Dr. Claudia Lodesani, MSF Italy president, part of the MSF team in Codogno hospital © Davide Arcuri
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Italie : « Une nouvelle approche à la santé publique, le grand changement nécessaire pour lutter contre la COVID-19 »

Par Dre Claudia Lodesani, présidente de Médecins Sans Frontières (MSF) Italie et coordonnatrice des urgences pour l’intervention COVID-19. 

 

« Que peut faire MSF pour aider pendant cette crise de la COVID-19? Auparavant, les services de santé, ici en Italie comme dans la plupart des pays européens, étaient axés sur les soins individuels. Mais maintenant, il faut commencer à penser à la santé publique dans une optique d’épidémie.

Apporter ce genre de changement est difficile pour n’importe quel service de santé. Il faut changer notre façon de penser et d’agir, changer complètement d’approche. De plus, un facteur courant dans les épidémies est le nombre élevé de patients qui arrivent à l’hôpital en même temps. Cela peut avoir un impact négatif sur les systèmes de santé, même les plus solides, qui ne sont pas habitués à faire face à un tel afflux de patients chaque jour. S’adapter à cette situation n’est pas facile.

Dans une situation comme celle-ci, la valeur ajoutée de MSF réside dans son expérience à fournir de l’aide lors de crises et d’épidémies. Nous avons acquis beaucoup d’expérience à force de travailler dans de telles conditions à travers le monde. C’est ce que nous faisons. Donc, le meilleur soutien que nous pouvons fournir en ce moment est de conseiller sur les différentes approches, stratégies et pratiques qui doivent être employées face à une pandémie comme celle du coronavirus.

Lorsque nous sommes arrivés à Lodi, dans le nord de l’Italie, nous avons immédiatement constaté à quel point une grande partie du personnel médical était traumatisé. Ils voulaient parler de la crise, de ce qu’ils vivaient en première ligne de cette urgence depuis deux ou trois semaines. C’était une situation qu’ils n’avaient jamais connue auparavant. Ils étaient choqués par la rapidité avec laquelle tout s’était passé.

 

Voici l’hôpital en Italie où l’on a obtenu le premier résultat positif à la COVID-19 à l’aide d’un test sur écouvillon.Lisa Veran/MSF

 

Nous avons pu écouter et sympathiser, parce que nous savons ce que c’est. Avoir la possibilité de parler ainsi, de pleurer devant des gens qui comprennent ce que vous vivez, c’est vraiment important. Cela vous aide à savoir que vous n’êtes pas seul, et vous donne la force de continuer à travailler.

La première étape pour lutter contre une épidémie comme celle-ci est la protection du personnel de première ligne. Sans les travailleurs de la santé, nous ne pourrions pas répondre à la pandémie. Des milliers d’entre eux tombent malades dans les pays touchés, il est donc essentiel de les protéger et d’éviter qu’ils deviennent infectés.

La prochaine étape consiste à reconnaître que, bien que les hôpitaux soient essentiels à l’intervention, les soins à domicile et les services de proximité sont également très importants. Lors d’une épidémie, vous ne pouvez pas vous concentrer uniquement sur les soins hospitaliers; les omnipraticiens et les médecins de famille ont aussi un rôle essentiel à jouer. Vous devez compter sur l’ensemble de la communauté.

Nous avons beaucoup de centres pour personnes âgées en Italie et, évidemment, le niveau de soins médicaux qui y sont dispensés n’est pas le même que dans un hôpital. Les maisons de soins et les hébergements pour aînés sont particulièrement menacés par la COVID-19, puisque ce sont les personnes âgées qui sont les plus vulnérables à la maladie et qu’elles vivent en contact étroit dans ces établissements. C’est pourquoi il est important de réorganiser leur mode d’opération.

Même dans le petit quartier où je me trouve actuellement, dans le centre de l’Italie, il y a environ 50 établissements pour personnes âgées, donc c’est un travail énorme. MSF a constaté les besoins ici, et nous avons commencé à soutenir le personnel de ces établissements avec des mesures de protection et de contrôle des infections, dans le cadre de notre action générale pendant cette crise. Ce personnel n’est pas en sécurité non plus.

Je travaille pour MSF depuis 18 ans. Et, pour moi, l’une des choses les plus difficiles à gérer dans cette crise est la souffrance des personnes âgées, qui représentent la majeure partie des patients hospitalisés. Dans les endroits où j’ai travaillé avec MSF, la plupart de nos patients étaient des enfants ou des jeunes. 

Pour moi personnellement, il y a quelque chose de très poignant et tragique dans la façon dont les personnes âgées ont été particulièrement affectées par la COVID-19. Lorsque vous arrivez dans la salle et que vous êtes confronté à 80 ou 100 personnes très âgées, très fragiles, c’est tellement bouleversant. Ils sont coupés de leur famille, alors même qu’ils luttent contre cette maladie. Cela m’a profondément touchée. Cette pandémie nous laissera tous affectés différemment à MSF, et le monde entier en sortira changé à jamais. »