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Cinq éléments à inclure dans l’accord sur les pandémies

Compte tenu de l’impact mondial de la pandémie de COVID, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mis en place un processus de négociation d’un accord visant à mieux prévenir les futures pandémies, à s’y préparer et à y répondre. Ce processus est communément appelé « accord sur les pandémies ». Depuis février 2023, les gouvernements négocient le texte de l’accord, dont le résultat devrait être présenté en mai 2024 lors de l’Assemblée mondiale de la santé.

En tant qu’organisation humanitaire médicale internationale qui fournit des soins médicaux aux populations pendant les crises, Médecin Sans Frontières (MSF) a répondu à de nombreux foyers de maladies infectieuses, épidémies et pandémies au cours des 50 dernières années. Ces expériences ont montré qu’un accès rapide, équitable et abordable aux produits médicaux tels que les médicaments, les vaccins et les tests de diagnostic est crucial pour une réponse efficace aux urgences sanitaires. Sur la base de nos expériences, nous pensons que les gouvernements doivent prendre les cinq mesures suivantes pour s’assurer que l’accord mondial sur les pandémies préserve l’accès aux produits médicaux.

1. Donner la priorité à l’accès équitable mondial et aux besoins médicaux humanitaires dans les efforts internationaux de stockage et d’allocation

La constitution et le maintien de réserves de produits médicaux sont incontournables dans la stratégie visant à aider à se préparer et à répondre aux urgences sanitaires. Les réserves de produits médicaux peuvent être constituées par les pays pour mieux se préparer à une situation d’urgence. Elles peuvent aussi être mises en place et gérées au niveau international pour répondre à une épidémie, afin d’assurer une activation et une livraison rapides aux pays lorsqu’une urgence survient. Les réserves internationales sont particulièrement importantes lorsque l’on prévoit une pénurie d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Elles se sont d’ailleurs avérées efficaces pour garantir un accès équitable lors d’épidémies multiples.

Toutefois, certains efforts de stockage nationaux pourraient entrer en concurrence avec les besoins internationaux. Les réserves de traitements contre le virus Ebola en sont un bon exemple. Alors qu’il existe aujourd’hui deux traitements approuvés pour la maladie à virus Ebola, la quasi-totalité de l’approvisionnement mondial est inutilisée dans la réserve nationale de biosécurité des États-Unis. Par conséquent, les personnes les plus touchées par Ebola dans les pays où la maladie est endémique ne peuvent compter que sur des dons ad hoc pour être traitées. À ce jour, aucun mécanisme international de stockage et d’allocation n’existe pour garantir l’approvisionnement en vue d’éventuelles nouvelles épidémies. 

Les équipes de MSF ont également constaté que les personnes vivant dans des zones de conflit et dans d’autres contextes de crises humanitaires étaient souvent laissées pour compte lorsqu’il s’agissait d’accéder aux produits médicaux liés à la COVID. Un mécanisme mondial a bien été créé pendant la pandémie de COVID pour fournir des vaccins aux gens vivant des crises humanitaires. Cependant, ce mécanisme s’est avéré excessivement long, complexe, opaque et, en fin de compte, inadapté lorsque MSF a essayé de l’utiliser.

L’accord doit définir des règles claires pour garantir l’approvisionnement des réserves internationales en vue d’un accès équitable à l’échelle mondiale. Il doit aussi empêcher que les efforts nationaux de stockage n’entrent en concurrence avec les besoins d’accès à l’échelle mondiale. Les besoins humanitaires et de santé publique doivent être placés au centre de l’élaboration des priorités et de la prise de décision concernant les efforts de stockage et d’allocation.

2. Relever les défis de la propriété intellectuelle pour protéger le droit à la santé et l’accès aux médicaments

L’expérience de MSF dans la lutte contre le VIH, la tuberculose, Ebola, la COVID et d’autres maladies infectieuses a clairement montré que les monopoles de marché soutenus par la propriété intellectuelle (PI) peuvent entraver l’accès rapide et équitable des personnes dans le besoin aux produits médicaux qui sauvent des vies. Les grandes sociétés pharmaceutiques utilisent fréquemment la PI pour exclure leurs concurrents et pratiquer des prix élevés.

Le droit commercial international prévoit une certaine flexibilité permettant aux gouvernements de surmonter les obstacles à la PI. Les États n’ont cependant pas tous intégré cette flexibilité dans leur législation nationale. En outre, les pays sont souvent confrontés à des difficultés lorsque les négociations sur le commerce et l’investissement menacent de compromettre leur capacité à utiliser cette flexibilité.

L’accord doit préciser qu’il incombe aux gouvernements d’intégrer et d’utiliser toute la flexibilité juridique envisageable pour assurer l’accès le plus large possible aux produits médicaux, à la fois pour se préparer et pour répondre aux urgences sanitaires. Les tentatives d’introduction de règles plus strictes en matière de PI dans les négociations commerciales doivent être rejetées. Les gouvernements doivent également convenir de dérogations limitées dans le temps en ce qui concerne la PI, à titre de mesure supplémentaire visant à soutenir l’augmentation rapide de la production et de l’approvisionnement mondiaux en fournitures médicales en cas d’urgence.

3. Veiller à ce que les produits médicaux bénéficiant de contributions publiques soient accessibles aux personnes qui en ont besoin

Le soutien gouvernemental et public est essentiel pour l’innovation biomédicale. Le secteur public contribue de manière substantielle à la recherche et au développement (R-D) par le biais d’aides, de subventions et de crédits d’impôt. Toutefois, l’accès aux fournitures médicales financées par l’État et nécessaires à l’échelle mondiale est souvent restreint. En effet, le secteur privé est autorisé à revendiquer la PI pour lui-même et à déterminer les prix, la production et l’approvisionnement des produits médicaux. Cette situation s’explique principalement par le fait que les investissements publics dans la recherche et le développement ne sont pas assortis de conditions claires pour garantir un accès mondial. 

