On August 29 Sea Watch 4 has altered course toward MV Louise Michel, the ship had a number of rescued people over its capacity. Over 145 rescued person were transferred from MV Louise Michel to Sea Watch 4.
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Recherche et sauvetage : 11 jours après le premier sauvetage, le Sea-Watch 4 se voit attribuer un port d’accueil sûr

Médecins Sans Frontières (MSF) et Sea-Watch sont de retour en mer en Méditerranée centrale depuis le 15 août, à bord du navire Sea-Watch 4. Finalement, le 1er septembre, 11 jours après le premier sauvetage, le Sea-Watch 4 s’est vu attribuer un lieu sûr, dans le pays le plus proche. Le navire est maintenant en route vers Palerme, en Italie, pour débarquer 353 personnes.

La conseillère aux affaires humanitaires de MSF, Hassiba Hadj-Sahraoui, nous donne un aperçu.

Que se passe-t-il actuellement en Méditerranée centrale?

« La situation en mer est désastreuse. Au cours des 11 derniers jours, nous avons été témoins de la manière dont les États européens condamnent les gens à se noyer et bloquent les moyens de les sauver. Près de 400 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en 2020. Il est difficile de comprendre comment l’on peut permettre que cela se produise. Mais c’est la réalité.

Il y a à peine deux semaines, 45 personnes ont perdu la vie dans un naufrage. Et il y a quelques jours, des gens entassés sur un canot pneumatique ont vu quatre membres de leur groupe se noyer. Près de 400 personnes sont restées bloquées dans l’attente d’un port d’accueil sûr, certaines pendant des jours, d’autres pendant des semaines. Vingt-sept d’entre elles, secourues par un navire de commerce, l’Étienne, un pétrolier, ont été laissés à languir durant près de quatre semaines sur ordre de Malte.

C’est là le résultat de politiques délibérées de ne pas sauver de vies. Ces derniers mois, malgré les appels de détresse reçus de bateaux pneumatiques dans leurs propres régions de recherche et sauvetage, Malte et l’Italie n’ont pas réagi aux appels et ont retardé les sauvetages dans les zones de la mer Méditerranée qui relèvent de leur responsabilité. Mais ce ne sont pas les seuls États de l’UE à détourner le regard.

La négligence des États a contraint les organisations non gouvernementales (ONG) à tenter de combler le vide en mettant en place des opérations de recherche et sauvetage. Mais, en raison de la saisie de navires et de blocages administratifs nébuleux, pratiquement personne ne peut se trouver en mer en ce moment. Seuls les navires Sea-Watch 4 et Louise Michel, ce dernier financé par Banksy, effectuent actuellement des activités de recherche et sauvetage en Méditerranée centrale. »

Quelle a été l’expérience du Sea-Watch 4 jusqu’à présent?

« Depuis 11 jours, MSF et Sea-Watch sont de retour en mer, à bord du Sea-Watch 4. Ce que nous avons vu est une véritable honte. Dans la soirée du lundi 31 août, nous avons finalement été informés que nous pourrions débarquer les 353 personnes secourues à Palerme, en Italie, le lieu sûr le plus proche. Depuis notre retour en mer, nous avons été constamment confrontés à des États, principalement Malte et l’Italie, qui utilisent des tactiques sournoises, font fi des appels de détresse en mer et renvoient la balle à d’autres, tels que des navires commerciaux ou des navires de recherche et sauvetage d’ONG.

Nous avons effectué notre premier sauvetage quelques heures après notre arrivée dans les eaux internationales, au large de la Libye, le 22 août. Puis ont suivi deux autres sauvetages dans les jours suivants. Malgré les demandes répétées pour un lieu sûr, aucun ne nous a été offert.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, les États ordonnent maintenant aux navires commerciaux et aux ONG de réaliser des sauvetages, et refusent ensuite de fournir un port d’accueil sûr. Le week-end dernier (les 29-30 août), Malte a demandé au Sea-Watch 4 de transférer les personnes secourues se trouvant à bord du Louise Michel. Puis, les autorités maritimes maltaises n’ont pas répondu à nos appels. Ceci survient près d’un mois après que Malte ait ordonné à l’Étienne de sauver des gens, pour ensuite les laisser languir à bord pendant des semaines. »

En ce moment, combien y a-t-il de personnes secourues à bord du Sea-Watch 4?

« Le Sea-Watch 4 compte 353 personnes à son bord, dont 202 proviennent des trois opérations de sauvetage que nous avons menées entre le 22 et le 24 août. Et les 152 personnes que nous avons transférées depuis le Louise Michel. Nous sommes particulièrement préoccupés par les enfants; il y a une centaine de mineurs non accompagnés à bord. Ils sont extrêmement vulnérables et ont besoin d’être protégés.

