MSF-supported health structure in Fada, Eastern Burkina Faso. © MSF
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Est du Burkina Faso : A l’abri des regards, les populations souffrent d’une montée sans précédent de la violence

Alors que le Covid-19 fait la une des journaux du monde entier, des crises humanitaires moins visibles se détériorent davantage. Les assassinats, les enlèvements et les pillages sont désormais monnaie courante dans les villages de l’est du Burkina Faso, l’une des zones les plus touchées par le conflit armé entre les forces de sécurité nationales et différents groupes armés, avec des déplacements massifs de la population civile.​

Par Abdallah Hussein, chef de mission de MSF au Burkina Faso

À l’abri des regards, les communautés vulnérables subissent d’énormes difficultés qui n’attirent guère l’attention. Au milieu des conflits, de la pauvreté et des épidémies récurrentes, des dizaines de milliers de personnes ont un accès limité aux services sociaux de base, notamment les soins de santé, et vivent dans la peur des attaques violentes, des maladies endémiques et du manque de nourriture et d’eau. Les mois à venir seront encore plus durs : la saison des pluies et la période de soudure, qui commencent en juin, provoquent généralement un pic de malnutrition sévère et de paludisme, l’une des principales causes de mortalité dans le pays. Il n’y a pas encore eu de cas confirmé de nouveau coronavirus dans la région, mais cette menace ajoute une autre couche de complexité au défi déjà énorme de fournir de l’aide dans un contexte aussi précaire. 

Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins de santé de qualité, de l’eau et des articles de première nécessité gratuits dans la région depuis mai 2019. Mais beaucoup reste à faire. L’aide humanitaire doit être intensifiée de toute urgence pour éviter davantage de décès et de souffrances évitables.

Besoins humanitaires et séquelles psychologiques

Au cours des deux derniers mois, une nouvelle vague d’attaques contre des villages reculés de l’est du Burkina Faso a déraciné des milliers de familles qui ont fui vers les villes de Gayeri et Fada. Notre équipe entend des témoignages poignants de survivants qui ont subi ou été témoins de violences extrêmes, ont dû marcher pendant des jours pour atteindre un refuge sûr et ont laissé derrière eux tout ce qu’ils possédaient. Beaucoup ont perdu des êtres chers. Pour certains, les séquelles psychologiques sont profondes. De janvier à mai nos équipes ont traité plus de 5,300 patients souffrant de problèmes de santé mentale.

Le manque d’abris adéquats est inquiétant, les familles déplacées vivant parfois dans des tentes en paille ou en bâches en plastique. Plus alarmant encore, de nombreuses personnes, y compris les communautés d’accueil, n’ont pas accès à suffisamment d’eau. Les pénuries alimentaires sont une autre source de préoccupation.

Un système de santé fragilisé par les conflits et les pénuries

Après quatre années de violence exacerbant des lacunes chroniques, le système de santé de l’Est du Burkina Faso est très fragile. Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 30 structures médicales de la région sont fermées ou à peine fonctionnelles. Il existe non seulement une pénurie de médicaments et de matériel, souvent due aux pillages ou à l’insécurité qui entravent l’approvisionnement, mais aussi de personnel médical.

La violence extrême a contraint de nombreux médecins et membres du personnel infirmier à s’installer dans des zones urbaines plus sûres. Dans cet environnement instable, les transferts d’urgence des communautés rurales vers des établissements spécialisés peuvent être particulièrement difficiles. Bien que le droit international humanitaire l’interdise, des ambulances ont été attaquées dans la région. La peur est omniprésente. Certaines personnes hésitent à se faire soigner par crainte de se voir associées à l’une des parties au conflit et d’être prises pour cibles.

La violence entrave l’aide humanitaire

L’insécurité continue d’entraver les efforts d’aide humanitaire et limite considérablement notre capacité à atteindre certaines communautés, en particulier celles qui vivent dans des villages reculés. Le 16 avril, par exemple, nous avons dû annuler une mission d’évaluation des besoins dans le village de Tawalbougou, qui avait accueilli des milliers de familles déplacées, car des hommes armés ont ouvert le feu sur l’une de nos équipes de santé. Nous avons réussi à reprendre nos activités dans la région par la suite et avons pu aider les communautés affectées, mais ce n’est pas toujours le cas.

