En 2022, MSF a répondu à une nouvelle épidémie d'Ebola, cette fois en Ouganda. Ouganda, 2022. ©️ Pierre Fromentin/MSF
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Dix ans après l’épidémie la plus meurtrière au monde, MSF demande une réserve d’urgence de traitements contre Ebola

Le monde commémore actuellement les dix ans de l’épidémie la plus meurtrière de la maladie à virus Ebola, qui a tué plus de 11 000 personnes en Afrique de l’Ouest en 2014. Médecins Sans Frontières (MSF) regrette que, bien qu’il existe désormais deux traitements approuvés contre cette maladie, ils ne soient pas facilement accessibles par le biais d’une réserve d’urgence prête à être utilisée dans les endroits où ils pourraient être nécessaires lors d’une future épidémie. Les traitements restent sous le contrôle exclusif de deux sociétés pharmaceutiques américaines, Regeneron et Ridgeback Biotherapeutics. De plus, la quasi-totalité des traitements actuellement disponibles dans le monde est conservée dans une réserve de sécurité nationale et de biodéfense détenue par les États-Unis. Il est donc primordial de constituer une réserve internationale d’urgence de ces traitements, approvisionnée par Regeneron et Ridgeback et gérée par le Groupe international de coordination (GIC) sur la fourniture de vaccins. Cela permettrait de garantir que les traitements puissent toujours être donnés à court terme à toute personne qui en a besoin, où qu’elle se trouve.

« Il y a dix ans, le monde n’était pas préparé à l’apparition de la maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest », explique le Dr Armand Sprecher, spécialiste en santé publique de MSF. « Il n’y avait pas de traitement antiviral, ce qui rendait difficile de convaincre les malades de se rendre dans les unités de traitement. Il n’y avait pas de vaccins et la seule chose que nous pouvions faire pour protéger les gens était d’essayer de les convaincre de changer de comportement. Comme des années d’expérience nous l’ont appris, cela prend du temps et n’a souvent qu’un succès limité. Il était donc difficile de contrôler l’épidémie. Maintenant qu’il existe des traitements antiviraux et des vaccins efficaces, nous pouvons utiliser des outils déterminants pour soigner les gens, prévenir la maladie et contrôler les épidémies, mais seulement s’ils sont totalement accessibles aux personnes qui en ont besoin. C’est pourquoi nous demandons la constitution d’une réserve d’urgence ».

Durant près d’un demi-siècle, il n’existait pas de traitement spécifique. Ce n’est que lors de la plus grande épidémie d’Ebola en 2014, lorsque les pays les plus riches ont été confrontés à la menace d’Ebola à leurs frontières, que le financement de la recherche et du développement de traitements et de vaccins contre le virus a augmenté de façon spectaculaire. Puis, une combinaison de plusieurs éléments a fait avancer le dossier : d’une part, plus de 800 millions de dollars américains de financement public et, d’autre part, des contributions essentielles – notamment de la part des gouvernements des pays touchés, des ONG et des établissements universitaires, qui ont accueilli ou facilité les essais cliniques, ainsi que des personnes, dont certaines survivantes à la maladie, qui ont directement participé à l’expérimentation des traitements. C’est ainsi qu’en 2020, deux traitements ont été approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. Ceux-ci ont été recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2022, et figurent désormais sur la liste modèle des médicaments essentiels de l’OMS. Il existe aussi deux vaccins, qui, en plus du traitement, sont essentiels pour prévenir et faire face à une épidémie d’Ebola. Bien qu’il s’agisse d’un ajout important à la boîte à outils de la riposte à Ebola, ces nouveaux outils médicaux ne répondent qu’à l’ébolavirus du Zaïre, l’espèce de virus la plus courante à l’origine de l’épidémie de 2014*.

Les traitements – REGN-EB3 (atoltivimab/maftivimab/odesivimab), commercialisé par Regeneron sous le nom d’Inmazeb, et mAb114 (ansuvimab), commercialisé par Ridgeback sous le nom d’Ebanga – restent largement inaccessibles aux personnes qui en ont besoin pendant les épidémies. Alors que le déploiement rapide des traitements lors d’une épidémie d’Ebola se heurte à de nombreux obstacles, le fait que seul un tiers des individus ait reçu l’un ou l’autre traitement lors des cinq épidémies survenues depuis 2020 s’explique en grande partie par le fait que les traitements ne sont pas facilement accessibles là où les épidémies se produisent le plus souvent. Regeneron et Ridgeback conservent le contrôle privé de ces traitements par le biais de brevets et de licences, et presque tous les traitements disponibles sont détenus et contrôlés par les États-Unis.

« Une leçon claire tirée des dix dernières années est que compter uniquement sur la bonne volonté des entreprises privées ou des gouvernements n’est pas la solution à un problème d’accès aux médicaments », mentionne le Dr Márcio da Fonseca, conseiller en maladies infectieuses pour la Campagne d’accès de MSF. « Pour que les traitements contre Ebola et les outils de prévention d’aujourd’hui et de demain soient plus largement disponibles, des conditions d’accès à l’échelle mondiale doivent être fixées dès le début du processus de recherche et de développement des outils médicaux mis au point avec de l’argent public. L’accès aux traitements pour les communautés qui les ont testés doit être légalement garanti. Nous devons nous préparer dès maintenant à la prochaine épidémie et veiller à ce qu’il n’y ait aucune lacune dans l’accès aux outils médicaux appropriés, y compris pour les autres espèces d’Ebola, afin d’éviter les pertes de vies catastrophiques que nous avons connues il y a dix ans ».

En outre, MSF a exhorté toutes les organisations détentrices de brevets sur les traitements contre Ebola à délivrer des licences et à transférer les technologies à des fabricants d’expérience, davantage d’entreprises pourraient produire des traitements contre Ebola, ce qui contribuera à accroître leur disponibilité.

*L’épidémie en Ouganda en 2022 a été causée par l’espèce Soudan.