Ajok Atak (age unknown), holds her baby Yel as a member of MSF staff measures the child’s level of nutrition in her house near the village of Kuom, South Sudan, October 26th, 2021. © Adrienne Surprenant/Item
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Paludisme au Soudan du Sud : la prévention est essentielle

Un projet pilote mis en place à Aweil aide à prévenir les infections et les formes graves de la maladie chez les jeunes enfants qui sont particulièrement vulnérables face au paludisme.

« Je resterai ici jusqu’à ce qu’elle aille mieux », dit Rebecca Achol Atak, assise à côté du lit de sa petite-fille à l’hôpital d’État d’Aweil, dans le nord du Bahr el Ghazal, au Soudan du Sud. Atong souffrait d’une forte fièvre et de vomissements quand sa grand-mère a entrepris le trajet de deux jours à pied pour l’amener consulter un médecin. À son arrivée à l’hôpital, Atong a été prise en charge par le personnel médical qui a fait tout son possible pour l’aider. Mais il était trop tard. Son état n’a cessé de se détériorer, et elle est décédée moins de 24 heures après son admission. Atong n’avait que huit ans. La cause de son décès : le neuropaludisme.

Manque d’accès aux soins

Au Soudan du Sud, où le paludisme est la principale cause de décès, des histoires tragiques comme celle d’Atong sont courantes. Selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 4 064 662 cas de cette maladie transmise par les moustiques ont été confirmés dans le pays en 2019. Nous savons que plus de 4 800 personnes en sont mortes au cours de la même année, et que les enfants de moins de cinq ans y sont particulièrement vulnérables. Malgré ces chiffres élevés, la situation pourrait en fait être plus grave encore. Bowa Malou Wol, infirmière de Médecins Sans Frontières (MSF) travaillant à l’hôpital d’État d’Aweil, affirme que « la plupart des enfants meurent à la maison, dans leurs villages. Ils ne parviennent jamais jusqu’aux hôpitaux, qui sont éloignés. Or, nous ne connaissons pas vraiment le nombre de ces enfants. »

Cette année, pour aider à prévenir la propagation du paludisme, MSF a lancé, en collaboration avec le ministère de la Santé, un programme pilote de chimioprévention saisonnière du paludisme à Aweil. Ce programme vise à prévenir l’infection et les formes graves de la maladie chez les personnes qui y sont les plus vulnérables, notamment les enfants âgés de trois mois à cinq ans. Il fournit à ces personnes des médicaments antipaludéens préventifs à raison d’une fois par mois pendant cinq mois, durant la saison des pluies. Les agents et les agentes de santé effectuent également du dépistage nutritionnel afin d’identifier et de traiter rapidement les enfants souffrant de malnutrition, chez qui le paludisme peut être mortel.

Zara reçoit un traitement contre le paludisme à l’hôpital d’État d’Aweil soutenu par MSF. Sa mère, Elizabeth Thom, est à ses côtés.
Zara reçoit un traitement contre le paludisme à l’hôpital d’État d’Aweil soutenu par MSF. Sa mère, Elizabeth Thom, est à ses côtés.Adrienne Surprenant/Item

Le paludisme se transmet tout au long de l’année, mais le nombre de cas atteint un pic de juillet à novembre, pendant la saison des pluies. Au cours de ces mois, des milliers d’enfants de la région contractent la maladie. Ces enfants doivent alors être testés et traités rapidement avec des médicaments antipaludéens pour réduire le risque de développer un paludisme grave, qui peut être mortel ou engendrer de graves complications.

Ceux et celles qui développent un paludisme grave ont besoin de soins hospitaliers urgents, ce qui met à rude épreuve l’hôpital d’État d’Aweil.

« Nous avons connu des pics massifs du nombre de patients et de patientes au cours de la dernière saison des pluies », raconte Aminu Lawal, responsable des activités médicales de MSF à Aweil. « Nous avions près de 300 personnes dans notre section de l’hôpital qui compte normalement 150 lits. La plupart d’entre elles souffraient de paludisme. Et honnêtement, nous manquons d’endroits où les installer. Même avec les nouvelles tentes que nous avons aménagées pour le traitement du paludisme, la capacité est insuffisante. Certaines personnes doivent dormir dans les couloirs parce qu’il n’y a pas de place ailleurs. Notre personnel est surchargé, en particulier au niveau des soins infirmiers. »

Jusqu’à présent, cette année, l’équipe médicale de l’hôpital d’État d’Aweil a admis plus de 4 000 enfants atteints du paludisme et traité plus de 25 000 enfants en ambulatoire. Selon Aminu Lawal, ces chiffres sont plus élevés qu’en 2020 ou qu’en 2019, ce qui pourrait être attribuable à des lacunes dans les soins médicaux disponibles localement. Les établissements de santé de la région dépendent d’un soutien international pour leur approvisionnement en médicaments antipaludéens et en tests de dépistage du paludisme, et ceux-ci étaient difficiles à trouver durant le pic saisonnier du paludisme. Certains établissements ont complètement perdu leur soutien extérieur et ne sont plus fonctionnels.

