violence s’est quelque peu calmée ces dernières années. Le manque d’accès à l’eau ou à l’électricité dans les structures de soins, en plus des difficultés économiques de la population, exacerbe la crise sanitaire massive, que MSF ne peut pas résoudre seule.

« On fait face à des réalités qui rendent parfois ce travail sans fin », souligne Pelé Kotho-Gawe. « On peut bien soigner les enfants qui souffrent de diarrhée, mais si personne ne vient creuser des puits, ça ne prendra jamais fin, car les gens continueront de boire de l’eau non traitée. C’est la même chose pour le paludisme : on arrive dans des centres de santé où on a 90 % de tests positifs au paludisme, on assure les soins gratuits aux enfants, mais personne dans la zone ne fait de travail préventif, de distribution de moustiquaires. Il y a parfois des organisations qui passent, mais on ne les voit pas beaucoup, et on se sent souvent seuls face à la tâche. Et MSF ne peut clairement pas tout faire seule… », explique Pelé Kotho-Gawe.

L’hôpital de Bangassou, miroir de la crise actuelle

En sillonnant la préfecture, de poste de santé en centre de santé, le constat est partout le même. Sans l’appui de MSF, les pharmacies seraient vides et les soins seraient hors de portée financière des parents. Quant aux femmes, elles accoucheraient sans la surveillance de personnel qualifié.  

Mais cet appui ne suffit pas, comme le rappelle brutalement l’hôpital de Bangassou. Cet établissement est le dernier espoir pour les cas compliqués qui ne peuvent être pris en charge ailleurs. En d’autres mots : les patientes et les patients affluent ici jour et nuit, transportés parfois sur des centaines de kilomètres à moto sur des terrains accidentés, faute de prise en charge ou de médicaments disponibles.

Guy*, 4 ans, est arrivé dans le coma. Il souffre de diabète de type 1, une maladie qui nécessite des injections d’insuline à vie. Ses parents l’ont amené à Bangassou depuis Bao, à plus de 100 kilomètres de là, car les hôpitaux proches de son domicile ne disposaient pas d’insuline.

René, un nouveau-né, est admis pour la troisième fois aux soins intensifs pour malnutrition sévère, les programmes de prévention de la malnutrition autrefois gérés par une ONG internationale ayant été arrêtés à Bangassou.

Fanny, 20 ans, a été transférée de Bakouma, à 130 kilomètres de Bangassou, car le Dr Louis-Marie Sabio et son équipe n’avaient pas les médicaments et l’équipement nécessaire pour soigner sa plaie au dos.

« Dans une situation normale, des patientes et des patients comme Fanny devraient être traités dans mon hôpital », explique le médecin, présent à l’hôpital de Bangassou pour une séance de formation de MSF. « Mais vous avez vu comme moi dans quel état ma structure se trouve. Je dois encore transférer des gens qui ne devraient logiquement pas l’être. Faute de moyens, je dois même transférer des gens sans pouvoir les stabiliser au préalable, sans savoir s’ils vont survivre. L’autre jour, j’ai dû envoyer en urgence un bébé vers Bangassou. À moto, puisqu’on n’a pas d’ambulance. On n’a pas pu le stabiliser, et il est mort à quelques kilomètres d’ici. Sur la moto… »

Où est tout le monde ?

« La situation sanitaire en République centrafricaine est choquante, mais je suis presque aussi choqué par le manque d’attention de la part de la communauté internationale », dénonce René Colgo, chef de mission de MSF en RCA.

« Malgré l’ampleur de la crise et des statistiques affolantes, le sort de la population reste largement méconnu du monde extérieur, et le financement humanitaire pour le pays est loin de répondre à l’ampleur des besoins. Pour des raisons liées à l’insécurité ou aux contraintes logistiques, les ONG ne sont pas toujours présentes dans les zones où les besoins sont les plus criants. Il faut faire beaucoup plus pour soutenir les populations. Où est tout le monde ? Nous ne pouvons et ne devons pas nous habituer à voir la RCA en tête des pires classements humanitaires. »

Pour que les choses changent, il est grand temps de voir la situation en RCA pour ce qu’elle est vraiment : une crise humanitaire grave et durable qui nécessite la mobilisation de tout le monde.

* Les noms ont été modifiés