Un labo-technicien de MSF analyse un échantillon de sang à la clinique. RDC, 2022. © Tadeu Andre/MSF
PARTAGEZ

MSF demande à nouveau à Johnson & Johnson de retirer ou d’abandonner les brevets étendus sur les médicaments contre la tuberculose

Le récent accord prévoyant un accès contrôlé aux génériques dans un nombre limité de pays ne va pas assez loin.

Alors que le brevet principal de 20 ans de Johnson & Johnson (J&J) sur la bédaquiline, un médicament essentiel et salvateur contre la tuberculose résistante, expire aujourd’hui dans la majorité des pays, dont l’Inde, Médecins Sans Frontières (MSF) réitère son appel au groupe pharmaceutique américain. MSF demande à J&J d’annoncer publiquement qu’il n’appliquera aucun brevet « secondaire » pour ce médicament dans les pays où le fardeau de la tuberculose est élevé. MSF demande également à J&J de retirer et d’abandonner toutes les demandes de brevets secondaires en cours pour ce médicament essentiel partout dans le monde. MSF demande en outre à J&J de s’engager à n’intenter aucune action en justice contre un fabricant de génériques qui exporterait des versions génériques de la bédaquiline vers ou à partir de pays où la tuberculose est très répandue et où il existe des brevets secondaires sur le médicament. L’entreprise devrait rendre cette annonce publique d’ici le sommet des Nations Unies sur la tuberculose qui se tiendra à New York en septembre.

L’annonce faite la semaine dernière par le Stop TB Partnership/Global Drug Facility (GDF) au sujet d’un accord avec J&J visant à accroître l’accès à des versions génériques abordables de la bédaquiline n’offre qu’une solution partielle au problème de l’accès. En effet, l’accord exclut de nombreux pays où la prévalence de la tuberculose est élevée, principalement en Europe de l’Est et en Asie centrale (EOCA).

« Le fait de pouvoir proposer la bédaquiline aux personnes atteintes de tuberculose résistante aux médicaments a constitué une révolution dans le traitement de cette maladie mortelle. Cela a contribué à réduire significativement de la durée du traitement, le nombre de comprimés nécessaires et les effets secondaires, et à améliorer l’observance et la réponse au traitement », explique le Dr Zulfiya Dusmatova, qui travaille avec MSF auprès des personnes atteintes de tuberculose au Tadjikistan. « Il serait exaspérant que les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, qui sont parmi les plus touchés par la tuberculose pharmacorésistante, soient injustement exclus de cet accord. Cela priverait ainsi d’accès aux génériques des personnes qui pourraient avoir besoin d’un traitement de toute urgence. Au lieu de proposer une solution partielle, nous demandons à J&J d’annoncer immédiatement qu’il abandonnera, retirera et n’appliquera aucun brevet secondaire sur la bédaquiline dans tous les pays où le fardeau de la tuberculose est élevé, pour que plus de vies puissent dès maintenant être sauvées. »

J&J détient des brevets secondaires dans au moins 34 des 49 pays où la tuberculose, la tuberculose-VIH ou la tuberculose rhumatismale sont très répandues et où la bédaquiline demeure un élément essentiel des schémas thérapeutiques. Plusieurs de ces pays se trouvent dans la région de l’EOCA. J&J a tenté de prolonger son brevet de quatre ans en Inde en déposant une demande de brevet secondaire, mais cette demande a été rejetée en mars 2023 par l’Office indien des brevets. Le brevet principal expirant aujourd’hui en Inde, plusieurs fabricants pourront désormais produire et vendre librement des versions génériques du médicament en Inde et les exporter vers tout autre pays où les brevets ne font pas obstacle. L’application du brevet secondaire dans les pays exclus de l’accord retarderait d’au moins quatre ans l’accès à la bédaquiline générique plus abordable. Cela entraînerait une hausse des coûts de traitement qui non seulement limiterait l’accès aux personnes qui en ont besoin de toute urgence, mais signifierait également une diminution des fonds destinés à couvrir d’autres frais essentiels liés à la lutte contre la tuberculose.

Les comprimés de bédaquiline constituent aujourd’hui l’épine dorsale des régimes de traitement de la tuberculose. Recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ils offrent un traitement nettement amélioré, plus court, mieux toléré et plus efficace pour les personnes touchées par la tuberculose rhumatismale. Le traitement actuellement recommandé, qui contient de la bédaquiline, est entièrement oral, dure 6 mois et permet d’atteindre des taux de guérison de 89 %. Il s’agit d’une amélioration considérable par rapport aux anciens traitements qui devaient être administrés pendant 18 mois et comportaient de douloureuses injections quotidiennes.

J&J propose actuellement le médicament à 1,98 CAD/jour pour un traitement adulte (358 CAD/six mois). Toutefois, avec la montée en puissance et la concurrence sans restriction des génériques, le prix de la bédaquiline devrait baisser et se rapprocher du prix cible estimé à 0,66 $ par jour.

« Je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi l’ancien traitement contre la tuberculose pharmacorésistante que j’ai dû subir », déclare Phumeza Tisile, un militant du traitement de la tuberculose originaire de Khayelitsha, en Afrique du Sud. Avec Nandita Venkatesan, une autre survivante de la tuberculose originaire de l’Inde, Phumeza Tisile a gagné en mars le procès intenté en Inde contre la tentative de J&J d’étendre son monopole sur la bédaquiline dans le pays. Phumeza Tisile est devenu sourd de façon permanente à cause des anciens traitements. « Nous avons attaqué le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson parce que nous voulons que toutes les personnes qui ont besoin de la bédaquiline aient un accès immédiat au traitement. Il n’y a pas d’excuse quand un traitement bien meilleur existe, il doit donc être abordable et disponible pour tout le monde. J&J, faites ce qu’il faut maintenant et engagez-vous à ne pas appliquer les brevets étendus sur la bédaquiline. »

MSF a également demandé à tout pays où J&J détient des brevets sur la bédaquiline, et qui est exclu de l’accord GDF, d’exercer ses droits en vertu des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), décrites dans l’accord « ADPIC » et la déclaration de Doha. L’objectif est de surmonter ces obstacles qui empêchent de fournir aux gens le traitement plus abordable dont ils ont besoin pour vivre et demeurer en bonne santé. Les pays peuvent agir en délivrant, par exemple, des « licences obligatoires », qui permettent à des producteurs autres que le détenteur du brevet de fabriquer et de vendre le médicament, ou d’importer des versions génériques plus abordables du médicament, même si un brevet est en place.

« Si J&J ne fait pas ce qu’il faut, nous exhortons les gouvernements de tous les pays fortement touchés par la tuberculose à prendre les choses en main afin de sauver davantage de vies », déclare Christophe Perrin, pharmacien chargé du plaidoyer sur la tuberculose au sein de la Campagne d’accès de MSF. « Attendre des années après l’expiration du brevet primaire pour pouvoir enfin accéder à une bédaquiline abordable ne devrait être considéré par aucun pays comme une option. »