Vue rapprochée d'un paracheck (test de diagnostic rapide du paludisme) dans l'une des 17 publications communautaires responsables de l'équipe de gestion intégrée des cas communautaires (ICCM) à Abyei. Soudan du Sud, 2023. © Sean Sutton/Panos Pictures
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La préparation aux pandémies doit tenir compte tant des outils existants que des maladies existantes

Adam R. Houston
Chargé du plaidoyer et des politiques médicales

Une version de cet article est publiée dans la revue numérique Options Politiques (disponible seulement en anglais). 

La proposition de texte de l’accord de l’Organisation mondiale de la santé sur les pandémies faisant l’objet de négociation, publiée le 30 octobre, contient des dispositions non seulement sur l’accès équitable aux produits de lutte contre les pandémies tels que les médicaments et les vaccins, mais aussi sur la production durable de ces produits. Par chance, les propositions canadiennes qui auraient compromis l’accès équitable n’ont pas été entièrement intégrées dans cette version. Néanmoins, tout au long de l’élaboration de cet accord et d’autres récents instruments internationaux et internes pour lutter contre les pandémies, la discussion a constamment porté sur des outils novateurs contre des agents pathogènes nouveaux ou émergents. Une production durable doit avoir à la fois une dimension rétrospective et prospective; la communauté internationale ne peut pas perdre de vue le besoin persistant d’accès aux outils dont on dispose déjà pour s’attaquer aux vieux ennemis des pandémies antérieures.

Le mois d’octobre a aussi marqué le premier anniversaire de la suspension du schéma habituel à deux doses du vaccin anticholérique que le Groupe international de coordination (GIC) – organe international qui gère l’approvisionnement d’urgence en vaccins pendant les grandes épidémies et dont les membres comprennent entre autres l’Organisation mondiale de la santé et Médecins Sans Frontières (MSF), s’était vu obligé d’annoncer en raison d’une pénurie mondiale de ce vaccin. Cependant, en dépit de l’administration réduite à une dose moins efficace, le stock géré par le GIC était vide en décembre. Cette grave pénurie a coïncidé avec une forte poussée de choléra en 2022, à l’origine de deux fois plus de cas recensés que l’année précédente. Des cas ont été signalés dans 44 pays, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2021; sept d’entre eux ont signalé plus de 10 000 cas. En 2023, le choléra, de même que l’accès aux vaccins anticholériques, demeure un sérieux motif de préoccupation.

Il est pour le moins curieux que les vaccins contre la COVID-19 aient en grande partie motivé la négociation liée à un accès équitable alors que les vaccins anticholériques n’ont suscité que peu d’intérêt malgré la pénurie actuelle. C’est en raison des multiples pandémies de choléra au XIXe siècle que des pays se sont réunis pour la première fois afin de constituer le premier instrument juridique multilatéral en riposte aux maladies infectieuses. Le Règlement sanitaire international d’aujourd’hui, qui fait aussi actuellement l’objet d’une réforme, est l’héritier direct de ce premier instrument visant principalement le choléra depuis plus de 130 ans. Le choléra reste un problème mortel pour bien trop de gens. Il est vital de veiller à un accès mondial équitable aux nouvelles découvertes, des vaccins contre la COVID-19 et le VRS aux thérapies à anticorps monoclonaux contre Ebola et différents cancers, tout comme il est vital de veiller à la disponibilité des outils éprouvés aux personnes qui en ont encore besoin.

La pénurie montre par ailleurs à quel point le maintien d’un accès pérenne à des outils déjà en place a été relégué au second plan à l’échelle internationale. La principale raison qui a conduit à la pénurie actuelle est que les sociétés pharmaceutiques n’estiment pas que les vaccins anticholériques contre les épidémies touchant des pays à faible revenu soient un marché suffisamment lucratif. De fait, la décision de Shantha Biotechnics, filiale du géant pharmaceutique Sanofi et l’un des deux seuls fabricants du vaccin anticholérique dans le stock géré par le GIC, d’arrêter la production à la fin de 2022 s’est avérée un facteur déterminant. Bien que Sanofi ait communiqué un préavis en ce sens, d’autres sociétés ne sont pas intervenues pour combler le vide sur le marché, et Sanofi n’a pas annulé l’arrêt de production lorsque la crise d’approvisionnement est devenue évidente.