À l’hôpital d’État d’Aweil, la situation a déjà entraîné de graves pénuries de sang pour les transfusions. Les patients et les patientes souffrant d’une forme grave de paludisme développent souvent une anémie; l’approvisionnement sûr et suffisant des banques de sang est donc une nécessité. Les équipes de l’hôpital doivent effectuer chaque mois des centaines de transfusions sanguines pendant la saison des pluies, mais les réserves de sang sont souvent difficiles à trouver au Soudan du Sud. Ce sont généralement les proches qui donnent du sang pour l’un ou l’une des leurs.

« Le sang pour les transfusions manque cruellement », déplore Aminu Lawal. « L’un des problèmes est que les familles ne possèdent généralement pas de téléphone et que nous ne pouvons pas communiquer avec leurs proches lorsqu’un don de sang est nécessaire. C’est ce qui nous empêche de traiter de nombreux cas graves de paludisme, parfois avec des conséquences fatales. »

Cette année, des inondations généralisées ont exacerbé la crise du paludisme, car les grandes flaques d’eaux stagnantes sont propices à la prolifération des moustiques qui propagent la maladie. Les eaux de crue ont également entravé l’accès des travailleuses et des travailleurs médicaux aux zones isolées et empêché les patients et les patientes d’atteindre les établissements de santé.

Une fille traverse une zone inondée pour regagner sa maison, située près de la ville d’Aweil.
Une fille traverse une zone inondée pour regagner sa maison, située près de la ville d’Aweil.Adrienne Surprenant/Item

Chimioprévention saisonnière du paludisme : une voie à suivre

Jusqu’à présent, les équipes de MSF qui travaillent sur le projet de chimioprévention saisonnière du paludisme ont atteint près de 14 000 enfants de moins de cinq ans, et la réponse globale de la communauté est très positive.

« Je suis heureuse que le programme existe », dit Ateny Mayen Akoi après que sa fille Agel, âgée de huit mois, ait reçu des médicaments préventifs dans un site de distribution dans le village de Kuom. « La prévention est importante. J’ai six enfants et deux d’entre eux ont moins de cinq ans. Ils peuvent désormais être protégés. Le paludisme est un problème chaque année, et c’est la première fois que des médicaments pour le prévenir nous sont offerts ».

Ateny Mayen Akoi et sa fille Agel, âgée de huit mois, ont reçu des médicaments de chimioprévention saisonnière du paludisme dans un site de distribution installé dans le village de Kuom.
Ateny Mayen Akoi et sa fille Agel, âgée de huit mois, ont reçu des médicaments de chimioprévention saisonnière du paludisme dans un site de distribution installé dans le village de Kuom.Adrienne Surprenant/Item

Selon un membre du personnel de MSF, il est urgent d’améliorer la prévention du paludisme et pour cela, il faudra multiplier les interventions combinées.

« La chimioprévention saisonnière du paludisme est un outil important qui a déjà fait ses preuves dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale également aux prises avec une forte transmission du paludisme », explique Saschveen Singh, conseiller de MSF en matière de maladies infectieuses tropicales. « Il est essentiel de trouver la meilleure combinaison d’approches pour réduire l’impact dévastateur du paludisme chez les jeunes enfants, c’est pourquoi nous pilotons soigneusement cet effort au Soudan du Sud. »

Aminu Lawal souligne le fait que la prévention du paludisme est moins chère et souvent plus facile à administrer que son traitement.

« La chimioprévention saisonnière du paludisme est certainement efficace », affirme-t-il. « Cependant, il faut aussi se rappeler qu’elle n’est pas la seule forme de prévention. La distribution de moustiquaires, la pulvérisation intradomiciliaire d’insecticides à effet rémanent et l’assainissement des eaux stagnantes sont autant de mesures qui ont un rôle important à jouer dans la lutte au paludisme. Il n’existe pas de solution miracle. »

MSF a commencé à travailler à Aweil en 1987, en soutenant l’hôpital de la localité. Aujourd’hui, MSF offre des soins pédiatriques et maternels tout au long de l’année à l’hôpital d’État d’Aweil, qui dessert environ 1,2 million de personnes. Nos services comprennent un centre d’alimentation thérapeutique pour les enfants malnutris; une unité pédiatrique et néonatale; une unité de soins intensifs; une salle d’urgence; une maternité avec soins obstétriques de base et avancés; et enfin, un service de traitement du paludisme, comprenant le dépistage avec tests rapides, la distribution de médicaments et la supervision à l’hôpital et dans les centres de soins de santé primaires pendant le pic de paludisme.