Javid Abdelmoneim, médecin et président de MSF International, informe le Conseil de sécurité des Nations Unies de l’aggravation de la crise en République démocratique du Congo. États-Unis, 2025. © MSF
PARTAGEZ

Exposé de MSF au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la République démocratique du Congo

Javid Abdelmoneim, président de MSF International, informe le Conseil de sécurité des Nations Unies des conséquences catastrophiques du conflit en RDC.

Permettez-moi de commencer par une vérité que ce Conseil doit reconnaître : malgré l’élan politique qui semble s’être manifesté ces derniers mois et malgré la signature d’accords de paix, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) continuent d’être témoins de niveaux alarmants de violence, de déplacements et de privations dans les Kivu et en Ituri. 

Des personnes soignées par MSF racontent avoir fui des villages bombardés et des atrocités extrêmes. 

D’après ce qu’observe MSF dans les hôpitaux, les centres de santé et les camps de personnes déplacées, le tableau est sans ambiguïté : cette crise ne s’atténue pas. Les systèmes de santé s’effondrent. Les violences sexuelles sont généralisées. Et l’accès et le financement de l’assistance humanitaire diminuent alors que les besoins augmentent. 

Le fossé entre les déclarations politiques et la réalité vécue par des millions de personnes se creuse. 

En l’occurrence, l’encre de l’accord signé à Washington est à peine sèche que le M23 a déjà lancé une offensive de grande envergure à Uvira, contraignant environ 200 000 personnes à fuir leur foyer, dont 40 000 vers le Burundi. Cela démontre clairement que la promesse de paix masque une réalité marquée par une violence persistante et de grande ampleur. 

Il apparaît de plus en plus clairement que les efforts de paix en cours servent à consolider les intérêts extractifs de puissants acteurs plutôt qu’à apporter un soulagement aux gens de la République démocratique du Congo. 

Tout cela n’est pas nouveau. La violence à laquelle sont confrontées les communautés prend racine dans des décennies de pillage des ressources et de négligence structurelle. 

C’est là une tragédie sans fin : génération après génération, les Congolaises et les Congolais ont vu leur vie et leur dignité sacrifiées sur l’autel de la politique et du profit. 

Tant que les personnes civiles seront considérées comme sacrifiables, aucun processus politique n’apportera de véritable soulagement.

Malgré les engagements de haut niveau pris à Washington et à Doha, les violences contre les personnes civiles demeurent monnaie courante. 

Les forces étatiques et les groupes armés non étatiques – notamment le M23, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), les Forces démocratiques alliées (FAD), certains éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et leurs alliés Wazalendo – continuent de mettre en danger les personnes civiles et d’entraver l’accès aux soins. Tous ont été impliqués dans de graves violations du droit international humanitaire : exécutions sommaires, violences sexuelles, pillages et blocage de l’assistance humanitaire. 

Le bilan est dévastateur. 

À Binza, les personnes soignées par MSF racontent avoir vu des hommes abattus dans les champs et des femmes et des enfants fusillés le long des berges, leurs corps laissés à la dérive en aval. Ces témoignages font écho à des informations largement relayées, faisant état de massacres dans le Nord-Kivu. Plusieurs des gens que nous soignons affirment que ces attaques ont été perpétrées par des membres du M23. 

À l’hôpital de Rutshuru, les admissions pour blessures traumatiques ont augmenté de 67 % en juillet. Plus de 80 % des individus blessés par balle admis dans les installations soutenues par MSF en juillet et en août étaient des personnes civiles. 

En Ituri, au cours de cette année, nous avons réalisé plus de 1 500 interventions chirurgicales traumatologiques dans un seul hôpital, la plupart pour des blessures liées au conflit. 

Les structures de santé et le personnel ne sont pas épargnés : des ambulances ont été arrêtées sous la menace des armes, et des individus armés ont pris d’assaut des installations médicales, menaçant et terrorisant à la fois les patientes, les patients et les membres du personnel. 

À Masisi, il y a deux semaines à peine, le centre de santé de Kazinga, clairement identifié par l’insigne de MSF, a été pillé et détruit par une milice Wazalendo. 

Trois collègues de MSF ont été tués cette année. 

Ces violations soulignent un profond échec dans la protection des personnes civiles. 

Monsieur le Président,

Les violences sexuelles dans l’est de la RDC constituent une urgence de longue date qui marque les communautés depuis des décennies. Aujourd’hui, elles se poursuivent à une échelle inimaginable.

Au cours des six premiers mois de cette année uniquement, près de 28 000 personnes survivantes ont sollicité des soins dans les installations soutenues par MSF dans l’est de la RDC. Cela représente une moyenne de 155 survivantes ou survivants chaque jour.

Trois agressions sur quatre ont été commises par des individus armés. Les attaques se produisent dans les champs, sur les routes, aux points d’eau et à l’intérieur des maisons.

De nombreuses personnes survivantes arrivent trop tard pour recevoir un traitement préventif. Beaucoup n’y parviennent jamais.

Dans le même temps, les réserves de fournitures médicales essentielles sont dangereusement basses. Dans le Nord et le Sud-Kivu, la moitié des zones sanitaires ne disposent pas de prophylaxie post-exposition, privant ainsi les personnes survivantes des soins essentiels qui pourraient prévenir l’infection, éviter les grossesses non désirées et réduire les séquelles à long terme.

