On the way to patient visit, in pictures Aung Aung (epidemiological activitiy manager), MD. Patrick Nyema (medical activity manager) and Michelle Daka (nursing activity manager ) © MSF/Jakub Hein
PARTAGEZ

Eswatini : Lutter contre la COVID-19 dans un pays déjà aux prises avec une double épidémie de VIH/TB

L’Eswatini présente le pourcentage le plus élevé de personnes vivant avec le VIH dans le monde. Près d’un tiers des adultes sont séropositifs. Le pays est également gravement touché par une épidémie de tuberculose (TB) et environ 70 pour cent de tous les patients tuberculeux sont co-infectés par le VIH.

 

Parallèlement, le premier cas confirmé de COVID-19 a été diagnostiqué en Eswatini le 14 mars; depuis lors, le nombre de patients atteints de COVID-19 a augmenté quotidiennement.

Bien que l’on ignore encore comment la COVID-19 affectera les personnes vivant avec le VIH, il est connu que les patients souffrant de maladies chroniques et ayant un système immunitaire affaibli y sont plus vulnérables. La tuberculose est une maladie qui attaque les poumons, comme la COVID-19; il est donc plus probable que les patients tuberculeux souffrent de formes plus sévères de la maladie et qu’ils développent des complications plus graves s’ils deviennent infectés.

Médecins Sans Frontières (MSF) lutte contre la double épidémie de VIH/TB en Eswatini depuis 2007. Ici, le Dr Bernhard Kerschberger, chef de mission de MSF en Eswatini, décrit les défis auxquels son équipe est confrontée avec la COVID-19 dans un contexte où les taux de VIH et de tuberculose sont élevés, et l’importance d’adapter les soins aux patients pour réduire le risque d’exposition pour les personnes les plus vulnérables.

 

Dr Bernhard Kerschberger, chef de mission de MSF en Eswatini.MSF/Jakub Hein

Les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose risquent-elles davantage de contacter la COVID-19?

 

Notre compréhension du virus et de la maladie continue d’évoluer. À l’heure actuelle, il n’y a pas suffisamment de preuves pour déterminer si la COVID-19 affectera différemment les patients VIH stabilisés ayant un système immunitaire affaibli de la population en général. Cependant, les personnes vivant avec le VIH à un stade avancé, qui ont de faibles taux de CD4 (cellules combattant les infections) et des charges virales élevées, ou qui ne sont pas sous traitement antirétroviral (ARV), sont généralement plus susceptibles de contracter des infections et doivent faire preuve de prudence pour éviter d’être infectés par le nouveau coronavirus.

Nous n’avons pas encore beaucoup d’expérience dans le traitement des infections à la COVID-19 chez les patients tuberculeux, mais il est très probable que les personnes atteintes à la fois de tuberculose et de COVID-19 soient plus menacées et obtiennent de moins bons résultats de traitement (en raison de lésions pulmonaires).

Il est important que les personnes atteintes de tuberculose, ou encore qui présentent des charges virales élevées de VIH ou d’autres co-infections, fassent tout ce qu’elles peuvent pour éviter de contracter la COVID-19. Nous travaillons pour réduire l’exposition des patients vulnérables en changeant la façon dont nous les traitons, ce que nous appelons nos « modèles de soins ».

 

Comment MSF adaptera-t-elle les soins aux patients atteints du VIH/TB?

 

Nous adaptons nos modèles de soins. En Eswatini, MSF travaille depuis des années avec des modèles de soins à base communautaire pour offrir un meilleur accès aux soins aux patients en régions rurales. Désormais, afin de réduire le risque de contact pour les patients, nous rapprochons encore plus les soins de leur domicile, dans le but de limiter les visites dans les centres de santé et les déplacements inutiles en transports en commun.

