Le vaccin contre le coronavirus doit être abordable et accessible
Par Jason Nickerson, Conseiller aux affaires humanitaires de MSF Canada
La course est lancée pour mettre au point un vaccin contre la COVID-19. L’Allemagne, les États-Unis, l’Union européenne et d’autres ont engagé collectivement plus d’un milliard de dollars à cette fin.
Le 11 mars, le Canada a annoncé qu’il octroyait 275 millions de dollars pour la recherche et le développement de certains des vaccins, tests de dépistage et traitements les plus prometteurs au monde, entre autres recherches cliniques et de santé publique.
Les fonds publics sont l’épine dorsale de la base scientifique requise pour développer les outils médicaux dont nous avons besoin et que nous utilisons. Mais aujourd’hui, rien n’indique — ni ne garantit — que les milliards de dollars publics dépensés se traduiront par un vaccin ou un traitement abordable contre la COVID-19.
Au lieu de cela, les gouvernements semblent prêts à laisser le marché privé régler les détails quant à l’accès et au prix. Leur logique est que le financement public devrait être utilisé pour soutenir la découverte à un stade précoce, mais que la recherche devrait ultimement être transférée à des entreprises privées afin d’être pleinement développée et tarifée en fonction de ce que le marché peut supporter. Cette logique, que ce soit dans le contexte de la COVID-19 ou de toute autre maladie, est déficiente.
Pour son investissement de 275 millions de dollars, le Canada n’a pas encore annoncé les mesures qu’il mettra en place pour garantir que les vaccins, tests de dépistage et traitements résultants seront abordables et accessibles aux personnes et aux systèmes de santé qui en ont besoin. Comme les contributions publiques sont substantielles, les gouvernements doivent veiller à ce que le retour sur ces investissements prenne la forme de services de santé gratuits pour les patients et abordables pour les systèmes de santé, et non de profits faramineux pour des entreprises privées. C’est non seulement éthique, mais aussi logique d’agir ainsi dans le cadre de la politique mondiale de santé publique.
Tirer des leçons du vaccin contre Ebola
Le Canada possède une expérience récente dans l’élaboration d’un vaccin que le monde attendait impatiemment. Le vaccin rVSV-ZEBOV contre Ebola a été mis au point par des chercheurs travaillant au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg au début des années 2000. Pourtant, le vaccin n’a été approuvé par l‘Agence européenne des médicaments et la Food and Drug Administration des États-Unis qu’à l’automne 2019, près de 20 ans après sa découverte et plusieurs années après la fin de l’essai clinique démontrant son efficacité.
Qu’est-ce qui explique ce délai? Pendant longtemps, le secteur privé n’a tout simplement pas manifesté d’intérêt financier à le commercialiser — les épidémies d’Ebola se produisent dans des pays qui sont incapables de payer des prix qui rendraient le développement de vaccins lucratif pour les sociétés pharmaceutiques.
Le gouvernement canadien a cherché un partenaire du secteur privé pour développer et commercialiser le vaccin, mais il y avait peu d’intérêt. C’est une entreprise sans expérience préalable dans la mise en marché de vaccins qui en a acquis les droits en 2010 pour 205 000 $ et qui a depuis offert le vaccin en sous-licence à Merck pour 50 millions de dollars US, après avoir apparemment fait très peu pour avancer le développement du vaccin malgré son obligation contractuelle de le faire.
Comme un collègue l’a dit récemment lors d’un témoignage devant le Comité permanent de la santé du Parlement, aucune loi de la physique n’oblige l’industrie pharmaceutique privée à faire de la recherche et du développement pour des médicaments et vaccins capables de sauver des vies. En fait, le secteur privé s’est montré remarquablement déphasé par rapport aux nombreuses priorités mondiales en matière de santé publique, s’éloignant de la recherche et du développement de traitements dont nous avons tous besoin — comme de nouveaux antibiotiques. Il est cependant passé maître dans l’art d’exiger des prix élevés sous la menace de retarder le lancement de nouveaux médicaments si ces exigences de prix ne sont pas satisfaites.
