Des membres de l’équipe de MSF aident une personne à monter sur un bateau de sauvetage. De là, les gens monteront avec d’autres à bord d’un plus grand navire de sauvetage. Mer Méditerranée, 1er juin 2023. MSF/Skye McKee
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« Certaines personnes rescapées m’ont montré leurs cicatrices et m’ont raconté comment elles avaient été battues par les gardes en Libye. »

Par Niamh Burke
Infirmière MSF MSF

Médecins Sans Frontières (MSF) poursuit ses activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée pour soutenir les personnes en détresse qui fuient les crises. Enfants et adultes, quels qu’ils soient, tous ceux et celles que nous assistons en mer se trouvent en situation de vulnérabilité. Nous voyons des personnes du monde entier entreprendre de dangereux voyages.

Par Niamh Burke, infirmière MSF

Dans l’obscurité presque totale du premier soir de l’année 2023, nous nous sommes approchés d’une embarcation fragile qui flottait sur les vagues dangereuses de la mer Méditerranée, à des kilomètres du rivage.

Depuis ma position à l’avant de l’un des deux bateaux de sauvetage à grande vitesse de MSF, il était difficile d’évaluer combien de personnes se trouvaient à bord.

Je me demandais dans quel état elles se trouvaient, probablement affamées, fatiguées et traumatisées, ainsi que trempées par les embruns que soulèvent les vents océaniques.

Cela faisait quand même trois jours que ces personnes étaient sur l’eau, à l’étroit, et exposées aux éléments dans une embarcation sans abri, avec peu d’eau et de nourriture.

Nos collègues du premier bateau de sauvetage se sont approchés de l’embarcation pour distribuer des gilets de sauvetage aux personnes à bord. De notre côté, nous restions à distance pour faire le guet au cas où des gens tomberaient à l’eau.

L’étroite embarcation en aluminium était très instable. Elle se balançait au gré du courant et basculait de côté lorsque les gens se déplaçaient. Soudain, elle a chaviré, plongeant 41 personnes dans la mer sombre de janvier.

Heureusement, les gens avaient eu le temps d’enfiler les gilets de sauvetage qui leur avaient été distribués. Toutefois, cela faisait quand même trois jours que ces personnes étaient sur l’eau, à l’étroit, et exposées aux éléments dans une embarcation sans abri, avec peu d’eau et de nourriture. Leur niveau d’énergie pour rester à flot était faible et elles étaient terrifiées par le choc du froid.

Nous avons immédiatement commencé à travailler pour sortir les gens de l’eau. Après de nombreux efforts avec des structures gonflables et des mains tendues sous nos projecteurs, nous avons pu remonter tout le monde, sain et sauf, dans les bateaux de sauvetage. Nous avons immédiatement transporté ces gens au Geo Barents, le navire de recherche et de sauvetage de MSF. Puis nous sommes revenus dans la zone de sauvetage pour commencer les recherches pour trouver d’éventuels survivants et survivantes entre les jerricans de carburant et d’autres débris.

Certaines personnes ont contracté la gale à la suite de leur détention dans des conditions inhumaines et surpeuplées en Libye, et d’autres souffrent de blessures chroniques et de cicatrices dues à la torture et à la violence physique.

De touchants témoignages de personnes rescapées

Enfin, tout le monde a été recensé. De retour sur le Geo Barents, le reste de notre équipe était sur le pont pour faire un premier triage et s’assurer que les gens qui avaient besoin de soins médicaux les recevaient en premier. Nous avons soigné quelques survivants et survivantes pour hypothermie, mais l’issue aurait pu être bien pire. Nous avons eu beaucoup de chance qu’il n’y ait pas d’autres personnes blessées ou même noyées.

Cette opération de sauvetage était ma première en tant que membre d’une équipe de recherche et de sauvetage de MSF. Elle m’a montré à quel point la situation des personnes qui font le voyage désespéré à travers la Méditerranée est précaire.