Parmi les patients les plus vulnérables figurent ceux qui souffrent de tuberculose multirésistante (TB-MR). Pour les protéger, nous avons commencé à utiliser une nouvelle technologie appelée Video Observed Therapy (VOT). Cela signifie que les patients qui devaient être supervisés en personne par un membre de la communauté ou un travailleur de la santé lors de la prise de leurs médicaments (conformément au protocole de traitement) se filment désormais eux-mêmes en train de prendre leurs médicaments avec un téléphone intelligent. Nous leur fournissons un téléphone équipé d’une application sécurisée à travers laquelle ils peuvent envoyer la vidéo à un infirmier. L’infirmier visionne la vidéo et fait un suivi auprès du patient en cas de problème ou si la vidéo n’est pas reçue. Nous traitons actuellement 40 patients atteints de TB-MR, dont la majorité utilisera la technologie VOT.

Nous avons également mis en place une petite clinique mobile de lutte contre la tuberculose pour les patients atteints de TB-MR, composée d’un chauffeur et d’un infirmier, qui visite les patients à leur domicile pour effectuer des examens médicaux et leur apporter de la nourriture et des renouvellements de médicaments. Avant, les patients devaient récupérer leur nourriture et leurs médicaments dans les centres de santé.

La plupart de nos patients VIH stables ayant une charge virale supprimée reçoivent maintenant des renouvellements semestriels d’ARV, de sorte qu’ils n’ont pas à se rendre au centre de santé chaque mois. Pour les patients atteints de tuberculose et d’autres maladies chroniques, nous fournissons des médicaments pour un à trois mois, en fonction de leur état de santé et de la disponibilité des médicaments. MSF propose aussi un accompagnement et des séances de soutien au traitement pour les patients, ainsi que des consultations médicales par téléphone avec les médecins pour ceux qui en ont besoin. Le confinement partiel à l’échelle nationale mis en place par le gouvernement nous a obligés à suspendre nos activités de prévention, telles que les points de dépistage du VIH mobiles lors d’événements, sur les lieux de travail et lors de rassemblements communautaires. Or, nous nous concentrons sur la distribution et l’éducation des gens sur la façon d’utiliser les tests d’autodépistage du VIH.

 

Craignez-vous une rupture des stocks de médicaments contre le VIH et la tuberculose dans le pays?

Les patients atteints de VIH/TB doivent avoir des renouvellements plus longs pour éviter les interruptions de traitement, car cela les exposerait davantage à la COVID-19. Les autorités sanitaires et les prestataires de soins ici travaillent fort pour estimer les besoins afin d’éviter une rupture des stocks. Ultimement, il s’agit de trouver un équilibre entre les besoins et la disponibilité des médicaments et d’identifier d’éventuelles lacunes. MSF comble certaines de ces lacunes en fournissant des médicaments pour le traitement de la TB-MR et d’autres infections opportunistes. Cependant, si le confinement se poursuit et que des restrictions internationales à la circulation des marchandises restent en place, cela pourrait affecter l’approvisionnement en médicaments en provenance de l’étranger. De nombreux médicaments génériques viennent de l’Inde, par exemple – ce serait extrêmement préoccupant et doit être évité.

La COVID-19 est-elle susceptible d’avoir un impact sur l’épidémie de VIH/TB?

 

À ce stade de l’épidémie, il est trop tôt pour le dire, mais nous craignons certainement que toute réduction de la provision de soins de santé et/ou de l’accès aux soins n’entraîne davantage de maladies et de décès chez les patients atteints du VIH, de la tuberculose ou d’autres maladies chroniques. Cela pourrait également avoir un effet à long terme sur l’épidémie de VIH/TB. La bataille a été longue en Eswatini pour briser la courbe de transmission du VIH et dépasser l’objectif international 90-90-90 (90 % de toutes les personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, 90 % de toutes les personnes séropositives reçoivent un traitement antirétroviral et 90 % de toutes les personnes sous ARV bénéficient d’une suppression virale). Si les stratégies médicales ayant mené à de tels résultats ne sont pas maintenues, ces gains pourraient malheureusement être perdus. Il est donc important que les services de base de prévention, de dépistage et de traitement soient maintenus pour garantir que les personnes qui ont besoin de faire des tests et d’avoir accès aux soins puissent y parvenir.