Les fonds publics ne garantissent pas des médicaments accessibles
Il est essentiel que nous tirions des leçons du vaccin contre Ebola et des nombreuses autres découvertes qui ont été soutenues par des fonds publics, et que nous nous y prenions correctement, non seulement avec la COVID-19, mais dans le cadre de notre approche globale de l’innovation en santé financée par des fonds publics. Les gouvernements du monde entier jouent un rôle essentiel dans le soutien de la science qui mène à la découverte de technologies vitales.
Au Canada seulement, les chercheurs dans les laboratoires financés par des fonds publics ont découvert un vaccin contre Ebola, l’insuline, le stimulateur cardiaque, un vaccin contre haemophilus influenzae, pour n’en nommer que quelques-uns.
Bien que le Canada et d’autres gouvernements aient soutenu cet important travail en dirigeant le financement vers les universités et les instituts de recherche, ces modèles de financement ne parviennent généralement pas à refléter le processus qui mène de la découverte à l’utilisation, et comptent plutôt sur les universités ou les chercheurs eux-mêmes pour déterminer comment rendre ces découvertes révolutionnaires jusqu’aux patients.
Historiquement, ils l’ont fait en commercialisant leurs découvertes via le secteur privé, en accordant à une entreprise le droit exclusif d’en faire le développement ultérieur, puis de contrôler la vente et le prix du produit résultant — sans aucune mesure ni balise pour garantir aux patients un accès abordable une fois que le médicament ou le vaccin fait son entrée sur le marché.
Cette approche de la science sans engagement est imprudente dans un contexte où les patients meurent en raison de l’incapacité des systèmes de santé d’acheter des médicaments qui désormais peuvent coûter des centaines de milliers de dollars, et où les entreprises se préparent déjà à engranger les énormes profits qui proviendront des vaccins et traitements contre la COVID-19.
À mesure que ces nouveaux outils médicaux sont développés, homologués et vendus sur le marché, il existe un risque réel que, vu le fonctionnement actuel du système d’innovation biomédicale, ils deviennent inaccessibles à ceux qui en ont besoin. Les Canadiens sont en droit de ne pas accepter une telle situation, compte tenu de l’important investissement public qui a été fait.
L’accès, une priorité
Le Canada peut remédier à la situation. Nous avons des scientifiques de classe mondiale qui, de toute évidence, travaillent actuellement sur des vaccins et des traitements prometteurs contre la COVID-19. Nous devrions soutenir leur travail avec des fonds publics par l’entremise de nos organismes subventionnaires de la recherche et d’autres mécanismes au Canada.
Nous ne devons pas accepter aveuglément que la seule façon pour ces scientifiques productifs de rendre leurs vaccins et traitements jusqu’aux patients est de les vendre à des sociétés pharmaceutiques, sans en négocier au préalable l’accès pour les patients et les systèmes de santé. Nous avons besoin de balises qui garantissent que si le public paie, les Canadiens et tous les autres pays du monde qui en ont besoin pourront y accéder rapidement et à un prix abordable. Les fonds publics devraient mener à des médicaments et à des vaccins abordables pour le public.
Le Canada pourrait même ne pas avoir à dépendre de partenaires commerciaux pour amener l’innovation médicale du laboratoire au chevet du patient. L’expérience du développement du vaccin contre Ebola montre que les chercheurs du secteur public ont fait une grande partie du travail de développement et ont même fabriqué les premiers lots du vaccin. Nous avons des experts en essais cliniques dans nos hôpitaux, universités et groupes de recherche sur les vaccins qui sont plus que capables de réaliser les essais cliniques nécessaires pour développer et produire de nouvelles technologies de la santé rapidement et à coût raisonnable.
Nous pouvons aborder différemment la recherche et le développement en santé; il faut s’y prendre d’une manière qui donne la priorité à l’accès et à l’abordabilité pour les patients et qui empêche de faire des profits sur le dos des personnes malades en temps de crise. Maintenant, mettons-nous au travail.
Le présent article a paru originalement sur The Conversation.