An MSF staff member vaccinates a child during a mobile clinic at the health centre in Sebeya, a town close to the Eritrean border in the northern Ethiopian region of Tigray. © Igor G. Barbero / MSF/MSF
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Éthiopie: Les habitants des zones rurales du Tigré frappés par l’impact de la crise et la négligence humanitaire

Bon nombre des six millions d’habitants du Tigré vivent dans des zones montagneuses et rurales où ils sont pratiquement invisibles du monde extérieur. Alors que des équipes de travailleurs humanitaires ont été déployées dans les principales villes de cette région du nord de l’Éthiopie au cours des derniers mois, l’aide n’arrive pas à atteindre les communautés les plus reculées, où le conflit a eu de graves répercussions. De nombreuses personnes n’ont pas eu accès aux soins de santé et aux autres services de base au cours des six derniers mois et vivent toujours dans la peur.

Lorsqu’une petite équipe mobile de MSF est arrivée à Adiftaw pour la première fois à la mi-mars, elle a découvert que le poste de santé avait été pillé et partiellement détruit. Des dossiers médicaux, du matériel cassé et des paquets de médicaments déchirés étaient dispersés de manière chaotique sur le sol de chaque chambre, aucun des lits n’avait de matelas et le personnel médical était absent.

Adiftaw est un village du nord de l’Éthiopie, dans la région du Tigré frappée par le conflit, qui est situé à trois heures au nord d’Axum, le long de chemins de terre vallonnés.

Ce que l’équipe a constaté n’était rien de nouveau et faisait écho à leurs expériences à presque chaque visite dans un nouvel endroit partout dans le Tigré, d’est en ouest et du nord au sud.

 

Une équipe mobile de MSF se prépare à gérer une clinique mobile dans le village d’Adiftaw, dans la région du Tigré dans le nord de l’Éthiopie, près de la frontière avec l’Érythrée.Igor G. Barbero / MSF/MSF

 

Depuis novembre, les 10 000 personnes vivant à Adiftaw et dans ses environs n’ont pu ni voir un médecin ni être orientées vers un hôpital pour y recevoir des soins spécialisés. Peu de temps après que l’équipe de MSF ait nettoyé le poste de santé et ouvert une clinique mobile temporaire, des dizaines de personnes se sont présentées, arrivant lentement mais régulièrement de toutes les directions.

C’étaient pour la plupart des mères portant sur leur dos des enfants en bas âge. Mais d’autres sont arrivés aussi : des jeunes hommes transportant un vieil homme apparemment atteint de paludisme, assis sur une chaise en bois attachée à une civière improvisée; ainsi que plusieurs femmes âgées souffrant de maladies chroniques. Cependant, ce n’est pas tout le monde qui a pu obtenir l’aide recherchée. Le personnel médical se concentre sur les enfants, les femmes enceintes et les personnes nécessitant des soins d’urgence.

Environ une heure après le début du triage, le personnel de MSF a dû annoncer qu’il ne pouvait plus accepter de patients ce jour-là, car les médecins n’avaient tout simplement pas la capacité de voir davantage de patients dans la fenêtre de trois heures des consultations.

 

Fort impact de la violence

 

Au-delà des besoins de santé de la population, les anciens de la communauté ont dit que la violence avait frappé les gens très durement dans la région. Certaines fermes étaient encore occupées par des soldats, le moulin du village ne fonctionnait plus et le système d’approvisionnement en eau était brisé depuis que les pompes des puits de forages avaient été délibérément tirées au fusil. En conséquence, les villageois devaient marcher pendant des heures pour aller chercher de l’eau à une rivière, qui, selon eux, était une source de maladies telles que la diarrhée.

Au moment de la visite de l’équipe de MSF, plus de 100 maisons avaient été incendiées ou endommagées à la suite de bombardements et d’autres violences, et des dizaines d’habitants étaient morts ou portés disparus, certains se cachant toujours dans les montagnes. Dans les semaines précédentes, certains villageois étaient revenus et avaient constaté que leur maison était en ruine, tandis que d’autres venant d’ailleurs au Tigré, comme Humera et Sheraro dans l’ouest de la région, avaient été forcés fuir.