Le nombre de patients qui ont commencé un traitement ARV dans les cliniques soutenues par MSF a chuté de 64 % (de 44 à 16) en avril, par rapport au même mois l’année dernière. Il s’agit du plus faible nombre mensuel enregistré en quatre ans. Comme nous avons dû réduire nos activités dans la communauté en raison des mesures de confinement, nous avons distribué 46 % moins de kits d’autodépistage du VIH en avril (de 298 à 162) par rapport à l’année dernière.

À court terme, nous ne savons pas quel en sera l’impact, mais à long terme, cela pourrait poser un problème réel et inquiétant.

 

Quelles sont vos principales préoccupations au sujet de la COVID-19 et de l’intervention en Eswatni?

 

L’impact potentiel de la COVID-19 sur le système de santé en Eswatini est une préoccupation majeure ici, tout comme ailleurs dans le monde. Nous constatons que de nombreux pays dotés de systèmes de santé avancés ont du mal à faire face à la situation, et ils n’ont même pas à gérer une épidémie de VIH/TB simultanément.

Une autre inquiétude concerne les impacts indirects de la COVID-19, en particulier les conséquences socio-économiques. La plupart des gens ici sont assez pauvres et vivent en régions rurales. C’est l’une des raisons pour lesquelles le taux de tuberculose est si élevé, car il affecte de manière disproportionnée les personnes les plus pauvres, contraintes de vivre dans des maisons surpeuplées et mal ventilées. La gestion quotidienne de maladies comme le VIH et la tuberculose est déjà ardue, et maintenant les restrictions en place pour réduire la propagation de la COVID-19 rendront la vie des patients encore plus difficile. Pour beaucoup de gens, la COVID-19 vient ajouter une couche supplémentaire de difficultés. Certains patients nous disent déjà qu’ils n’ont pas assez de nourriture ou qu’ils n’ont pas les moyens de payer pour l’électricité ou l’eau.

 

Quels sont les principaux défis?

 

Il est certainement difficile de trouver une stratégie de riposte à la COVID-19 qui n’ait pas d’impact sur le système de santé à long terme. Il n’est pas toujours possible de copier et coller les stratégies mises en place par de nombreux pays occidentaux ou asiatiques. La situation en Eswatini et dans bien des pays africains est différente; de nombreuses personnes vulnérables vivent au jour le jour, ce qui signifie que les mesures de distanciation sociale et les restrictions de mouvement rendent la vie des gens plus pénible.

Il sera également difficile de maintenir l’accès aux soins de santé. Les soins chroniques et d’urgence ont déjà été touchés par les activités de riposte. La capacité en lits des hôpitaux est élargie à mesure que le nombre de nouveaux patients atteints de la COVID-19 augmente chaque jour.

La stigmatisation et la peur rendent également la riposte compliquée. On rapporte certains cas où des travailleurs de la santé ont refusé de s’occuper des patients par crainte de contracter le virus. Il est compréhensible que les travailleurs de la santé aient peur s’ils ne disposent pas d’un équipement de protection individuelle adéquat et du matériel et des ressources nécessaires pour prendre soin des malades en toute sécurité. Ces pénuries sont les mêmes partout dans le monde, mais s’il s’agit d’une course pour obtenir ce dont on a besoin, les moins fortunés – les patients les plus vulnérables – pourraient être laissés pour compte.

 

Qu’aimeriez-vous voir se passer?

 

Les autorités sanitaires d’Eswatini sont intervenues rapidement pour mettre en place des mesures visant à réduire le risque d’infection pour les personnes vulnérables et pour préparer les hôpitaux, le personnel de santé et les moyens nécessaires pour pouvoir accueillir les patients présumés de COVID-19 dans les établissements de santé. Il y a beaucoup de volonté de la part de différents prestataires de soins pour soutenir la riposte à la COVID-19, et si elle est bien coordonnée, toutes les lacunes pourront être rapidement identifiées et comblées.

Il est important de tenir compte des besoins particuliers des personnes ici pour garantir qu’il y ait le moins possible d’impact négatif sur leur santé et la capacité à fournir des soins médicaux, et pour que le pays puisse maintenir les gains réalisés dans la lutte contre la double épidémie de VIH/TB.