Leaving behind her country and her teaching job plunged Yubeisi into a deep depression that meant that she couldn't even get out of bed. She came to MSF clinic to ask for advice on enrolling her children in school and she was able to talk to the psychologist. “Since that day I haven't wanted to leave here”, she says © MSF/Esteban Montaño
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Colombie : Les migrants vénézuéliens coincés à la croisée des chemins

 

Près de 44 000 Vénézuéliens fuyant la crise économique et politique qui sévit dans leur pays sont arrivés à Arauca, dans le nord-est de la Colombie, ces dernières années. Bien qu’ils y trouvent ce dont ils ont besoin pour survivre, beaucoup sont confrontés à des situations précaires qui ne sont pas abordées de manière adéquate. Médecins Sans Frontières (MSF) offre des services médicaux essentiels dans l’ancien hôpital de la région de Tame. 

 

« Ma famille ne sait pas ce que je fais − imaginez ce qu’ils penseraient », explique Maria.

C’est mercredi matin et une brise légère offre un répit de la chaleur typique de la région de Tame. Maria n’est pas encore acclimatée à la température ici. Elle est arrivée il y a à peine 15 jours, pour tenter de sauver sa plus jeune fille qui, selon elle, était « sur le point de mourir de malnutrition ».

Pour Maria, l’époque où elle s’occupait de ses trois enfants alors que son mari travaillait comme collecteur de batteries au Yaritagua, à trois heures de Caracas, semble déjà si lointaine. Gagner de l’argent n’a jamais été une préoccupation pour elle car, avant d’épouser son mari, Jean Marcos, ses frères s’occupaient d’elle.

« Ils ne me croiraient pas si je leur disais que je fais ça maintenant », dit-elle en ouvrant un sac de poubelle trouvé sur le trottoir à la recherche de plastique, de canettes et de carton à vendre pour le recyclage. Elle trouve quelques bouteilles de boissons gazeuses, qu’elle range promptement dans son sac de toile.

« Avant, nous pensions que seuls les mendiants faisaient ce genre de choses. Nous n’aimons pas faire cela, mais c’est ce qui nous donne notre pain quotidien », dit-elle.

Depuis leur arrivée à Tame, Maria, Jean Marcos et leur fille de deux ans (leurs autres enfants, âgés de cinq et sept ans, sont restés avec leurs grands-parents au Venezuela) vivent dans la rue. Les propriétaires d’une maison sur un coin leur permettent de s’abriter sous les combles. Grâce à un traitement d’alimentation thérapeutique, l’enfant s’est rétablie, mais elle a récemment développé une allergie cutanée qui a obligé Maria à retourner avec elle à la clinique MSF de Tame.

 

MSF à Tame

 

Pour cette famille, comme pour tous les Vénézuéliens d’Arauca, les seuls soins médicaux disponibles sont ceux offerts par MSF dans l’ancien hôpital de Tame.

En dehors des urgences vitales et des accouchements, le système colombien n’assiste que les personnes enregistrées auprès de Sisben, le système d’évaluation et d’identification pour l’aide sociale. Ce n’est pas le cas de la grande majorité des quelque 44 000 migrants qui, selon les chiffres officiels, sont basés dans cette région frontalière.

Toutes ces personnes et celles qui entrent et quittent le pays quotidiennement par des moyens officiels ou non officiels, ont besoin de services que la Colombie ne leur fournit pas.

« Il s’agit d’une urgence en raison du grand nombre de personnes qui traversent la frontière à la recherche de nourriture, de soins de santé, d’un endroit pour dormir et d’une école pour leurs enfants », explique Sebastián García, coordonnateur du projet MSF à Arauca.

« La Colombie a donné un bon exemple à travers le continent en raison de son ouverture à accueillir ces gens, mais en réalité il y a un manque de capacité pour répondre à une situation de cette ampleur. »

Dans cette région, affligée depuis des décennies par un conflit armé qui affecte gravement la population civile, les conséquences de cette vulnérabilité sont évidentes dans des histoires comme celle de Garith. Cette femme de 33 ans a quitté le Venezuela il y a six mois, alors que l’un de ses quatre enfants risquait de mourir.

