MSF mental health teams working with deportees in psychological support groups in Reynosa have observed signs of complex trauma and depression in these patients. They report acute reaction to stress, psychosomatic symptoms such as headache and back pain, hypervigilance due to the insecure location, difficulty sleeping, and fear and anxiety related to their deportation or living in violent and unpredictable conditions. © MSF/Clémentine Faget
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Pas de refuge ni de protection pour des milliers de personnes récemment expulsées des États-Unis

Par Laura Panqueva Otálora, directrice des communications pour Médecins Sans Frontières (MSF) au Mexique.

Laura Panqueva Otálora travaille avec MSF au Honduras.

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Dans une nouvelle tentative pour rejoindre les États-Unis, Karen, 21 ans, a traversé le Rio Bravo avec sa fille de trois ans sur le dos. La petite fille pleurait et sa mère tentait de la calmer pour ne pas se faire remarquer. Elles ont traversé la rivière avec un groupe d’autres personnes en quête d’une vie meilleure ou voulant rejoindre des membres de leur famille. Pendant des heures, elles sont restées accroupies dans les buissons, où elles devaient rester immobiles pour éviter d’être mordues par les serpents qui rampaient autour d’elles. Malheureusement, leur périlleux voyage s’est terminé au même endroit qu’il avait commencé : de retour de l’autre côté de la frontière à Matamoros, dans l’État du Tamaulipas dans le nord-est du Mexique. Karen et sa fille ont été détenues à McAllen, au Texas, puis expulsées pour la septième fois à cet endroit à la frontière mexicaine.

« Trois de ces sept fois, je l’ai rencontrée dans l’un des refuges où MSF offre des services à Matamoros », explique Ximena de la Garza, une psychologue MSF qui travaille dans le projet de l’organisation à la frontière nord. « Sa fatigue était bien visible dans son apparence physique. Ce n’est pas que la traversée de la frontière qui est difficile, même si elle est extrêmement risquée, c’est tout le processus de détention et la violence à laquelle ces personnes font face. À chaque séance, je n’avais qu’une heure pour lui parler, car j’y retournais le lendemain et elle était déjà repartie. Elle continuait tout de même à essayer. »

Cela fait près d’un an que Karen est arrivée dans le Tamaulipas dans l’espoir de rejoindre son conjoint aux États-Unis. Dans son pays d’origine, le Guatemala, son frère a été assassiné et elle a été menacée de mort. Sans aucune issue possible, elle a décidé de fuir avec son bébé, en parcourant la dangereuse route qui traverse le Mexique et en tentant de traverser les États-Unis encore et encore.

 

Justifier la discrimination par la COVID-19

 

Depuis mars 2020, plus de 600 000 expulsions des États-Unis vers le Mexique ont été enregistrées, toutes effectuées dans le cadre de la politique du titre 42. En violation du droit américain et international, cette politique a instrumentalisé la pandémie de COVID-19 pour justifier la détention illégale et discriminatoire et l’expulsion automatique de tous les ressortissants étrangers des États-Unis, y compris les demandeurs d’asile. La plupart d’entre eux viennent du Triangle du Nord de l’Amérique centrale (Honduras, Salvador et Guatemala), et la plupart sont des femmes, des enfants et des adolescents non accompagnés.

Le nombre de familles déportées à Reynosa a augmenté par centaines en avril. Au 29 avril, sur la place de La República, environ 350 personnes dormaient dehors sur des cartons. « La situation est critique », déclare José Antonio Silva, coordonnateur du projet MSF. « Les gens arrivent pour la plupart à la suite d’un processus d’expulsion des États-Unis, où ils sont immédiatement détenus et expulsés. Lorsqu’ils sont ramenés aux postes frontaliers, ils constatent que les bureaux d’immigration sont pleins, que les refuges sont de plus en plus surpeuplés et que leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. »

Le manque de réponse de la part des institutions mexicaines pour fournir à ces personnes un refuge digne est aggravé par la peur et la désinformation. Comme le nombre de personnes séjournant sur la place ne cessait d’augmenter, un espace temporaire a été aménagé pour elles dans le centre sportif de l’Université autonome de Tamaulipas. Mais en raison de rumeurs et de la peur d’être séparées ou renvoyées dans leur pays d’origine, de nombreuses personnes ont décidé de rester ensemble sur la place. Elles se sont organisées pour se protéger mutuellement, mais malgré cela, MSF a été témoin de cas de violence, d’enlèvement et d’extorsion.