L’exemple de la bédaquiline, médicament contre la tuberculose — le premier nouveau médicament en un demi-siècle pour traiter la première cause de mortalité infectieuse dans le monde — en est la preuve. La recherche a estimé que la contribution publique au développement de la bédaquiline était cinq fois supérieure à celle de Johnson & Johnson (J&J), l’entreprise qui en a obtenu le brevet. Pourtant, cet investissement public ne s’est pas traduit par un accès au médicament pour les personnes qui en avaient besoin, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI). Pendant une décennie, J&J a en effet fixé le prix du médicament hors de portée pour ces pays, depuis son lancement en 2012.  

Au-delà des pays qui contribuent financièrement à la R-D des produits médicaux, les communautés des pays en développement apportent aussi souvent des contributions essentielles. Elles accueillent et participent à des essais cliniques qui génèrent des données cruciales, permettant finalement à un produit d’être développé et approuvé. Pourtant, leur contribution n’est pas reconnue du tout. Il existe des lignes directrices médicales et éthiques internationales sur le partage des bénéfices des essais cliniques avec les communautés participant aux essais et avec les pays en développement ayant des besoins médicaux. Ces lignes directrices sont toutefois mal mises en œuvre. 

L’accord sur la pandémie doit inclure des règles comportant des conditions pour garantir l’accès aux produits médicaux dont le développement a bénéficié d’un financement public. Ces conditions devraient comprendre une tarification abordable et transparente des produits, ainsi que l’octroi de licences à plusieurs firmes productrices dans différentes parties du monde afin de garantir un approvisionnement suffisant et de surmonter les pénuries potentielles. Elles pourraient inclure également la mise à disposition du produit dans les stocks mondiaux et la transparence des entreprises en ce qui concerne la tarification, les coûts, le statut de la PI et la capacité d’approvisionnement. Nous devons de plus nous mettre d’accord sur des règles qui intègrent les lignes directrices internationales en matière d’éthique médicale. Cela permettrait de garantir l’accès aux produits finis après les essais cliniques, en particulier pour les communautés dans les pays en développement.

4. Sauvegarder la transparence, la responsabilité et le droit du public à l’information en limitant la confidentialité et les secrets commerciaux

L’accès à l’information est un facteur déterminant de l’accès rapide, fiable et abordable aux produits médicaux. Mais d’après l’expérience de MSF, l’obtention d’informations pertinentes s’est souvent avérée difficile, que ce soit pendant ou en dehors des pandémies.

Par exemple, alors que les sociétés pharmaceutiques affirment fréquemment que les prix élevés des médicaments et autres produits médicaux sont dus aux coûts élevés de la R-D, elles ne divulguent généralement pas ces coûts. Il est donc compliqué d’estimer si et comment les coûts de R-D influencent le prix des produits et de négocier des prix plus équitables. 

Les informations sur les prix, la PI et les licences, ainsi que la production et l’approvisionnement en fournitures médicales dans les accords de financement et d’achat, sont également essentielles pour comprendre les options d’accès et pour demander des comptes aux entreprises pharmaceutiques et aux gouvernements. Or, ces informations ne sont souvent pas disponibles en raison des demandes de confidentialité des entreprises.

Si l’accord reconnaît la transparence comme un principe clé, il devrait aller plus loin et inclure des obligations pour les gouvernements, afin d’améliorer l’accès à l’information et d’interdire l’utilisation de clauses de confidentialité. Cela est particulièrement nécessaire dans les accords d’achat et de passation de marchés lorsque l’accès aux produits médicaux est en jeu. À tout le moins, les engagements de transparence de la résolution 72.8 de l’Assemblée mondiale de la santé sur la transparence devraient faire partie des exigences obligatoires.

5. Introduire un mécanisme international d’accès et de partage des bénéfices afin de garantir que les fruits de la R-D soient partagés équitablement avec toutes les organisations contributrices

Le partage en temps utile de matériel biologique tel que les agents pathogènes est une composante essentielle de la coopération internationale en matière de santé. Il joue un rôle crucial dans la préparation et la réponse aux urgences sanitaires mondiales. Le partage des agents pathogènes et des données séquentielles connexes avec les scientifiques et les laboratoires permet de développer des produits médicaux tels que des trousses de diagnostic, des médicaments et des vaccins. Toutefois, comme l’a montré la pandémie de grippe aviaire, il n’existe pas de mécanisme mondial garantissant que les sociétés pharmaceutiques qui ont accès aux agents pathogènes et aux données connexes pour le développement de produits partagent ces produits de manière adéquate, afin de permettre un accès équitable à leurs produits à l’échelle mondiale.

Le principe de l’accès et du partage des avantages peut remédier à cette injustice en imposant aux entités l’obligation de partager les avantages résultant de leur accès et de leur utilisation des ressources génétiques. Il a vu le jour dans le contexte de la Convention sur la diversité biologique de 1992 et a été concrétisé dans le domaine de la santé mondiale par le Cadre de préparation en cas de grippe pandémique élaboré par l’OMS. Un mécanisme international d’accès et de partage des avantages a été proposé dans le cadre des négociations de l’accord sur la pandémie. Les exigences concrètes en matière de partage des avantages qui peuvent déboucher sur un accès juste et équitable aux fournitures médicales devraient comprendre l’affectation d’une partie de la production et de l’approvisionnement mondiaux à des mécanismes mondiaux de stockage et d’allocation équitable. Ces exigences devraient aussi inclure le transfert de technologie et de savoir-faire aux fabricants, en particulier dans les pays et les régions aux ressources limitées