Notre navire mesure 60 mètres de long. Certaines personnes ont été secourues il y a 11 jours. Avec autant de personnes dans un espace aussi confiné, les tensions sont vives. Vous ne pouvez qu’imaginer à quel point la situation est difficile; d’autant plus que nous essayons de mettre en place des protocoles COVID-19 stricts à bord.

De nombreuses personnes sont grandement traumatisées. Certaines, transférées depuis le Louise Michel, ont vu quatre personnes se noyer. Un seul corps a été retrouvé; les autres, comme des milliers d’autres auparavant, ont été engloutis par les flots. À tout cela s’ajoute l’angoisse de ne pas savoir ce que l’avenir vous réserve. Ces États jouent avec la vie des gens; c’est extrêmement cruel. »

Qu’a constaté l’équipe médicale de MSF à bord du Sea-Watch 4?

« Outre le mal de mer, la déshydratation et la gale, certaines personnes souffrent de brûlures chimiques. Elles sont causées par un mélange toxique de carburant et d’eau de mer. Un adolescent secouru était si gravement brûlé que nous avons dû demander une évacuation médicale. Nos équipes soignent également des membres cassés et des traumatismes, qui semblent confirmer les informations faisant état d’abus, de torture et de mauvais traitements en Libye.

Nous mettons en œuvre des protocoles COVID-19 stricts et accordons donc une attention particulière à toute personne présentant des symptômes possibles, tels qu’une toux ou une température élevée. Et nous nous assurons de les isoler. L’équipage et les rescapés se lavent les mains avec vigilance et portent des masques. »

Que s’est-il passé avec le Louise Michel?

« Le vendredi 28 août, le Louise Michel a repéré un canot pneumatique bondé – il avait à son bord 130 personnes. Les passagers de cette embarcation impropre à la navigation ont dit que quatre personnes de leur groupe s’étaient noyés, et que l’équipage du Louise Michel avait pu récupérer un corps. Ce navire qui ne mesure que 30 mètres de long était déjà plein, avec 89 personnes précédemment secourues. Plus de six heures après que le canot ait été repéré et qu’aucun État n’ait répondu aux appels, le Louise Michel n’a eu d’autre choix que de commencer à embarquer des gens, et de fournir un radeau de sauvetage lorsque le bateau est devenu trop plein, même pour se déplacer. Le samedi 29 août, le Louise Michel a lancé un autre appel à l’aide auquel le Sea-Watch 4 a répondu.

Éventuellement, les autorités italiennes ont fourni de l’aide en accueillant au port de Lampedusa 49 des personnes les plus vulnérables, des enfants et certaines femmes, dont celles en état de grossesse avancée, et des personnes ayant besoin de soins médicaux urgents. Les autorités maltaises ont ordonné au Sea-Watch 4 de prendre à son bord les 152 personnes restantes sur le Louise Michel. Malte n’a cependant pas assigné de port d’accueil sûr pour débarquer le groupe, et a fait la sourde oreille devant les demandes répétées pour en avoir un. »

Comment le Sea-Watch 4 a-t-il demandé un port d’accueil sûr?

« Un sauvetage ne peut être considéré comme complet que lorsque les personnes rescapées sont débarquées dans un lieu sûr. Le dimanche 23 août, nous avons écrit aux autorités maltaises et italiennes pour en demander un. Nous avons mis en copie l’Allemagne, l’État pavillon du Sea-Watch 4. Nous avons sans cesse répété nos demandes, même après que les autorités maltaises nous aient demandé de transférer les personnes secourues depuis le Louise Michel.

Malte est restée sourde ou nous a répondu par la négative. L’Italie a mis du temps à répondre mais le vendredi 28 août, les autorités italiennes nous ont demandé plus d’informations : s’il y avait des familles, des mineurs non accompagnés et des cas médicaux urgents. Cela nous a donné le sentiment que les discussions allaient dans la bonne direction, mais nous n’avions absolument aucune certitude quant au moment et à la manière dont nous pourrions débarquer les personnes secourues. Nous avions tous en tête le cas de l’Étienne, bloqué en mer pendant des semaines. »

Pourquoi est-ce toujours l’Italie et Malte qui doivent en faire le plus?

