Migrants et migrantes dans le nord du Mexique : la vie sur pause en attendant de trouver la sécurité
À Matamoros, une ville située à la frontière nord du Mexique, environ 2 500 personnes migrantes vivent dans des conditions déplorables dans un nouveau camp de fortune. Elles souhaitent se rendre aux États-Unis pour vivre en sécurité.
Esteban Montaño Vásquez, responsable des communications pour le Mexique et l’Amérique centrale à MSF, a visité le camp la semaine dernière. Ici, il parle des personnes qu’il a rencontrées et de la façon dont les récents changements de politique compliquent davantage leur quête de sécurité.
Quand je suis entré dans le camp, une femme s’est approchée de moi et m’a dit : « Hier soir, il y a eu une fusillade là-bas. » J’étais sous le choc. Elle m’a dit que ce n’était pas la première fois qu’elle entendait des coups de feu près du camp. Elle a dit que les jeunes hommes qui vivent dans le camp craignent d’être recrutés de force par des gangs associés au crime organisé.
Je lui ai demandé ce qui affectait sa vie dans le camp. Elle a dit que, depuis les quatre semaines qu’elle vit ici, aucune eau potable n’a été fournie, et que les dons alimentaires sont rares. « Le dimanche, des fidèles d’une église nous apportent des sandwichs au jambon et fromage et une boisson », raconte-t-elle. « Nous devons tout obtenir par nous-mêmes, et beaucoup de gens ici n’ont pas un sou. » La femme transportait une cruche de cinq litres d’eau, récemment achetée dans un magasin voisin.
Le camp se trouve sur la rive sud du Rio Grande — une rivière de moins de 20 mètres de large. Ses eaux sont cachées sous une épaisse couche de végétation. De l’autre côté commencent les États-Unis, dont les promesses de sécurité et de bien-être justifient la douleur subie pour atteindre ce point.
Les odeurs de fumée et des déchets accumulés remplissaient l’air. Je me suis promené dans les flaques d’eau — des reliques de la récente vague de froid qui a fait chuter le mercure sous le point de congélation. Les gens essayaient de réchauffer leurs tentes avec des sacs en plastique.
Des drapeaux vénézuéliens flottaient au-dessus de certaines tentes — la plupart des personnes à qui j’ai parlé étaient de cette nationalité. Ces dernières années, plus de six millions de Vénézuéliens et Vénézuéliennes ont fui leur pays. Alors que la plupart d’entre eux se sont retrouvés en Colombie et dans d’autres pays d’Amérique latine, beaucoup ont entrepris le périlleux voyage vers les États-Unis pour échapper aux difficultés et dangers extrêmes ailleurs. En octobre, l’administration Biden a élargi le titre 42 pour inclure les gens en provenance du Venezuela, ce qui a entraîné des milliers d’expulsions vers Matamoros.
Le titre 42 est une politique préjudiciable datant de l’ère Trump — conservée puis élargie par l’administration Biden — qui permet aux États-Unis d’expulser sans procédure équitable les personnes demandeuses d’asile arrivant à la frontière sud des États-Unis vers le Mexique et d’autres pays de la région.
En me promenant, j’ai vu des gens préparer le petit-déjeuner sur des poêles improvisés dans des chaudrons noirs de suie, tandis que d’autres balayaient le sol autour de leur tente. Un groupe d’enfants était attroupé autour du seul réservoir d’eau desservant les 2 500 personnes du camp, mais cette eau n’est pas potable. Non loin de là, deux fillettes jouaient avec un château en plastique et une poupée princesse aux longs cheveux blonds. L’impact des conditions de vie horribles sur la santé des gens est rapidement devenu évident.
Un jeune homme — après avoir remarqué le logo MSF sur mon chandail — est sorti de sa tente pour me dire qu’il souffrait de diarrhée sanglante depuis des jours. Il détenait une ordonnance pour un médicament capable de le guérir, mais n’avait pas les moyens de l’acheter.
