Alliance est venue avec son fils François, 12 mois, pour une consultation médicale dans le cadre du programme de nutrition au centre de santé de référence de Nyabiondo. RDC, 2023. © Laora Vigourt/MSF
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RDC : la violence des groupes armés aggrave la situation nutritionnelle sur le territoire de Masisi

En République démocratique du Congo (RDC), depuis le début de l’année, plus de 800 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère ont été admis chaque mois dans les hôpitaux de Mweso et Masisi, soit pratiquement le double en comparaison avec l’année précédente. Cette situation alarmante est paradoxale, alors que le territoire de Masisi, localisé à une vingtaine de kilomètres seulement de Goma, la capitale provinciale, est réputé pour ses collines fertiles. Théâtre de conflits armés depuis des années, la zone a subi une autre explosion de violence. Celle-ci est causée par la recrudescence d’affrontements entre le mouvement M23, les autres groupes armés et les forces armées congolaises, détériorant une situation humanitaire déjà critique et entraînant de nouveaux déplacements.

La malnutrition n’est pas un nouveau problème sur le territoire de Masisi. Cependant, depuis le début de l’année, les équipes médicales constatent une augmentation inquiétante du nombre de cas de malnutrition aiguë sévère avec complications. Entre janvier et septembre 2023, près de 7 500 enfants ont été pris en charge dans les hôpitaux de Masisi et Mweso, situés sur le territoire de Masisi. Les équipes de MSF appuient depuis plus de 15 ans celles du ministère de la Santé dans ces établissements de santé.

« Mon enfant est tombé gravement malade, mais ce qui m’a le plus marquée, ce sont ses yeux : ils étaient enfoncés et vides. Alors je me suis précipitée au centre de santé et ils l’ont transféré à l’hôpital. C’est la première fois qu’un de mes enfants souffre de malnutrition », confie Micheline, déplacée, dont le fils a été hospitalisé à Mweso.  

La situation nutritionnelle des enfants, en particulier dans les familles déplacées, s’est dégradée brutalement cette année, surtout à la suite de la détérioration du contexte sécuritaire, lequel a eu un impact direct sur la situation socio-économique des populations. Il existe peu d’établissements médicaux fonctionnels et ceux qui sont ouverts manquent souvent de fournitures médicales essentielles. Les autorités sanitaires s’efforcent de soutenir les structures médicales locales et de les approvisionner régulièrement en médicaments et en produits nutritionnels, tels que les aliments thérapeutiques à base d’arachide utilisés pour prévenir et traiter la malnutrition.

« Ma fille a commencé à gonfler, petit à petit, au visage puis dans tout le corps », explique Mandela, dont la fille est soignée à l’hôpital de Masisi, soutenu par MSF. « Je l’ai emmenée au centre de santé où ils lui ont donné de la pâte d’arachide, mais pas assez pour lui permettre de récupérer. À la quatrième visite, puisque son état s’était empiré, les médecins l’ont référée à l’hôpital de Masisi ».

L’absence d’une prise en charge précoce de la malnutrition modérée dans les centres de santé contribue à faire basculer les enfants dans une malnutrition aiguë sévère accompagnée de complications, dont il est plus difficile de guérir.

« Si les cas simples de malnutrition ne sont pas soignés dans les centres de santé, le nombre d’hospitalisations augmente. Aujourd’hui, il y a presque autant d’admissions dans les unités intensives des hôpitaux qu’en ambulatoire dans les centres de santé. Or, la majorité des hospitalisations pourrait être évitée si les enfants étaient traités de manière préventive dans les centres de santé », explique la Dre Nadine Neema Mitutso, responsable des activités médicales à l’hôpital de Masisi.

