Kadhim Dhaygham (16) receives physiotherapy in MSF's BMRC. Kadhim was injured on October 27 when a tear gas cannister slammed into his leg during protests in Baghdad. © Nabil Salih/MSF
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Irak : MSF soigne des manifestants blessés à Bagdad

 

En 2017, alors que la guerre pour reconquérir les villes irakiennes aux mains de l’Etat islamique (IS) faisait des dizaines de morts, de blessés ou de mutilés, Médecins Sans Frontières (MSF) a ouvert le Centre de réhabilitation médicale de Bagdad (BMRC) dans la capitale irakienne. Depuis, le BMRC assure une réhabilitation médicale et physique rapide aux hommes, femmes et enfants blessés pendant les combats. Lorsque la guerre a cessé de faire la Une des journaux, le BMRC a élargi ses critères d’admission et a commencé à recevoir les survivants de traumatismes non violents, comme ceux qui ont été impliqués dans des accidents de la route et des accidents industriels, tout en continuant à prendre en charge les blessés dans les violences qui se poursuivent à Bagdad.

 

Le 1er octobre dernier, des protestations de masse ont éclaté à Bagdad, en raison de la détérioration des conditions de vie, de la hausse du taux de chômage et du manque de services de base. Des violences ont accompagné les manifestations et les structures de santé de la capitale ont été inondés de blessés.

Dès le début, MSF a suivi de près la situation dans la capitale et a contacté plusieurs centres de santé pour identifier leurs besoins, leur apporter un soutien et faire des dons de matériel médical d’urgence.

Dans le même temps, le BMRC, initialement conçu pour 20 lits, a été agrandi pour pouvoir prendre en charge jusqu’à 30 patients, d’octobre à décembre. Le centre traite ceux qui ont besoin de physiothérapie et offre des soins postopératoires, y compris un soutien en santé mentale pour traiter les traumatismes qui accompagnent souvent les violences subies.

 

Des blessures de guerres, en temps de paix

 

Le 27 octobre aux alentours de 9h30 du matin, la femme de Yasser Falah* lui annonce qu’elle est enceinte. Deux heures plus tard, il est frappé par une bombe lacrymogène et transporté d’urgence en tuk-tuk vers un hôpital voisin. Référé dans un autre hôpital, il y subit deux interventions chirurgicales avant d’être transféré au BMRC pour commencer sa rééducation.

La nuit, Yasser à du mal à s’endormir. Son esprit voyage dans le nord du pays, là où il a dû déterrer le corps de sa mère dans les ruines de leur maison à la suite d’une attaque aérienne, pendant la guerre, dans les villes irakiennes occupées par l’Etat islamique. Malgré les somnifères, il n’arrive pas à dormir plus de deux heures par nuit. Yasser a aussi perdu l’appétit et à l’exception, de temps en temps, d’une bouchée de la nourriture empilée à côté de son lit.

« Je suis diplômé de l’Institut des Beaux-Arts, mais après avoir été blessé, j’ai perdu l’envie de dessiner. Je pense tout le temps à ma famille et à mon travail, je suis leur seule source de revenu, mais à cause de ma blessure, je n’ai pas travaillé depuis trois semaines “.

Les préoccupations de Yasser sont partagées par d’autres patients du BMRC, également blessés lors des manifestations. Bien que leurs blessures ne soient pas si pour le personnel médical irakien expérimenté employé par MSF, les blessures de nombreux patients sont comparables à celles des blessés de guerre reçus en 2017 en termes de gravité.

Des membres amputee, des vies perdues

 

Des heures auront été nécessaires pour éteindre et retirer la bombe lacrymogène logée dans la jambe droite de Saif Salman. Après plusieurs interventions chirurgicales dans différents établissements de santé de Bagdad, la décision a finalement été prise de l’amputer. Toute autre intervention semblait inutile et l’amputation inéluctable.

“J’étais sur le pont al-Jumhouriyah quand une bombe lacrymogène m’a touché à la jambe. Elle s’est enfoncée dedans tout en continuant à émettre du gaz fumigène. J’ai ouvert les yeux sur les conducteurs de tuk-tuk et sur les autres personnes qui se pressaient autour de moi. Ils m’ont transporté à l’hôpital “, poursuit-il.