Pendant que nous discutions, un couple tenant leur petite fille dans leurs bras s’est également approché de moi. Depuis la nuit dernière, leur bébé présentait des difficultés respiratoires et une respiration sifflante. Peu de temps après, un homme d’âge moyen souffrant de diabète est venu me demander si je pouvais lui donner les médicaments dont il avait besoin.
MSF a mis fin à ses programmes à Matamoros après que le camp précédent ait été rasé au bulldozer en mars 2021, alors que l’administration Biden promettait de reconstruire un système migratoire digne et humain, une promesse qui a depuis été brisée. Face aux besoins en hausse, nos équipes sont retournées à Matamoros à la fin de 2022 et fournissent maintenant des soins médicaux et psychologiques trois jours par semaine grâce à une clinique mobile qui opère à la périphérie du camp.
Plus de 15 personnes attendaient d’être vues par le personnel médical de MSF. Les consultations sont réalisées en fonction du degré d’urgence de leur état, en donnant toujours la priorité aux femmes enceintes et aux enfants de moins de cinq ans.
La clinique elle-même se trouve dans un petit bureau que l’équipe de MSF a transformé en salle d’examen. Une infirmière et un médecin ont aidé deux filles qui ont été amenées par leur mère. Elles souffraient toutes deux d’affections respiratoires mineures — l’un des diagnostics les plus courants pour les personnes vivant dans de telles conditions.
Yirimar, une Vénézuélienne, est sortie de la clinique avec sa fillette. Je lui ai demandé comment elle était arrivée ici. « J’ai vécu au Pérou pendant quelques années avant d’entamer le voyage aux États-Unis avec mon mari et mon bébé », explique-t-elle. « Nous sommes arrivés à Matamoros au début du mois de décembre, et grâce à Dieu, nous pourrons bientôt [entrer] aux États-Unis pour rencontrer un cousin qui va nous parrainer… Aux États-Unis, nous voulons travailler dur pour rembourser nos dettes et laisser derrière nous tout ce qui nous est arrivé pendant le voyage. »
Yirimar m’a dit qu’après de nombreuses tentatives, elle avait finalement obtenu un rendez-vous avec un fonctionnaire américain grâce à CBP One, la nouvelle application téléphonique des douanes et de la protection des frontières; c’est maintenant le seul moyen de déposer une demande d’exemption au titre 42 et de demander l’asile aux États-Unis sans risquer l’expulsion vers le Mexique.
Alors que Yirimar a finalement pu obtenir un rendez-vous quelques jours plus tard, la plupart des gens avec qui j’ai parlé n’avaient pas eu autant de chance. On m’a parlé de nombreux problèmes que les gens avaient rencontrés avec l’application : elle ne fonctionne pas correctement sur certains téléphones; il y a très peu de rendez-vous offerts par jour; parfois, les seules disponibilités sont dans des villes situées à des milliers de kilomètres; certains ont dû acheter un nouveau téléphone avec un meilleur appareil photo parce que l’application exige une photo de la personne qui dépose la demande. D’autres n’avaient pas accès à un wifi ou ne possédaient pas de téléphone, ou encore ne pouvaient pas remplir le formulaire car ils ne lisaient ni l’anglais ni l’espagnol.
MSF fournit des soins médicaux et psychologiques le long de la route migratoire entre l’Amérique du Sud et les États-Unis depuis des années. J’ai vu à quel point il est essentiel d’élargir les voies sûres pour les personnes qui migrent et qui demandent l’asile. Mais l’accès à la sécurité ne devrait pas dépendre de la nationalité de ceux et celles qui la demandent, de leurs options de parrainage aux États-Unis, de leur capacité à se payer un billet d’avion pour les États-Unis ou de leur statut juridique dans un pays tiers.
Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, les personnes en quête de sécurité — comme celles que j’ai rencontrées à Matamoros — continueront d’être contraintes de vivre dans des conditions déplorables.