Les membres de l’équipe de MSF prêtent assistance aux survivants et survivantes d’un bateau en bois de deux étages essayant de traverser la Méditerranée. Mer Méditerranée, 2022. © Andrea Monrás/MSF

Les personnes rescapées présentent une série de problèmes médicaux dus à leur périlleux voyage en mer et à leur expérience en Libye ou ailleurs le long de leur route migratoire. Après avoir été détenues, puis accroupies dans un bateau pendant des jours, les survivants et les survivantes souffrent fréquemment d’hypothermie, de douleurs musculaires et de maux de tête. Souvent, les gens qui se trouvent sur ces bateaux souffrent aussi de brûlures dues au carburant, dont l’effet sur la peau se poursuit jusqu’à ce qu’il soit éliminé par lavage. La convalescence peut être très douloureuse. Certaines personnes ont contracté la gale à la suite de leur détention dans des conditions inhumaines et surpeuplées en Libye, et d’autres souffrent de blessures chroniques et de cicatrices dues à la torture et à la violence physique. 

Le personnel médical de MSF à bord du Geo Barents est disponible pour discuter avec ceux et celles qui le souhaitent. Certaines personnes m’ont montré leurs cicatrices et m’ont raconté avoir été battues par les gardes en Libye et forcées de boire de l’eau dans les toilettes. Ils ou elles ont raconté avoir reçu des coups avec du plastique chauffé, du bois et des barres de fer. Certaines survivantes avaient subi des violences sexuelles.

Une fois, j’ai vu un bateau en détresse être repoussé par les garde-côtes libyens, ce qui a été l’un des pires moments de mon séjour sur le Geo Barents.

De nombreux individus ayant été interceptés par les garde-côtes sont détenus arbitrairement dans des prisons libyennes ou dans des centres qui ressemblent à des prisons. Certains ont été détenus dans des maisons de passeurs ou des fermes, où ils travaillent sans être payés. On m’a raconté les tentatives précédentes de traversée de la Méditerranée, les tirs sur les bateaux et les retours forcés en Libye, ainsi que les abus dont ces gens ont été victimes dans ce pays.

À une occasion, j’ai vu un bateau en détresse repoussé par les garde-côtes libyens, ce qui a été l’un des pires moments de mon séjour sur le Geo Barents. Les garde-côtes libyens nous ont demandé de ne pas nous approcher de la scène pendant l’interception, et même si nous étions en tenue de sauvetage, prêts à partir, nous ne pouvions rien faire pour les aider.

Cela a été très difficile d’assister à l’embarquement forcé des survivants et des survivantes à bord du bateau des garde-côtes libyens, sachant que ces gens seraient ramenés en Libye, en violation du droit international. Nous savions qu’ils seraient ramenés dans des prisons et des entrepôts, et qu’ils subiraient les mêmes abus dont de nombreuses personnes rescapées à bord du Geo Barents nous avaient parlé.

Une situation de plus en plus difficile

Un nouveau décret du gouvernement italien visant à entraver le travail des organisations non gouvernementales de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée a rendu la situation encore plus difficile. Avant l’entrée en vigueur du décret, au début de l’année 2023, nous pouvions effectuer trois, quatre ou cinq sauvetages avant de rejoindre un port de sécurité, généralement à proximité, comme la Sicile.

Depuis le début de l’année 2023, les ports assignés par les autorités italiennes sont plus éloignés. Tout ce temps que nous passons à voyager vers des ports éloignés du nord de l’Italie, nous ne le passons pas dans les zones où l’on a besoin de nous. Il est également très difficile d’effectuer les longs aller-retour avec un bateau vide, sachant très bien que pendant ce temps, des gens se noient en mer. 

Je n’oublierai jamais le débarquement des personnes dont le bateau avait chaviré. Des hommes âgés se sont mis à pleurer, alors que nous leur disions au revoir, car je pense qu’ils croyaient qu’ils allaient mourir. Ces hommes avaient de la famille à la maison qu’ils ne reverraient peut-être jamais plus.

Il est toujours agréable de voir les survivantes et les survivants repartir sains et saufs après un voyage aussi difficile et dangereux, mais d’autres défis les attendent alors qu’ils entament leur nouvelle vie en Europe.

Niamh Burke, infirmière à bord du Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage de MSF.