Vue du centre d’alimentation thérapeutique de 19 lits de l’hôpital général de référence de Masisi, soutenu par les équipes de MSF depuis 2007 en collaboration avec le ministère de la Santé. RDC, 2023. © Laora Vigourt/MSF

À la sortie de l’hôpital, les familles sont confrontées aux mêmes difficultés d’accès à la nourriture habituelle et aux traitements nutritionnels ; les risques de rechutes sont donc importants. « Pour mettre un terme à ce cercle vicieux, il est primordial qu’une réponse holistique soit apportée par tous les acteurs dans la région », explique Carole Zen Ruffinen, coordinatrice du projet MSF à Mweso.

« Il faut trouver des solutions durables pour répondre aux besoins nutritionnels croissants de la population. »

La violence perturbe la vie courante

Depuis plusieurs mois, la progression du groupe M23 sur le territoire de Masisi a conduit de nombreux groupes armés non étatiques à combattre ces éléments, aux côtés des forces armées congolaises.

Ces affrontements ont entraîné des déplacements massifs de populations et entravé l’accès aux champs, aux marchés, aux écoles et aux structures médicales. Cette situation expose les familles à une insécurité alimentaire permanente.

Le territoire de Masisi est caractérisé par ses collines fertiles, où l’agriculture reste l’activité économique principale. Ses communautés en dépendent pour pouvoir se nourrir. Ces derniers mois, l’accès aux champs est encore plus restreint à cause de la présence d’hommes armés. Ceux-ci gèrent de nombreux points de contrôle et de « taxation » sur les routes. Les gens atteignent difficilement leurs terres et sont souvent contraints de les abandonner, laissant les récoltes derrière eux.

« À cause des hommes armés, je ne peux pas accéder aux champs tous les jours », témoigne Fahida dont le fils est hospitalisé à Masisi. « Quand on prend la route, on a peur de rencontrer des hommes armés sur le trajet. Ils exigent de l’argent et peuvent même nous tuer ou nous violer »

Vue des nouveaux bâtiments du centre de santé de référence de Nyabiondo, soutenu par MSF depuis 2009, en appui au ministère de la Santé. RDC, 2023. © Laora Vigourt/MSF

Avec la réduction des échanges commerciaux, la pénurie d’approvisionnement en denrées alimentaires a également entraîné une augmentation significative des prix, rendant l’accès à une alimentation adéquate encore plus difficile. Une portion de farine de manioc coûtait l’année dernière environ 500 francs (0,28 $ CA). Aujourd’hui, ce prix a quadruplé et équivaut à une journée de travail dans les champs, même si ce n’est pas suffisant pour nourrir une famille pendant une journée.

« Chez nous, on ne passait pas une seule journée sans manger. Mais ici, on n’a rien, notre vie est misérable », explique Sifa, qui a trouvé refuge au site de personnes déplacées de Katale depuis quatre mois, fuyant les affrontements dans son village d’origine. « Il y a deux mois, ma fille Annika est décédée de la malnutrition à l’hôpital. Elle avait 7 ans. Nous sommes arrivés trop tard… Je vous dis, la pauvreté va tous nous tuer », confie-t-elle. 

MSF appelle les autres organisations travaillant au Nord-Kivu à assurer une présence opérationnelle durable, afin de prévenir les conséquences désastreuses de la malnutrition. Il est également essentiel que les autorités congolaises, les donateurs et les donatrices renforcent les capacités d’intervention médicale des structures de santé du territoire, notamment en ce qui concerne le traitement de la malnutrition.

Depuis 15 ans, MSF fournit des soins médicaux gratuits sur le territoire de Masisi. L’organisme soutient deux hôpitaux généraux et 12 centres de santé, en collaboration avec le ministère de la Santé. Les équipes de MSF traitent également les enfants malnutris dans trois centres d’alimentation thérapeutique pour personnes hospitalisées, dont un dans le centre de santé de Nyabiondo dans la zone de santé de Masisi, ainsi que dans neuf centres ambulatoires dans les zones de santé de Masisi et de Mweso. MSF fournit également des aliments thérapeutiques et des médicaments essentiels pour traiter la malnutrition. Enfin, ses équipes de promotion de la santé sensibilisent les communautés locales aux signes de la malnutrition et à l’importance d’un traitement rapide.