MSF car from inside a Phase 1 tent. © MSF/Florence Dozol
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Niger : travailler avec la communauté pour alléger la pression sur les hôpitaux

En septembre 2018, l’infirmière Awa Abou Amadou travaillait à l’unité de soins pédiatriques de Médecins Sans Frontières (MSF) à Magaria, dans le sud du Niger. Ce fut son expérience professionnelle la plus difficile. « Nous recevions environ 140 enfants par jour. Ce n’était pas facile », dit-elle. Avec d’autres membres du personnel infirmier et médical, elle travaillait de longues heures, du matin au soir et au-delà.

« Comment vouliez-vous que je quitte l’hôpital à la fin de mon quart de travail si je pouvais sauver la vie d’un bébé de plus? » dit-elle. « Quand nous partions le soir venu, pour retourner dans nos familles, nos esprits et nos pensées étaient toujours avec les enfants à l’hôpital. »

En effet, durant cette période, environ 850 enfants étaient admis et hospitalisés chaque semaine à l’unité de soins pédiatriques, la grande majorité d’entre eux souffrant de paludisme ou de malnutrition. Ce fut la période la plus occupée que l’hôpital ait jamais connue. La capacité de l’unité de soins pédiatriques pour la malnutrition et le paludisme qui était initialement de 200 lits est ainsi devenue la plus grande en son genre au monde, avec un effectif de 600 personnes travaillant 24 heures sur 24.

Même avec des lits et du personnel supplémentaires, notre hôpital était déjà terriblement débordé. Mais il était fort probable que certains enfants gravement malades dans la communauté ne recevaient pas les soins dont ils avaient besoin.

« On se demandait toujours quelle était la situation dans les secteurs les plus reculés, où les gens n’avaient pas les moyens de se rendre à l’hôpital. » Pour MSF, 2018 a été un tournant dans l’histoire du projet. Cette lourde structure n’était pas facile à opérer, et il fallait agir pour remédier à la situation.

Awa Abou Amadou, infirmière MSF.
Awa Abou Amadou, infirmière MSF.Mario Fawaz/MSF

Au cours des trois années qui ont suivi, les chiffres sont restés élevés entre septembre et octobre – période que l’on nomme le pic saisonnier – mais tout de même bien inférieurs à ce qu’ils avaient été en 2018. Vous pourriez vous demander ce qui avait changé en trois ans. La réponse : la décentralisation des soins, en phase avec la stratégie nationale du Niger et d’autres stratégies et activités telles que la chimioprévention saisonnière du paludisme, la distribution de moustiquaires, le traitement des eaux et la pulvérisation à l’intérieur des maisons. Ces stratégies combinées, simultanément ou par intermittence, ont contribué à soulager l’hôpital et, par conséquent, à améliorer la qualité des soins.

Awa n’est pas la seule personne qui se souvient de 2018 comme si c’était hier. Zaharia Mahamadou, mère de cinq enfants, est venue pour la première fois à l’unité de soins pédiatriques de MSF en 2018. Sa fille Firdawsi qui avait une forte fièvre et qui souffrait de malnutrition sévère a dû y rester pendant 32 jours.

« J’avais peur que Firdawsi meure; j’ai vu beaucoup de mères perdre leurs enfants durant cette période, que ce soit à la maison ou à l’hôpital », raconte Zaharia. « L’idée de perdre Firdawsi m’a tellement terrorisée que j’ai pleuré pendant plusieurs jours sans arrêt, mais j’ai toujours gardé espoir », dit-elle.

Aujourd’hui, Zaharia est de retour à l’hôpital avec sa plus jeune fille, Balkisou. Depuis 2018, Zaharia y vient chaque année avec au moins un de ses enfants. « Quand je repense à l’état dans lequel se trouvait Firdawsi en 2018 et que je la vois aujourd’hui courir et jouer comme les autres enfants, cela me donne des forces. Je sais que mes autres enfants se rétabliront, tout comme leur sœur l’a fait », dit-elle.

Avant de présenter plus en détail l’approche communautaire que nos équipes utilisent à Magaria, parlons d’abord de cette partie du Niger.

Le district de Magaria se situe dans le sud du Niger, à proximité de la frontière nigériane, à près de 100 kilomètres de Zinder, la deuxième ville du pays. Magaria se trouve sur la route commerciale qui relie le nord du Nigéria, principalement la ville de Kano, aux centres urbains du Niger.

Avec plus de 798 000 habitants et habitantes et une densité de 216 personnes au kilomètre carré, le district rural de Magaria est reconnu pour sa richesse en eau et ses vastes champs agricoles. Environ 21 % de la population est âgée de moins de cinq ans.

Le district de Magaria compte un hôpital où nos équipes participent au fonctionnement d’une unité de soins pédiatriques, 76 postes de santé et 20 postes de santé intégrée. Pourtant, selon les statistiques annuelles de 2018, environ 41,5 % de la population n’avait pas un accès régulier aux soins de santé.