” C’est vrai, ils m’ont amputé d’une jambe mais il m’en reste une autre ainsi que mes deux mains. J’ai trois autres membres avec lesquels je peux travailler. Je n’ai rien perdu. En fait, je me sens plus léger maintenant”, plaisante Salman du haut de ses 24 ans.

Son sens de l’humour accélèrera son processus de guérison et celui de ses paires, mais le traumatisme et l’angoisse restent néanmoins perceptibles. Salman se souvient, en larmes, de son camarade de classe et ami ayant trouvé la mort au cours des manifestations.

” Je ne supporte pas de voir sa photo et je suis triste quand je pense à lui. Il ne méritait pas de mourir – j’aurais préféré que ce soit moi, pas lui “, sanglote Salman.

 

Une reeducation precoce pour un meillieur retablissement

 

Au sein du BMRC, une équipe multidisciplinaire composée de médecins spécialisés, d’infirmiers, de physiothérapeutes, de psychologues et de personnel paramédical assiste la trentaine de patients du service d’hospitalisation et propose des sessions en journée à ceux en condition suffisante pour rentrer chez eux chaque soir.

Le travail commence une fois que l’opération du patient est terminée et que celui-ci est transféré au BMRC. Ces cas sont identifiés au préalable par un réseau de médecins dans les hôpitaux de Bagdad et par l’équipe MSF qui fait la tournée des structures de santé de la capitale à la recherche de patients nécessitant des soins post-opératoires intensifs et une rééducation.

“Le fait de commencer la rééducation rapidement joue un rôle dans la réduction des ramifications médicales à court terme et des conséquences physiques et psychologiques à long terme des blessures “, explique le Dr Aws Khalaf, responsable des activités médicales au BMRC.

Selon le Dr Khalaf, le fait de ne pas recevoir de soins postopératoires précoces peut entraîner la formation de caillots sanguins et d’infections. En réduisant l’impact des blessures et en accélérant le processus de rétablissement des patients, le personnel médical du BMRC ” leur permet réintégrer leur communauté en tant personnes actives, et non comme un fardeau pour les autres “.

En complément de la rééducation physique, le personnel médical du BMRC considère le soutien mental comme un élément clé de la convalescence. Au cours des consultations en santé mentale, les psychologues et conseillers cherchent à identifier la dépression et l’anxiété des patients, à gérer leurs souvenirs souvent traumatisants et à les aider à s’adapter à leur nouvelle réalité.

À ce jour, 75 pour cent des patients traités par MSF au BMRC ont quitté le centre après que leur état psychologique se soit amélioré.

 

L’impact social durable de la violence

 

Comme beaucoup de ceux qui ont été blessés au cours des heurts ayant secoué l’Irak récemment, Kadhim Dhaygham, chauffeur de tuk-tuk de 16 ans, et son frère étaient les seules sources de revenu pour leur famille. Comme beaucoup, ils ont commencé à travailler très jeune face à la situation économique désastreuse qui les a poussés à manifester.

Dans l’après-midi du dimanche 27 octobre, après avoir parqué son tuk-tuk près du pont Al-Jumhuriyah, une bombe lacrymogène s’est enfoncée dans la jambe de Kadhim.

« C’était tellement puissant qu’après avoir percuté la personne en face de moi, la bombe a touché ma jambe et celle de l’homme derrière moi. J’ai tenté de me relever et j’ai commencé à ramper, puis quelqu’un m’a porté jusqu’à un tuk-tuk. Le chauffeur m’a conduit à l’hôpital universitaire de neurochirurgie où ils m’ont référé à al-Kindy, » Kadhim rappelle.

Après avoir subi une première intervention chirurgicale en urgence et s’être fait appliquer un fixateur externe pour soutenir ses os brisés dans un autre hôpital, le chirurgien de Kadhim l’a dirigé vers le BMRC, où le personnel médical a ” redonné vie ” à sa jambe grâce à une physiothérapie immédiate.

Malgré l’amélioration de son état, Khadim à se sentir « dépourvu de tout ». Il se sent triste, loin de ses proches, sans pouvoir quitter sa maison. Il aspire à une vie normale, à des dîners en plein air avec ses amis et des promenades en tuk-tuk dans la ville. Originaire d’un quartier pauvre de l’est de la capitale, Kadhim est impatient de retourner au travail et d’aider son frère aîné à subvenir aux besoins de sa famille.

 

* Le noms a été modifié.