« Jordanis Emanuel, mon troisième enfant âgé de sept ans, a développé une pneumonie et au Venezuela, nous n’avons pas pu trouver les médicaments dont il avait besoin. Son état s’est détérioré jusqu’à ce que je dise : « Soit je pars, soit mon enfant mourra ici dans mes bras », se souvient Garith.

Aujourd’hui, l’enfant a recouvré la santé, mais la situation de la famille est loin d’être optimiste. Les parents subviennent à leurs besoins en trouvant des matériaux recyclables et en travaillant occasionnellement comme préposés au stationnement. Pourtant, chaque mois, ils ont du mal à recueillir suffisamment d’argent pour payer le loyer de la maison de trois chambres et une salle de bain qu’ils partagent avec neuf autres personnes.

« Ma plus grande urgence est de trouver un emploi afin que je puisse acheter de la nourriture pour mes enfants et les inscrire dans une école », explique Garith. « Jusqu’à présent, cela n’a pas été possible. »

Trois fois, son mari n’a pas été payé après avoir travaillé comme maçon.

« Ils nous escroquent parce qu’ils savent très bien que nous ne pouvons pas les dénoncer », explique Garith.

 

Garith et ses quatre enfants devant leur maison.MSF/Esteban Montaño

Des moyens de subsistance précaires qui affectent la santé physique et mentale

 

L’insécurité alimentaire et la précarité du logement sont deux des facteurs qui affectent le plus la santé des migrants vénézuéliens. Selon Sergio Palacio, responsable des activités médicales de MSF à Arauca, 80 % des maladies observées lors des consultations auprès d’enfants et d’adultes sont directement liées au manque d’accès aux services de base, à la consommation d’eau non potable et au manque de nourriture.

La santé mentale des migrants est également affectée, comme Yubeisi ne le sait que trop bien. Quitter son pays et son travail d’enseignante l’ont plongée dans une profonde dépression, profonde à un point tel qu’elle ne pouvait même plus se sortir du lit. Sa situation a été aggravée par le fait qu’elle se sentait victime de discrimination en raison de son origine, ce qu’elle n’aurait jamais imaginé se produire lorsqu’elle a décidé de migrer en Colombie.

« Mon arrivée ici n’a pas été facile du tout. C’est un pays inconnu, où les gens vous regardent avec suspicion et n’aiment pas vous parler », dit-elle.

« J’ai travaillé ici comme femme de ménage et j’ai été exploitée. Cela m’a causé beaucoup de douleur émotionnelle; je me sentais triste et démoralisée. Je ne voulais pas travailler à cause de mes mauvaises expériences − j’avais peur que la même chose se reproduise. Je suis venue à MSF pour demander des conseils sur l’inscription de mes enfants à l’école et j’ai pu parler à un psychologue. Depuis ce jour, je ne pense plus à partir d’ici », dit-elle.

Malgré toutes les difficultés et les risques auxquels ils sont confrontés, de nombreux migrants estiment que leur situation est préférable à leur retour au Venezuela.

« La Colombie leur offre le minimum, ce qui est mieux que chez eux, comme la nourriture à un prix raisonnable ou l’accès aux médicaments et aux services de santé d’urgence. Mais cela n’est pas suffisant pour leur permettre d’avoir une vie décente dans ce pays, et c’est pourquoi il est nécessaire d’augmenter les ressources destinées à leur venir en aide », explique Sebastián García.

En attendant que la crise dans son pays soit résolue et sans soutien suffisant pour survivre en Colombie, Maria n’a d’autre choix que de rester à la croisée des chemins.

« Ce que j’aimerais le plus, c’est rentrer à la maison, mais comment puis-je le faire si même en travaillant jour et nuit, il est difficile d’avoir suffisamment à manger? » demande-t-elle.