L’ampleur et la banalisation des violences sexuelles reflètent un grave effondrement de la protection communautaire et une absence quasi totale d’imputabilité.

Les femmes et les filles nous disent que les violences sexuelles ne sont pas seulement redoutées, elles sont attendues.

Monsieur le Président,

Le système de santé s’effondre sous le poids cumulé de la violence, de la négligence chronique, des déplacements massifs, des réductions de l’assistance et de l’émergence d’administrations parallèles.

Dans de nombreuses régions, jusqu’à 85 % des établissements sont confrontés à des pénuries critiques de médicaments. Près de 40 % du personnel de santé a quitté son poste et plus de la moitié des installations que nous avons évaluées ont fermé ou ont été endommagées.

Les conséquences sont mortelles.

À Walikale, le nombre d’enfants souffrant de malnutrition sévère qui décèdent dans les 24 et 48 heures suivant leur admission a augmenté de 89 % et 309 % par rapport à l’année dernière. Les familles arrivent beaucoup trop tard, freinées par l’insécurité, les coûts et l’absence de structures de soins fonctionnelles.

Les services de santé préventifs se sont effrités et la vaccination est régulièrement interrompue, ce qui entraîne une recrudescence des maladies infectieuses évitables. Le nombre de cas de choléra dépasse déjà les 38 000 et le nombre de décès a plus que doublé par rapport à l’année dernière. La rougeole continue de se propager. Une épidémie de paludisme d’une ampleur encore inconnue se propage, alors qu’aucun diagnostic ni traitement essentiel n’est disponible pour la contenir.

Monsieur le Président,

Alors que les besoins augmentent, l’espace disponible pour offrir une assistance humanitaire se réduit. Dans tout l’est de la RDC, les acteurs étatiques et non étatiques imposent des restrictions qui ne tiennent pas compte des besoins des personnes civiles. L’aide essentielle est retardée, détournée ou bloquée.

La fermeture des aéroports de Goma et de Bukavu, ainsi que l’échec des négociations entre Kinshasa et le M23 pour parvenir à un accord sur leur réouverture, ont réduit les points d’entrée des approvisionnements et du personnel dans l’est de la RDC et ralenti les déplacements dans les Kivu.

Il faut désormais plus d’un mois pour atteindre Walikale pendant la saison des pluies. En outre, en raison des lignes de conflit changeantes, l’acheminement de fournitures de Bukavu à Uvira implique désormais de traverser quatre frontières internationales, ce qui quadruple le coût initial.

L’accès humanitaire n’est pas optionnel, c’est une obligation légale. Les aéroports doivent être rouverts, la sécurité des principaux axes routiers doit être assurée, et les fournitures médicales et humanitaires doivent pouvoir circuler sans entrave.

En plus de l’effondrement de la protection des personnes civiles et de l’érosion de l’accès, les principaux bailleurs de fonds réduisent leur soutien et suppriment des services essentiels malgré l’augmentation considérable des besoins.

Monsieur le Président,

Les engagements pris dans les capitales n’ont que peu de sens s’ils ne s’accompagnent pas de mesures concrètes sur le terrain. Nous lançons trois appels :

Premièrement, la protection des personnes civiles doit être placée au centre de tous les engagements politiques et diplomatiques.

Les progrès réalisés ne se mesurent pas au nombre d’accords signés, mais à la sécurité des personnes dans leurs foyers, sur les routes qu’elles empruntent et dans les lieux où elles se font soigner.

Deuxièmement, l’accès humanitaire doit être maintenu, non pas comme un geste de bonne volonté ou une mesure visant à instaurer la confiance, mais comme une obligation morale fondée sur le droit international humanitaire.

Troisièmement, la réponse humanitaire doit bénéficier des ressources nécessaires pour faire face à cette crise. Sans un financement souple et rapide, le nombre de décès évitables continuera d’augmenter.

En conclusion, Monsieur le Président,

De notre point de vue – aux côtés des patientes et des patients, et non derrière les tribunes –, ces débats ne manquent pas de prises de conscience. Ils manquent de conséquences.

Ce Conseil est régulièrement informé de la situation en RDC. Ses membres sont en mesure de décrire avec précision les violations auxquelles sont confrontées les personnes civiles, même si ces violations se poursuivent sans être réprimées.

Pour les communautés qui vivent ce conflit, la question n’est pas de savoir si le Conseil comprend leur réalité, mais pourquoi cette compréhension se traduit si rarement par une protection significative.

Ce décalage est accablant. Cet échec est profond.

Si ce Conseil ne peut agir alors que tant de vies sont en jeu, alors la promesse de protéger les personnes civiles devient une doctrine creuse, récitée ici, mais absente là où elle est le plus nécessaire.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas de nouvelles déclarations ni d’une nouvelle architecture diplomatique. C’est de la volonté d’affirmer que les personnes civiles ne sont pas sacrifiables et que leurs droits – à la sécurité et à la dignité – ne sont pas négociables. Ni en RDC, ni partout ailleurs où les personnes sont civiles sont menacées.