Il est difficile de recueillir des informations sur l’ampleur des déplacements, ou d’avoir une image complète de la mortalité et de la situation sanitaire dans certaines zones. Notre accès aux populations vulnérables est souvent limité par l’instabilité et la multitude d’acteurs armés. En conséquence, des milliers de personnes restent isolées et privées de services de base, notamment les soins de santé.

L’impact collatéral du Covid-19

Le Burkina Faso a signalé plus de 800 cas de Covid-19 depuis que l’épidémie a été confirmée pour la première fois dans le pays en mars. Bien que la région de l’Est ait jusqu’à présent été épargnée, le risque demeure et, malheureusement, la pandémie a un impact collatéral négatif sur notre travail.

Nous avons interrompu les services médicaux non essentiels dans les structures de santé et adapté certaines autres activités. Le soutien psychologique, par exemple, est désormais assuré à distance : par téléphone, par le biais de programmes radio et de brochures de sensibilisation.

Le Covid-19, associé à la violence, complique également les campagnes de vaccination. Pour citer un exemple, suite à une récente épidémie de rougeole, nous avons convenu de vacciner les enfants de moins de 15 ans dans le district de Pama. Le premier défi était la sécurité de nos équipes, car la zone a des antécédents d’incidents contre les agents de santé et les ambulances. Le deuxième défi concernait la stratégie elle-même : les rassemblements de masse n’étant plus possibles à cause du Covid-19, nous avons dû remanier notre organisation habituelle. Au lieu de travailler dans des endroits fixes tels que les centres de santé, nous avons dû faire du porte-à-porte pour vacciner les enfants. En outre, nous devions nous assurer que toutes les équipes de vaccination disposaient de l’équipement de protection individuelle nécessaire pour minimiser le risque d’infection. Cette approche exigeait beaucoup de temps et d’organisation, car elle revenait à se préparer au contrôle de deux épidémies à la fois. Enfin, comme certains ménages ont commencé par s’opposer au vaccin contre la rougeole à cause de rumeurs et par peur qu’il n’existe un lien avec le Covid-19, nos mobilisateurs communautaires ont dû faire des efforts titanesques pour clarifier la question. Malgré ces obstacles, nous avons réussi à atteindre notre objectif et vacciné plus de 40 000 enfants, tout en dépistant plus de 15 000 enfants de moins de 5 ans pour la malnutrition et en soignant ceux qui en avaient besoin.

Nous avons aussi fait face à des problèmes d’accès aux équipements de protection individuelle pour notre personnel, ce qui réduit notre capacité à fournir une assistance. En effet, il nous a fallu plus de deux mois pour recevoir une cargaison internationale de combinaisons, d’écrans faciaux et d’équipements similaires. Les restrictions aux déplacements internationaux dans le monde entier nous empêchent également de faire venir dans le pays du personnel plus expérimenté (des médecins spécialistes aux sages-femmes et aux logisticiens). 

Le plus inquiétant, c’est que de nombreuses communautés déplacées et d’accueil vivent dans des conditions précaires, que les services médicaux sont de plus en plus fragilisés et que les services de soins intensifs et de réanimation pour les patients gravement malades sont extrêmement limités. C’est pourquoi il est primordial de continuer à renforcer les mesures préventives au niveau communautaire, même si ce n’est pas simple : comment mettre en œuvre la « distanciation sociale » dans une tente surpeuplée ? Comment se laver les mains en continu lorsque l’on n’a même pas assez d’eau potable pour boire ?

La pandémie ne doit pas éclipser d’autres besoins urgents

Le Covid-19 est une urgence dans l’urgence. Ce n’est que l’une de nombreuses priorités, qui ne devrait pas accaparer les ressources d’autres interventions médicales vitales.

Il est essentiel de maîtriser cette pandémie pour éviter ses répercussions, mais cela ne devrait pas se faire au détriment d’autres initiatives humanitaires essentielles. Dans l’est du Burkina Faso, le Covid-19 n’est pas nécessairement la principale préoccupation de la population : pour des milliers de déplacés et de communautés locales, survivre est déjà difficile. Ces personnes craignent la faim et la soif plutôt qu’un virus qui n’a pas encore atteint la région. Et elles ont peur que la saison des pluies ne détruise leurs abris de fortune. La lutte contre la pandémie doit rester une priorité, mais elle ne doit pas éclipser d’autres besoins urgents ni détourner des fonds, du personnel et de l’aide destinés à améliorer les conditions de vie des plus vulnérables.