L’Institut national des migrations, situé juste en face de la place, n’a pas commenté la situation. À ce jour, à l’exception des services médicaux offerts par MSF et des activités alimentaires et récréatives occasionnelles fournies par les communautés religieuses, il n’y aucune réponse organisée.

 

Manque d’assistance essentielle

 

« Les besoins les plus aigus ont été constatés dans le parc en raison du manque d’assistance », explique José Antonio Silva. « Nous fournissons des soins de santé primaires aux enfants et aux femmes, ainsi que des soins d’urgence. Chaque fois que nous constatons des symptômes respiratoires ou soupçonnons des cas de COVID-19, nous en informons la juridiction sanitaire, qui est chargée d’effectuer les tests rapides. De plus, nous offrons des soins de santé mentale par le biais d’activités de psychoéducation, à la fois en groupe et individuellement. Nous fournissons du soutien en travail social, et donnons notamment des conseils juridiques et administratifs. Nous faisons aussi de la promotion de la santé afin de sensibiliser la population et de prévenir les maladies, et fournissons des kits d’hygiène de base. »

L’une des principales préoccupations de MSF est le nombre croissant de mineurs et leur forte exposition à la violence dans les rues. Certains enfants ont été séparés de leur famille, mais les institutions chargées de les protéger, comme le Système national pour le développement intégral de la famille ou le Centre de prise en charge des mineurs aux frontières, ne peuvent leur venir en aide, car elles sont débordées. Beaucoup d’entre eux sont de plus en plus vulnérables et n’ont nulle part où rester.

« Lors d’une des interventions de groupe que nous avons menées dans le centre sportif, un enfant a exprimé ses sentiments de chagrin à travers son dessin : un cœur brisé », explique Karla Villalpando, superviseure en santé mentale pour MSF. « Il a dit avoir le sentiment d’avoir perdu ses grands-parents, son école et sa vie. D’autres enfants ont fait des dessins similaires. Beaucoup d’entre eux disent ne pas comprendre pourquoi ils sont là. »

 

D’importantes répercussions sur la santé mentale

 

Les personnes LGBTQI+ aussi sont particulièrement vulnérables. MSF travaille dans un refuge de Matamoros qui s’adresse spécifiquement à ce groupe. Parmi la poignée de personnes qui s’y trouvent, toutes ont subi des violences répétées, et presque aucune n’a de réseau familial, ayant été rejetées et maltraitées par leurs communautés.

« Lors des séances de groupe, un homme a attiré mon attention », explique Ximena de la Garza, la psychologue. « Il était particulièrement silencieux. Nous avons commencé à parler, et il m’a dit qu’il était ingénieur en mécanique et qu’il avait un travail, mais qu’il l’avait perdu après avoir été maltraité à Matamoros. Deux personnes l’avaient poussé dans une camionnette et l’avaient battu. Après avoir été kidnappé, il a réussi à s’échapper et à rejoindre le refuge. Cela s’est produit en février, et ce n’est qu’il y a quinze jours qu’il est sorti du refuge. La peur l’empêchait de descendre les escaliers. Il a commencé à s’habiller avec des vêtements amples, à se couvrir le visage et les cheveux avec une casquette. Il a commencé à avoir des pensées suicidaires. Il n’avait aucun réseau de soutien dans son pays d’origine, le Nicaragua, et ses compagnons étaient tous partis. À ce moment-là, la chose la plus urgente à aborder était ses pensées suicidaires, et nous avons contacté certains groupes de soutien. Après maintenant cinq séances, et il va mieux. »

En avril, MSF a diagnostiqué des patients souffrant de traumatismes complexes et de dépression, des états qui se manifestent par des troubles du sommeil, de l’anxiété et de l’hypervigilance en raison de leur déplacement et de leur situation actuelle. Des douleurs musculosquelettiques et des infections cutanées et respiratoires ont également été recensées. De plus, on a noté des cas de maladies chroniques, principalement de l’hypertension artérielle, et certaines femmes enceintes ou ayant récemment accouché qui ont besoin de soins prénatals ou postnatals.

MSF appelle de toute urgence le gouvernement mexicain à renforcer sa réponse institutionnelle et à répondre aux besoins humanitaires des migrants, et les États-Unis et les pays de la région à adopter des politiques qui assurent la sécurité des personnes en déplacement.