Brang Seng, 30, who was diagnosed with HIV in April 2021, registers his arrival at MSF’s Myitkyina clinic in Kachin state. © Ben Small/MSF
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Journée mondiale de lutte contre le sida 2021 : les troubles politiques au Myanmar menacent les soins pour les personnes atteintes du VIH

Après que l’armée a eu pris le pouvoir du gouvernement démocratiquement élu du Myanmar, le 1er février 2021, les médecins et le personnel infirmier ont été parmi les premiers à diriger les manifestations en quittant leur emploi dans les quelques jours qui ont suivi l’événement. Cela a eu un impact considérable sur le système de santé publique, y compris sur le Programme national de lutte contre le sida qui fournit des médicaments, des consultations et des conseils à plus de 150 000 personnes vivant avec le VIH.

L’impact sur les personnes vivant avec le VIH

Un diagnostic tardif ou un traitement interrompu est dévastateur pour les personnes qui vivent avec le VIH. Cela entraîne une augmentation des niveaux de virus dans leur sang, ce qui affaiblit leur système immunitaire et oblige leur corps à lutter contre des infections opportunistes potentiellement mortelles. Et si le VIH n’est diagnostiqué qu’à un stade avancé, il répond moins bien au traitement.

Entre février et octobre, 2 929 rendez-vous ont été manqués dans les cliniques de Médecins Sans Frontières (MSF), soit une augmentation de 89 % par rapport à la même période l’année dernière. Fait inquiétant, il y a désormais de nombreux patients et patientes avec lesquels nous ne pouvons plus du tout entrer en contact. Dans l’État de Shan, nos travailleurs et travailleuses de proximité ont perdu le contact avec 120 personnes depuis février, ce qui représente une augmentation de 50 % depuis l’année précédente. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour ces personnes avec qui nous avons perdu le contact.

L’extérieur de la clinique VIH de MSF à Myitkyina, dans l’État de Kachin.
L’extérieur de la clinique VIH de MSF à Myitkyina, dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

Le risque qu’entraîne une telle situation ne touche pas seulement les patients et les patientes. Des niveaux de virus plus élevés augmentent également la probabilité de transmettre le VIH. Si de nombreuses personnes ne suivent pas leur traitement ou ne peuvent pas se faire diagnostiquer pour entreprendre un traitement antirétroviral, nous pourrions assister à des infections généralisées dans les communautés, ce qui viendrait anéantir les progrès accomplis pendant des années de lutte contre cette épidémie.

Les impacts plus larges des récents troubles politiques sur le système de santé publique du Myanmar se sont traduits par la fermeture de nombreux hôpitaux ou la réduction de la gamme des services offerts lorsque le personnel est en grève. Cela signifie que nous avons peu d’options pour orienter les patients et les patientes séropositif·ve·s lorsque leurs besoins deviennent critiques, ce qui représente une menace pour la vie de ceux et celles qui sont les plus vulnérables face à la maladie.

MSF intensifie ses efforts pour combler le vide dans les services liés au VIH

Bien qu’il se soit lentement rétabli au cours des 10 derniers mois, le Programme national de lutte contre le sida n’est pas en mesure de recommencer à accepter des patients et des patientes de MSF. Ce n’est pas avant 2023, au plus tôt, que nous envisageons de relancer le transfert des patients et des patientes. De nombreuses installations du Programme national n’offrent encore que des services très limités, lorsqu’ils sont effectivement fonctionnels. Le diagnostic et la mise sous traitement de nouveaux patients et patientes ont été interrompus dans de nombreux sites. Les établissements plus éloignés n’ont parfois qu’un seul infirmier ou une seule infirmière qui peut fournir des médicaments, mais qui ne peut pas procéder aux analyses sanguines pour surveiller les charges virales ou traiter les cas plus complexes où le VIH se trouve à un stade plus avancé et que l’état du patient ou de la patiente est plus critique.

Ma Sabai, 24 ans, née avec le VIH et diagnostiquée à 17 ans, avec sa famille à la clinique MSF de Moegaung dans l’État de Kachin.
Ma Sabai, 24 ans, née avec le VIH et diagnostiquée à 17 ans, avec sa famille à la clinique MSF de Moegaung dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

Pour MSF, réduire ses activités liées au VIH a été un renversement de stratégie. Toutefois, pour la première fois depuis 2019, nous diagnostiquons et mettons sous traitement un grand nombre de nouveaux patients et patientes – nous en avons enregistré 399 depuis que l’armée a pris le pouvoir. Par ailleurs, les patients et les patientes du Programme national ont visité plus de 7 200 fois les installations de MSF au Shan, au Kachin et à Tanintharyi pour poursuivre leurs soins parce que les cliniques gouvernementales étaient incapables de les soutenir.

La capacité de réponse de MSF

La mesure dans laquelle nos cliniques peuvent intensifier leurs efforts pour répondre aux demandes varie. Dans l’État de Kachin, nous pouvons renouveler les médicaments et effectuer des diagnostics et des bilans de santé, mais le volume de patients et de patientes du Programme national qui arrivent dans nos établissements de l’État de Shan est si important qu’il limite le soutien que nous pouvons offrir.

Ce pic de patients et de patientes combiné à l’interruption des importations de médicaments a menacé nos fournitures médicales. Pendant des mois, nous ne pouvions offrir des prescriptions de médicaments antirétroviraux que pour de plus courtes périodes. Actuellement, nous manquons de médicaments pour traiter les personnes aux prises avec des infections opportunistes comme la méningite fongique, et de matériel nécessaire pour diagnostiquer le VIH chez les nourrissons. Si ces stocks s’épuisent, cela pourrait entraîner des conséquences fatales pour les patients et les patientes.