« Tous les États de l’UE partagent la responsabilité. Ceux qui détournent le regard n’aident pas non plus l’Italie et Malte, qui sont à l’avant-scène. L’Italie, par exemple, est restée pratiquement seule à répondre aux centaines de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile qui sont arrivés d’eux-mêmes dans le port de Lampedusa ces derniers mois. En ce qui concerne le port d’accueil, il devrait être le lieu sûr le plus proche d’où les autorités peuvent évaluer les besoins de protection des personnes. C’est pourquoi, malgré l’offre généreuse du port de Marseille, nous ne pouvions voyager durant plusieurs jours pour débarquer les gens. Ce que la France et d’autres États européens peuvent faire, c’est tendre la main à l’Italie pour offrir de relocaliser certaines des personnes secourues. »

Comment envisagez-vous la suite, et qu’en est-il de la COVID-19?

« En tant qu’organisation médicale et humanitaire, MSF est particulièrement consciente des risques posés par la COVID-19. Elle a réagi à la pandémie de COVID-19 dans plus de 70 pays, y compris en Italie. Nous insistons fermement sur la nécessité de prendre toutes les précautions nécessaires. C’est pourquoi nous mettons en place des protocoles COVID très stricts à bord. Et nous voyons comme une mesure acceptable la mise en quarantaine des personnes que nous amenons dans un port d’accueil sûr,  si l’on nous le demande, tant que les conditions de base sont remplies.

Ce que nous n’accepterons pas, c’est de voir le navire saisi sans motif valable ou pour des raisons forgées de toutes pièces, comme nous l’avons vu dans un passé tout récent. On peut nous dire, par exemple, que nous avons trop de personnes à bord, même si c’est le résultat d’ordres reçus des autorités maritimes d’un État. »

Pourquoi insistez-vous pour amener les gens en Europe? Pourquoi ne peuvent-ils pas être ramenés en Libye?

« La réponse courte? Il serait illégal de ramener des gens en Libye. Pourquoi? Parce que la Libye n’est absolument pas un pays sûr – ce fait a été réitéré par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

MSF mène des projets à Tripoli, Misrata, Zintan et Beni Walid. Dans ces endroits, nous voyons les effets directs des abus que subissent les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, non seulement en détention, mais aussi entre les mains des trafiquants. Cela comprend la torture et autres mauvais traitements, le travail forcé et l’extorsion.

Récemment, un important naufrage au large des côtes libyennes a fait au moins 45 morts. Nos équipes ont rencontré certains des survivants, après leur retour en Libye. Leurs histoires étaient déchirantes.

La réponse longue? La Libye n’est pas un pays sûr, et les y renvoyer est une violation du droit international. Cela ne veut pas dire que nous ne nous discutons pas avec les autorités libyennes. Nous le faisons. Mais dans l’état actuel des choses, les seuls ports d’accueil sûrs se trouvent dans les États côtiers voisins, de l’autre côté de la mer. Il n’y a pas d’idéologie derrière cela, c’est juste de la géographie.

Nous craignons que l’attention qui a été accordée à la Méditerranée et aux sauvetages par les ONG serve d’écran de fumée, une tactique de diversion pour axer l’attention sur les opérations civiles de recherche et sauvetage. Pourquoi? Pour que les gens ne posent pas de questions sur les quelque 8 000 personnes qui ont été interceptées et « repoussées » vers la Libye par les garde-côtes libyens depuis le début de l’année. C’est-à-dire les garde-côtes libyens soutenus et formés par l’UE. »

Qui doit prendre la responsabilité dans ce cas?

« Ce qui est frappant, c’est que nous assistons une fois de plus à une catastrophe causée par l’homme, induite par les politiques. Les États européens doivent assumer leurs responsabilités. L’Italie et Malte ne respectent pas les obligations légales de sauvetage des personnes ou d’attribution d’un port d’accueil sûr et d’une assistance appropriée. Mais soyons également très clairs, la responsabilité de cela n’incombe pas uniquement à ces deux pays. Chaque État européen a un rôle à jouer, comme proposer des solutions concrètes pour partager la responsabilité et mettre en place un mécanisme de recherche et sauvetage approprié en mer. En plus des sauvetages effectués par le Sea-Watch 4 et le Louise Michel (ainsi que l’Étienne bien sûr), un certain nombre de personnes arrivent par leurs propres moyens à Lampedusa, et à d’autres points de débarquement dans le sud de l’Italie.

Les États européens jouent avec la vie des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. L’impératif moral et juridique de sauver des vies doit prévaloir. Les États européens doivent déployer une capacité de recherche et sauvetage adéquate en mer et répondre aux appels de détresse. Ces cruelles confrontations en mer doivent prendre fin. Pas de si, pas de mais. Pas d’États qui se lancent la balle. Cela est tout à fait possible avec une capacité de recherche et sauvetage dirigée par les États et une coopération pour un mécanisme prévisible et durable de débarquement des personnes secourues dans le lieu sûr le plus proche. »