Alors même que le seul fournisseur du stock encore en lice, South Korea’s Eubiologics, augmente sa production et que d’autres sources émergent tardivement, la demande mondiale n’est toujours pas satisfaite. En mai 2023, Gavi, l’Alliance du Vaccin, a prédit avec pessimisme que la pénurie ne serait pas résorbée avant 2025. Cela mérite un moment de réflexion. En décembre 2019, la COVID-19 était une maladie inédite contre laquelle il n’existait pas de vaccin; en deux ans, non seulement de nombreux vaccins efficaces ont été mis au point (développant parfois une nouvelle technologie), mais plus de huit (8) milliards de doses ont été administrées dans le monde (quoique inégalement). Comparons cela aux 120 millions de doses du vaccin anticholérique distribuées au total à partir du stock du GIC pendant la première décennie suivant sa fondation en 2013. Manifestement, la fabrication d’une quantité inférieure d’un vaccin préexistant devrait être réalisable en moins de temps que la mise au point et le déploiement de nouveaux vaccins pour une maladie auparavant inconnue; toutefois, cela suppose suffisamment de moyens et d’attention. Bien qu’il existe des disposition dans l’avant- projet de l’accord sur les pandémies concernant des mesures d’évaluation de la production et de la demande à l’échelle mondiale de produits en lien avec les pandémies ainsi que la constitution et le maintien de stocks nationaux, régionaux et internationaux, des lacunes subsistent quand il s’agit d’assurer que des produits préexistants essentiels seront disponibles avant toute chose pour constituer ces stocks.

Même si le stock mondial destiné aux flambées de choléra est vide, certaines sociétés pharmaceutiques pensent toujours qu’elles peuvent générer des revenus de la vente de vaccins anticholériques. Malheureusement, ces plans ne comprennent pas leur production pour les personnes résidant dans des pays sujets aux épidémies de choléra. Par exemple, en février 2023, la société Bavarian Nordic a annoncé qu’elle avait l’intention de faire l’acquisition auprès d’Emergent Biosolutions de Vaxchora, vaccin anticholérique pour les voyageurs et voyageuses qui a été approuvé aux États-Unis et en Europe. Bavarian Nordic est surtout connue pour son vaccin contre la variole du singe (la mpox) qui porte des appellations diverses telles que Imvamune/Jynneos/Imvanex dans différents pays à revenu élevé où il est disponible, dont le Canada, mais qui n’a jamais été commercialisé dans aucun pays africain où ce type de variole est présent depuis des décennies. En mai 2023, moins d’une semaine avant les prévisions pessimistes de Gavi sur le vaccin anticholérique, Santé Canada a approuvé Vaxchora.

À la différence des vaccins distribués par l’entremise du GIC, Vaxchora n’est pas destiné aux populations exposées régulièrement au choléra. Ce vaccin vise à prémunir les personnes qui sont exposées pour la première fois au virus, telles que les voyageurs et voyageuses de pays à revenu élevé; une version à forte dose pour les pays dans lesquels le choléra est endémique n’a pas encore vu le jour.Il en résulte le scénario préoccupant suivant : un·e touriste d’un pays riche peut se faire vacciner avant de visiter un pays confronté à une épidémie de choléra, tandis que la population de ce pays ne dispose pas de vaccins.

Loin d’être le seul outil essentiel à la santé mondiale, le vaccin anticholérique a disparu en grande partie du marché commercial, car les maladies qu’il combat tombent dans l’oubli dans les pays à revenu élevé. L’antitoxine diphtérique (ATD) constitue un autre exemple. La diphtérie était autrefois une des principales causes de décès chez les enfants canadiens; par ricochet, les laboratoires canadiens Connaught, connus plus tard pour la découverte de l’insuline, ont été initialement fondés pour produire un approvisionnement abordable et accessible de l’ATD. De nos jours, même dans un contexte de graves pandémies en 2023 au Nigéria et ailleurs, il ne reste plus qu’un nombre limité de fournisseurs de ce traitement indispensable. Les conséquences de cet approvisionnement insuffisant se manifestent également dans des pays à revenu élevé lorsque des cas surviennent localement. L’ATD n’est plus officiellement vendue au Canada; en revanche, différents paliers de gouvernement conservent en cas d’urgence des stocks d’ATD importée et non approuvée. Entre-temps, un manque d’intérêt commercial signifie que de nouveaux outils pour le traitement de la diphtérie comme les anticorps monoclonaux qui pourraient remplacer les méthodes lourdes du XIXe siècle encore utilisées pour fabriquer de l’ATD peinent à passer du laboratoire à la patientèle. Pourtant, alors même que le Canada entreprend une stratégie de biofabrication nationale, le maintien de l’accès aux anciens outils, et plus généralement la résorption du manque tant d’anciens que de nouveaux outils que le marché commercial ignore, n’est en grande partie pas évoqué. 

Le marché libre international a échoué concernant les vaccins anticholériques et autres produits anciens mais importants. Cela signifie que les États devront agir et ce, collectivement, soit en ayant recours à la carotte ou au bâton avec les sociétés privées, soit en considérant la production publique d’outils comme le vaccin anticholérique comme un bien public mondial. Ainsi que le gouvernement canadien l’a souvent déclaré à propos de la COVID-19, la pandémie ne sera finie nulle part tant qu’elle ne sera pas finie partout. Aussi longtemps que d’anciennes maladies telles que le choléra subsisteront, le monde aura besoin de collaborer pour garantir que les outils d’intervention restent disponibles peu importe où ils sont nécessaires ou qui en a besoin.