Des trajets difficiles vers les cliniques de MSF pour le traitement du VIH

L’instabilité politique du Myanmar a déclenché un conflit entre l’armée birmane d’un côté et les milices civiles prodémocratie et les organisations ethniques armées de l’autre. Les assassinats, les bombardements ciblés et les batailles territoriales sont monnaie courante dans tout le pays.

Naw Naw, 47 ans, qui bénéficie des services de traitement du VIH de MSF depuis 20 ans, est en consultation à la clinique MSF pour le traitement du VIH à Myitkyina, dans l’État de Kachin.
Naw Naw, 47 ans, qui bénéficie des services de traitement du VIH de MSF depuis 20 ans, est en consultation à la clinique MSF pour le traitement du VIH à Myitkyina, dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

De nombreuses personnes qui visitent nos cliniques doivent parcourir de longues distances, et ces trajets sont maintenant semés d’embûches qui peuvent les dissuader de faire le voyage. Les postes de contrôle militaires et policiers sont aussi intimidants que répandus; les gens y sont fouillés et doivent payer une « taxe » pour pouvoir passer. Un couvre-feu en vigueur de 22 h à 4 h restreint le temps accordé pour se rendre à la clinique et rentrer à temps chez soi, tandis que des actes de violence sporadiques présentent un risque pour les personnes empruntant certains itinéraires.

« La route entre Chipwe et Myitkyina est officiellement fermée depuis des mois, il y a donc de nombreux postes de contrôle et peu de conducteurs osent s’y aventurer », explique Brang Seng*, 30 ans, qui n’a été diagnostiqué séropositif qu’en avril et qui doit se rendre fréquemment à la clinique MSF alors qu’il commence son traitement.

« Je m’inquiète de l’escalade du conflit qui pourrait m’empêcher de voyager et me faire manquer mon rendez-vous, alors je suis venu plus tôt. Je ne peux venir que s’il y a un taxi. Et il n’y en a pas tous les jours. »

L’économie dévastée du Myanmar limite l’accès aux soins de santé

La pandémie de COVID-19, associée à la prise du pouvoir par l’armée birmane, a laissé l’économie du pays en piteux état. De nombreuses personnes sont au chômage, et l’inflation fulgurante a fait grimper le prix des produits de première nécessité, en particulier la nourriture et l’essence.

Les trains intercités abordables ne circulent plus et les autobus ne sont pas fiables non plus, ce qui signifie que les gens doivent utiliser des options plus dispendieuses pour se déplacer, comme des voitures privées ou des motos. Pour nos patients et patientes séropositif·ve·s, cela signifie des coûts supplémentaires pour atteindre nos cliniques alors que leurs moyens sont de plus en plus restreints.

Un membre du personnel de MSF se lave les mains à la clinique VIH de MSF à Myitkyina, en octobre 2021.
Un membre du personnel de MSF se lave les mains à la clinique VIH de MSF à Myitkyina, en octobre 2021. Ben Small/MSF

Bien qu’il soit parvenu à se rendre à la clinique MSF de Moegaung, dans l’État de Kachin, les expériences du patient séropositif U Hla Tun* illustrent les défis auxquels la population du Myanmar est confrontée depuis février. U Hla Tun* gagne sa vie en transportant sur sa moto des porcelets, depuis l’endroit où il vit, à Karmine, pour les vendre dans la ville minière de Hpakant. Auparavant, chaque voyage lui rapportait jusqu’à 100 000 kyats (55 $ US), mais puisque Hpakant est confrontée à une panne d’Internet et à l’insécurité en raison des combats, la demande pour ses bêtes est en baisse et il est incapable de se déplacer aussi facilement qu’avant.

« Il est devenu trop difficile de voyager. Je ne peux pas faire le tour de la région et vendre mes bêtes à cause des combats et de la situation de la COVID-19. Il reste peu d’acheteurs et mon entreprise est presque à l’arrêt, dit-il. Il n’y a aucune garantie de sécurité à Hpakant, donc les gens ne veulent plus acheter et élever des porcs. »

Tous les obstacles à la prestation de soins du VIH doivent être éliminés.

Pour les patients et les patientes qui ne peuvent pas atteindre nos cliniques en raison de tels obstacles, nous pouvons toujours leur fournir des médicaments en empruntant les transports publics – dans l’État de Shan, nous avons effectué 270 livraisons de médicaments depuis février. Mais ce n’est pas une solution à long terme. Les patients et les patientes dont l’état est instable ont besoin de consulter des médecins, et sans les consultations et les tests qu’ils reçoivent dans nos cliniques, ils ne recevraient pas des soins appropriés.

De quoi sera fait l’avenir?

Il est primordial que les personnes vivant avec le VIH au Myanmar aient un accès fiable aux soins de santé. Cela signifie un Programme national de lutte contre le SIDA pleinement opérationnel, au lieu de la communauté d’acteurs qui comblent actuellement les lacunes. Comme les bailleurs de fonds sont incapables de diriger les fonds par l’intermédiaire du gouvernement militaire du Myanmar, ce qui serait considéré comme un soutien tacite, il se peut que des organisations comme MSF doivent continuer à intervenir jusqu’à ce qu’il y ait un changement dans le paysage politique. Le financement continu des services liés au VIH au Myanmar est donc essentiel.

Tous les obstacles à la prestation de soins du VIH doivent être éliminés. Une victoire rapide serait d’assurer que les permis d’importation soient toujours disponibles pour les médicaments et autres fournitures médicales. Toutefois, beaucoup plus de temps et d’efforts seront nécessaires pour résoudre le conflit et les troubles économiques qui ont un impact sur l’accès, pour nos patients et patientes, aux soins de santé dont ils ont besoin au Myanmar.

Les noms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.