« Seule la vaccination mettra fin à la progression fulgurante de la COVID-19 en Irak »
Par Omar Ebeid, coordonnateur de projet pour Médecins Sans Frontières (MSF) en poste à Bagdad, en Irak.
J’ai vu quelque chose de nouveau à Bagdad récemment. À l’un des nombreux points de contrôle de la ville, des hommes portant des blouses blanches et des masques N95 se tenaient devant les soldats et vérifiaient si les passagers des fourgonnettes portaient leur masque. Aussi, les vendeurs de cigarettes qui circulent entre les voitures arrêtées ont élargi leur gamme de produits pour vendre des masques chirurgicaux.
En dehors de ces manifestations, il est difficile de voir l’effet que la COVID-19 a eu sur la ville. La plupart des gens qui envahissent les rues ici ignorent tout de la douleur dont je suis témoin chaque jour à l’hôpital géré par MSF. Ces souffrances ont maintenant doublé, alors que les Irakiens sont en proie à une seconde vague sans pitié, dont l’épicentre est à nouveau Bagdad.
Depuis la fin du mois de septembre, nous avons hospitalisé environ 350 patients souffrant de la forme critique et sévère de la maladie, dont 120 dans le dernier mois. Pour faire face à l’afflux, nous sommes passés de 36 lits à 51, mais le taux de mortalité reste alarmant. Récemment, en une seule journée, malgré les meilleurs efforts de notre équipe, sept patients sont décédés.
Nous sommes tous fatigués maintenant, tant le personnel médical que non médical. Le premier pic à Bagdad a été long, de juillet à novembre, mettant à rude épreuve l’approvisionnement en oxygène de la ville et laissant le système de santé au bord de l’effondrement. Le nombre de cas n’a baissé que brièvement en décembre et janvier, avant de monter abruptement à partir de février. Le 31 janvier, il y avait 714 cas; le 28 février, il y en avait 3 428. Le 24 mars, le pays a atteint le plus grand nombre de cas depuis le début de la pandémie – soit 6 051 cas –, quoique ce nombre est probablement une sous-estimation. Le virus ne nous a pas laissé de répit avant de nous submerger d’une seconde vague.
La pandémie pèse lourd sur les patients et le personnel médical
« Les décès m’ont affecté mentalement », explique le Dr Yassin Hassan, qui travaille avec nous aux soins intensifs, « mais j’essaie de surmonter l’épreuve, pour le bien des autres patients. J’écoute de la musique ou j’en parle avec ma famille, puis je retourne travailler. » Le faux espoir de la fin de la première vague l’a frappé durement. « Le couvre-feu a été levé, et la ville est revenue à la vie, puis les chiffres ont explosé à nouveau. C’est triste maintenant, nous n’avons pas de lits pour tout le monde. »
Je suis ici à Bagdad depuis un an maintenant, où je soutiens les autorités irakiennes dans leur lutte au virus. Au début, nous avons commencé à travailler à l’intérieur de l’unité des soins respiratoires de l’hôpital d’al-Kindi, mais nous avons rapidement constaté que l’hôpital était incapable de faire face au nombre de patients et au niveau élevé de soins dont ils avaient besoin. De nombreux médecins-chefs n’étaient présents à l’hôpital que pendant une brève période le matin, et leurs collègues moins expérimentés étaient souvent peu disposés ou incapables de prendre des décisions sans eux, ce qui les plaçait, tout comme nous, dans une position intenable à mesure que l’épidémie progressait.
Nous avons ouvert notre propre unité à l’hôpital en septembre, d’abord avec 24 lits, avant de déménager dans un nouveau bâtiment et d’augmenter la capacité à 36 lits en décembre. Nous avons trouvé de nouvelles façons de travailler avec nos collègues irakiens et avons réussi à réduire la mortalité des cas graves et critiques que nous traitons. Bien que cela reste une maladie brutalement mortelle sous ses formes sévères, environ 40 % de nos patients obtiennent maintenant leur congé – une amélioration considérable du taux de survie par rapport au moment où nous avons pris la relève. Toutefois, nous ne nous attendions pas à être encore là, un an après avoir commencé ce que nous pensions être un soutien temporaire au système de santé irakien.
Sans vaccination, la fin de la COVID-19 est difficile à entrevoir. Pourtant, le pays n’a reçu jusqu’à présent que 386 000 doses de vaccin, un nombre totalement insuffisant pour un pays de 40 millions d’habitants. Selon le ministère de la Santé, le pays compte environ 216 000 médecins, infirmiers et travailleurs paramédicaux. Les doses nouvellement reçues peuvent permettre à une partie de ce personnel de se faire vacciner, mais bon nombre des médecins avec lesquels nous travaillons ne savent pas quand leur tour de vaccination viendra et, entre-temps, nos collègues continuent de tomber malades.
Alors que d’autres doses sont censées arriver dans les mois à venir, il reste encore beaucoup à faire pour aider l’Irak à vacciner sa population. Le pays doit être considéré comme l’une des priorités mondiales des efforts de vaccination et une priorité au Moyen-Orient où il a été l’un des pays les plus durement touchés. Avec un système de santé affaibli par des années de conflit et ses maux associés, et une économie en difficulté à la suite de l’effondrement du prix du pétrole, le gouvernement aura du mal à vacciner tous ceux qui en ont besoin sans une aide substantielle des autres pays pour se procurer les vaccins, et des organisations internationales pour aider à leur distribution.
Jusqu’à ce que cela se produise, nous continuerons à travailler pour sauver des vies dans notre hôpital. Cependant, nous savons que même lorsque cette vague reculera, ce ne sera pas la fin si les Irakiens ne reçoivent pas les vaccins dont ils ont désespérément besoin.