« Lorsque nous sommes arrivés dans le Tigré fin 2020, nous avons constaté que le système de santé s’était presque complètement effondré », explique Tommaso Santo, coordonnateur d’urgence à MSF. « Une fois que nous avons mis en place des activités de soutien dans les hôpitaux des grandes villes comme Adigrat, Axum et Shire, il nous a semblé essentiel d’atteindre les zones les plus reculées où les besoins de la population sont les plus grands. »

Au cours des derniers mois, les équipes d’urgence de MSF ont progressivement étendu leurs activités aux régions éloignées du Tigré et gèrent actuellement des cliniques mobiles régulières dans environ 50 endroits différents.

« Chaque fois que nous avons accès à un nouveau site, nous envoyons une petite équipe qui peut fournir un minimum de services médicaux », explique Tommaso Santo. « Nous trouvons des gens qui ont très peu accès à de l’eau potable et aux distributions de nourriture, et qui ne peuvent pas réaliser d’activités commerciales en raison de la fermeture de certains marchés. De nombreuses personnes vivent encore dans la peur et l’insécurité. »

 

L’infirmière de MSF Naiara mesure le périmètre brachial d’un enfant amené pour une consultation médicale par sa mère dans une clinique mobile du village d’Adiftaw, dans la région du Tigré, au nord de l’Éthiopie.Igor G. Barbero / MSF/MSF

 

Les équipes de MSF voient un grand nombre de femmes enceintes souffrant de complications médicales, dont certaines de malnutrition, ce qui peut augmenter le risque de maladies et de décès pendant la grossesse et l’accouchement. Alors que la malnutrition infantile varie d’un endroit à l’autre, la malnutrition aiguë modérée a augmenté de manière générale dans tout le Tigré au cours des derniers mois, dit Tommaso Santo; alors que la qualité et la quantité de nourriture disponible ont fortement chuté, de nombreuses familles ne mangent qu’un seul repas par jour et souvent seulement du pain.

Certaines zones affichent en effet déjà des niveaux de malnutrition aiguë sévère bien au-dessus du seuil d’urgence, comme des poches à la périphérie de la ville de Shire et à Sheraro.  À l’approche de la saison des pluies, les prévisions pour les mois à venir sont sombres, car les champs sont souvent inaccessibles aux agriculteurs, soit en raison du conflit, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de planter les cultures.

 

Des cliniques rurales qui fonctionnaient bien sont maintenant en ruine

 

Avant le conflit, le Tigré disposait d’un système de santé fonctionnel et bien équipé, parmi les meilleurs d’Éthiopie. Les centres de santé et les postes de santé des zones rurales couvraient les besoins de base des populations et étaient reliés aux principaux hôpitaux par une flotte d’ambulances qui transportaient les patients nécessitant un traitement spécialisé.

L’un de ces centres de santé ruraux se trouvait dans la ville de Sebeya, également proche de la frontière érythréenne, mais plus à l’est. De l’extérieur, le complexe de bâtiments, qui desservait autrefois une zone de couverture hospitalière d’environ 17 600 personnes, semble impressionnant, avec ses bâtiments en béton solides et bien espacés et ses diverses zones délimitées.

« Les services ici étaient bons », dit Fatimah*, une femme de 27 ans de Sebeya. « J’ai donné naissance à mes quatre enfants ici. Si le personnel de santé n’avait pas la capacité de nous aider, il nous envoyait à Adigrat. Je n’ai jamais eu à y aller, mais d’autres patients y étaient emmenés par l’ambulance du centre de santé. »

Mais ensuite, elle laisse transparaître la frustration sur son visage. Maintenant, l’ambulance a disparu, et Fatimah, enceinte de sept mois, ne pourra pas accoucher de son cinquième bébé dans ce centre de santé. Alors qu’elle attend une consultation prénatale avec les médecins de MSF, la salle d’accouchement du centre de santé située à quelques mètres où 40 à 50 femmes accouchaient chaque mois, est en ruine.

À la mi-novembre, pendant les combats, plusieurs roquettes ont frappé la salle d’accouchement et un bâtiment administratif. Les deux lits d’accouchement et une unité chauffante pour nouveau-nés sont maintenant couverts de poussière, de plâtre et d’éclats de bois, et le sol est jonché de papiers, de manomètres et d’outils endommagés, et de vêtements sales. La lumière crue de la saison sèche pénètre dans la pièce par un grand trou dans le mur et plusieurs petits trous dans le plafond.