Zaharia Mahamadou, patiente à l’hôpital de Magaria.
Zaharia Mahamadou, patiente à l’hôpital de Magaria. Mario Fawaz/MSF

Notre première intervention à Magaria remonte à 2005, alors qu’une crise de malnutrition sévissait dans le sud du Niger. Aujourd’hui, nous sommes toujours présents et présentes à Magaria et nous continuons de gérer l’unité de soins pédiatriques de l’hôpital de district qui compte, en saison régulière, 120 lits. Nos équipes fournissent des soins médicaux gratuits aux enfants de moins de cinq ans, principalement pour le paludisme et la malnutrition, entre autres pathologies. À chaque saison des pluies qui commence en juin et se termine en octobre, les taux de paludisme à Magaria augmentent, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans, et les admissions à l’hôpital augmentent en conséquence.

Les taux d’admission dans notre unité de soins pédiatriques en 2018 ont atteint un sommet en six ans, avec 20 235 admissions contre 14 849 admissions en 2017 et 15 344 admissions en 2019. Le taux de mortalité en 2018 était également le plus élevé en six ans, soit 7,5 %, aussi attribuable à l’arrivée tardive des enfants à l’hôpital.

Après le pic de 2018, nous avons commencé à accroître notre présence dans les villes et villages voisins, soit en soutenant les centres de santé locaux avec du renfort dans les salles d’observation et de stabilisation, soit en augmentant le travail communautaire au sein du village.

L’objectif était clair : diminuer le nombre de cas graves admis à l’unité de soins pédiatriques pour éviter que le scénario de 2018 ne se répète. La stratégie a été réalisée à travers diverses activités, avec le soutien de centaines de membres de l’équipe médicale, paramédicale et logistique. Nous avons également travaillé en collaboration avec le ministère de la Santé publique à titre de principal intervenant dans la région de Zinder.

Détection précoce et traitement communautaire

En avril 2019, nous avons commencé à former 68 membres de la communauté dans 35 villages de la commune de Magaria. Ce programme s’inscrivait dans le cadre de notre stratégie de gestion intégrée des cas dans la communauté (GICC) qui repose sur la formation et le déploiement, dans les secteurs difficiles d’accès, d’agents et d’agentes de santé communautaire capables de fournir des services de diagnostic, de traitement et d’orientation pour trois maladies infantiles courantes, traitables et curables : le paludisme, la pneumonie et la diarrhée chez les enfants de moins de cinq ans. Le but de ces activités communautaires est de faciliter l’accès aux soins de santé de base et de prévenir les complications médicales chez ces enfants. Nous pouvons ainsi soigner les enfants sans qu’ils aient à se rendre dans des centres de santé éloignés, à recourir à des guérisseurs ou des guérisseuses traditionnel·le·s ou à utiliser des médicaments non homologués.

En juin 2019, ces activités se sont étendues à 34 nouveaux villages de la commune de Dan Tchiao. En mars 2020, 35 villages de la commune de Sassoum Broum se sont ajoutés, et en septembre 2020, 53 nouveaux villages ont emboîté le pas, cette fois dans la commune de Bandé.

En octobre 2021, soit à peine plus de deux ans après le lancement des premières activités, nos équipes avaient mis cette stratégie en œuvre dans 165 villages de quatre communes, et formé un total de 278 agents et agentes de santé communautaire.

MSF a lancé un projet de santé communautaire pour former des agents et des agentes de santé communautaires afin de détecter et de traiter la malnutrition et le paludisme à des stades précoces au sein des communautés les plus à risque et isolées.
MSF a lancé un projet de santé communautaire pour former des agents et des agentes de santé communautaires afin de détecter et de traiter la malnutrition et le paludisme à des stades précoces au sein des communautés les plus à risque et isolées. Cette approche évite des kilomètres de déplacement pour accéder aux soins de santé.Mario Fawaz/MSF

La stratégie de décentralisation des soins consiste à retourner à la maison les enfants légèrement malades avec des médicaments et à orienter les enfants les plus gravement atteints vers les centres de santé. Nos équipes peuvent y stabiliser de jeunes patients et patientes ou les garder en observation pendant quelques jours. Si nécessaire, ces enfants sont transférés à l’unité de soins pédiatriques à Magaria pour y bénéficier d’un traitement plus poussé.

Au fil des années, le nombre de consultations réalisées dans les communautés a augmenté, passant de 45 045 en 2019 à 115 215 en 2020 et 113 652 à la fin d’octobre 2021. À cette date, nos équipes avaient fourni 57 617 consultations pour le paludisme, 22 623 pour la diarrhée, 24 131 pour la pneumonie et 4 768 pour le rhume et la toux. Cela démontre l’ampleur des besoins en soins médicaux au sein des communautés, besoins auxquels les agents et les agentes de santé communautaire peuvent répondre avec l’encadrement et les fournitures médicales nécessaires. Il est difficile de fournir un chiffre exact, mais les traitements précoces ont certainement sauvé la vie de nombreux enfants.