 

Un membre du personnel de MSF inspecte la salle d’accouchement du centre de santé de la ville de Sebeya, dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie. La salle a été gravement endommagée au début du conflit lorsqu’elle a été touchée par des roquettes.Igor G. Barbero / MSF/MSF

 

« De nos jours, les femmes accouchent à domicile », explique Solomon*, un membre du personnel médical. « Même si l’accouchement se passe bien, les nouveau-nés risquent de mourir. Les personnes atteintes de maladies chroniques telles que le VIH, la tuberculose ou le diabète souffrent de l’interruption de leur traitement. Des enfants meurent de pneumonie et de malnutrition. »

 

Peur et perte de moyens de subsistance

 

Pour les habitants de Sebeya, la reprise partielle des services médicaux via une clinique mobile peut être une étape positive, mais ce n’est encore qu’une simple goutte dans l’océan. La plupart des gens ici ont perdu leurs moyens de subsistance et ont connu des mois de conditions difficiles, et même de la violence directe.

« J’étais commerçante avant la crise », raconte Mariam*, en attendant son examen prénatal. « J’avais un magasin où je vendais de café, du sucre et des produits de nettoyage, mais maintenant il est fermé. Il a été pillé après que nous ayons fui la ville pour nous réfugier dans le village de ma belle-famille. Je suis restée cachée pendant quatre mois et, même maintenant, je ne suis pas encore de retour ici de façon permanente. »

« Avant, j’avais une belle vie et ma seule préoccupation était de faire croître l’entreprise », dit-elle. « Nous n’avions jamais pensé que le conflit nous affecterait. Je n’ai jamais pensé que je me retrouverais sans nourriture et obligée de me cacher dans la brousse. »

Près de 300 consultations médicales ont été effectuées à Sebeya et Adiftaw ces jours-là par les équipes de la clinique mobile de MSF. Outre les problèmes de santé sexuelle et reproductive, les affections les plus courantes, en particulier chez les enfants, étaient la malnutrition, la pneumonie, la diarrhée et les maladies de la peau, toutes liées aux mauvaises conditions de vie et au manque d’accès à l’eau potable.

 

Une aide insuffisante au-delà des villes

 

« Nous essayons de prioriser les domaines dans lesquels nous devrions poursuivre notre intervention », dit Tommaso Santo, « et nous essayons d’augmenter l’offre : il peut s’agir de planification familiale, de consultations prénatales, de vaccinations ou d’autres services, dont aucun n’est disponible depuis des mois. »

Il existe également un besoin évident dans les zones rurales de traitement et de soins pour les survivants de violences sexuelles, récurrentes pendant ce conflit. Au cours des derniers mois, les hôpitaux soutenus par MSF dans les villes ont accueilli un nombre croissant de femmes cherchant de l’aide pour faire face à des expériences traumatisantes et mettre fin à des grossesses non désirées.

Il reste encore beaucoup à faire pour élargir l’accès des personnes à ces services et à d’autres services de soutien essentiels. Alors que de plus en plus d’organisations humanitaires ont envoyé des équipes au Tigré, en particulier depuis février, la réponse sur le terrain est encore extrêmement limitée car elle ne s’étend presque jamais au-delà des grandes villes.

« Les zones rurales sont souvent laissées sans assistance d’aucune sorte et ces dernières semaines, l’accès des organisations humanitaires à diverses parties du Tigré a été encore plus limité », dit Tommaso Santo. « Il est urgent d’intensifier l’aide humanitaire et d’élargir sa portée. »

 

MSF dans la région du Tigré

 

MSF mène actuellement des projets médicaux dans les villes tigréennes d’Adigrat, Axum, Adwa, Abi Adi, Shire, Sheraro, Humera et Dansha. Depuis le début de 2021, les équipes mobiles de MSF basées sur ces sites ont progressivement étendu leurs activités aux villes rurales, aux zones montagneuses et aux villages de certaines parties de la région où le système de santé n’est plus fonctionnel.

Au cours des derniers mois, les équipes mobiles de MSF ont visité plus d’une centaine de sites différents, soit pour gérer des cliniques mobiles temporaires, soit pour approvisionner les centres de santé qui avaient été pillés et former le personnel médical.

Cependant, il existe encore des zones rurales dans le Tigré que ni MSF, ni aucune autre organisation, n’ont pu atteindre; MSF ne peut que supposer que les personnes vivant dans ces zones n’ont pas non plus accès aux soins de santé.

* Les noms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.