Couper la chaîne de transmission du paludisme

Outre la sensibilisation communautaire, nous nous sommes également concentré·e·s sur des activités de prévention. En juin 2021, nos équipes ont lancé une activité pilote dans 15 villages de la commune de Bandé pour prévenir le développement des larves de moustiques vecteurs du paludisme. Dans ces villages, les maisons sont construites à proximité de grandes étendues d’eau qui sont devenues un vivier et un habitat pour différents types de moustiques, dont les anophèles, responsables, tout au long de l’année, de la transmission du paludisme. Chaque saison des pluies, la superficie des plans d’eau triple ou quadruple même, augmentant ainsi les conditions propices à la ponte et au développement des larves.

Les villages ont été sélectionnés en fonction des données médicales disponibles sur leurs cas de paludisme au cours des années précédentes.

Nos équipes ont également lancé une deuxième activité dans neuf villages de Maidamoussa, dans la commune de Magaria, pour lutter contre le paludisme.

L’activité consiste à pulvériser les murs des maisons et des mosquées avec un insecticide, dans le but de couper la chaîne de transmission de la maladie. Ces neuf villages ont connu des taux de paludisme élevés ces dernières années, en particulier pendant la saison des pluies.

Sensibilisation et éducation communautaire

Un autre élément essentiel que nous avons mis en place est l’accroissement de l’éducation communautaire, c’est-à-dire les activités menées par les agents et les agentes de promotion de la santé MSF et la sensibilisation effectuée par les agents et les agentes de santé communautaire, également appelés les « Mamans Lumières ».

Le projet Mamans Lumières consiste à former et à accompagner des mères de différents villages pour sensibiliser et éduquer leurs concitoyens et concitoyennes sur le paludisme et la malnutrition. L’objectif est d’aider à détecter les cas le plus tôt possible, avant qu’ils ne s’aggravent et ne nécessitent des soins hospitaliers.

Non seulement ces mères formées enseignent la prévention du paludisme, mais elles jouent un rôle très important dans la lutte contre la malnutrition. Dans les moments difficiles, en particulier pendant la saison sèche, ces femmes apportent leur aide pour préparer des aliments nutritifs et bénéfiques pour les enfants. Elles sont également formées à l’utilisation de l’outil de mesure du périmètre brachial. Connu sous le nom de bracelet MUAC, ce long ruban comportant une série de bandes de couleur permet d’évaluer la gravité de la malnutrition.

Mariatou Habou est une agente de santé communautaire formée par MSF dans son village d’Haramia. Son rôle principal est d’éduquer sa communauté sur divers sujets de santé, y compris le paludisme dont elle tente de détecter les cas le plus tôt possible.
Mariatou Habou est une agente de santé communautaire formée par MSF dans son village d’Haramia. Son rôle principal est d’éduquer sa communauté sur divers sujets de santé, y compris le paludisme dont elle tente de détecter les cas le plus tôt possible.Mario Fawaz/MSF

Semblable à l’activité GICC, le projet Mamans Lumières a débuté en 2019 et s’est progressivement élargi pour inclure d’autres villages. En octobre 2021, 181 Mamans Lumières travaillaient en continu dans 165 villages.

Vers une approche holistique

Avec tous les efforts déployés dans les communautés, le nombre d’admissions de patients et de patientes dans un état critique enregistrées à l’unité de soins pédiatriques de Magaria diminue. Parallèlement, davantage de consultations sont réalisées dans la communauté et aux premiers stades de développement de la maladie.

Après plus de deux ans de mise en œuvre, ces solutions ont démontré leur efficacité, mais le chemin n’a pas toujours été facile. Un suivi régulier, une surveillance étroite et un soutien constant sont nécessaires à chaque étape du processus. Mais surtout, l’engagement et la motivation de la communauté, ainsi que l’acceptation de nouvelles approches ont été essentiels à un tel succès, ce qui n’est pas toujours facile ni garanti.

L’approche communautaire ne peut pas fonctionner seule : un système d’orientation et un bon hôpital sont nécessaires pour assurer la continuité des soins et le plein accès aux soins de santé dans les cas graves. Il s’agit d’un projet holistique à tous les niveaux.

Aujourd’hui, MSF est le seul organisme international dans la région située autour de Magaria. L’organisation a dû, par conséquent, réorienter ses activités d’intervention médicale d’urgence vers des projets de renforcement des capacités et de prévention. La solution n’est pas seulement médicale, elle est multifactorielle.

Afin de véritablement briser de manière durable le cycle de la malnutrition infantile et du paludisme, des programmes de développement complets et l’implication d’un éventail d’intervenants et d’intervenantes spécialisé·e·s dans la sécurité alimentaire et la promotion de la santé sont nécessaires. Des effets positifs peuvent déjà être constatés au niveau clinique, mais il reste encore beaucoup à faire à tous les stades pour améliorer la santé et le développement des enfants.