MSF a mis en place un poste de santé à Tawila Umda pour stabiliser les personnes qui arrivent, et effectue le transfert en ambulance des cas les plus graves, comme ceux qui nécessitent une intervention chirurgicale, vers l’hôpital de Tawila. Soudan, 2025. © Natalia Romero Peñuela/MSF
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Soudan : conditions désastreuses et témoignages de violences extrêmes au Nord-Darfour

Un mois après la prise de contrôle d’El Fasher par les Forces de soutien rapide, les personnes qui ont fui décrivent les massacres, les tortures et les enlèvements contre rançon.

Après avoir vu sa femme et sa fille mourir sous les bombes à El Fasher, AM* s’est lancé le 27 octobre dans un éprouvant périple vers Tawila, à 60 kilomètres de là. Lui et les autres membres de sa famille ont passé quatre pénibles journées à marcher, au cours desquelles ils ont été torturés, battus et volés. En chemin, dans le village de Garni, il a dû enterrer sa nièce, morte d’épuisement et de faim. 

« Elle n’a pas pu supporter de marcher sur de si longues distances », explique AM. « Le voyage a été très difficile et nous sommes en grande détresse. » 

Malgré tout, il a continué à avancer vers Tawila, avec ses enfants survivants, son frère et des orphelins rencontrés en chemin. Mais lorsqu’ils ont enfin atteint la ville, les conditions étaient désastreuses : il n’y avait pas assez d’eau, de nourriture, d’abris et de latrines.

« Nous avons commencé à recevoir un afflux de personnes en provenance d’El Fasher une semaine avant la prise de la ville. Au début, il s’agissait principalement de femmes et d’enfants épuisés, dénutris et déshydratés, arrivés par camion. »

– Mouna Hanebali, responsable de l’équipe médicale à l’hôpital de Tawila

Malheureusement, AM n’est pas le seul à avoir vécu cette expérience. Les personnes soignées par les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tawila décrivent les massacres, les actes de torture et les enlèvements contre rançon à El Fasher et le long des routes empruntées pour fuir. Leurs témoignages renforcent les craintes quant au sort des personnes toujours portées disparues. 

Près d’un mois après la prise de contrôle d’El Fasher par les Forces de soutien rapide (FSR) le 26 octobre, la situation dans le Nord-Darfour reste critique. Il s’agissait de la dernière ville du Darfour encore aux mains des Forces armées soudanaises (FAS) et des forces conjointes. Selon les registres du Conseil norvégien pour les réfugiés (disponibles seulement en anglais), environ 10 000 personnes survivantes d’atrocités de masse, comme AM, ont fui vers Tawila. Là-bas, elles sont confrontées à des conditions de vie désastreuses dans des camps surpeuplés. En outre, ce chiffre reste bien inférieur aux 260 000 personnes que l’ONU estimait encore présentes à El Fasher à la fin du mois d’août. 

« Nous avons commencé à recevoir un afflux de personnes en provenance d’El Fasher une semaine avant la prise de la ville », explique Mouna Hanebali, médecin et responsable de l’équipe médicale à l’hôpital de Tawila. « Au début, il s’agissait principalement de femmes et d’enfants épuisés, dénutris et déshydratés, arrivés par camion. Après la chute d’El Fasher, nous avons également accueilli des hommes arrivés à pied, dont la plupart présentaient des blessures traumatiques, des blessures par balle et des plaies infectées. » 

« Aujourd’hui, de moins en moins de personnes passent par cette route », poursuit-elle. « Certaines viennent plutôt de Korma, mais leur nombre reste faible. »

AM, assis dans un fauteuil roulant, a été soigné pour des blessures subies lors d’une attaque contre une mosquée à El Fasher. Soudan, 2025. © Natalia Romero Peñuela/MSF

À l’heure actuelle, aucune organisation humanitaire internationale, y compris MSF, n’a pu atteindre El Fasher. Cependant, nos équipes tentent toujours d’identifier les personnes survivantes ayant besoin d’une assistance médicale. 

Dans le Nord-Darfour, nous nous sommes rendus à Um Jalbak, Shangil Tobay, Dar al-Salam et Korma. Nos équipes n’ont constaté aucun afflux massif, seulement quelques centaines de personnes ayant quitté El Fasher au cours des trois dernières semaines. Nous avons transféré plusieurs personnes dans un état critique à l’hôpital de Tawila.  

Nous menons également des activités médicales à Umbaru, Mazbet, Kornoi et Tina, des localités situées sur la route menant au Tchad. Là non plus, aucun afflux important n’a été observé. La situation est similaire à Belliseraf, au Sud-Darfour, ainsi qu’à Golo et Fanga, au Darfour-Central, où nos équipes évaluent les besoins et se préparent à distribuer des biens de première nécessité aux personnes récemment arrivées. 

Au 17 novembre, l’Organisation internationale pour les migrations estimait que plus de 100 000 personnes avaient été déplacées d’El Fasher. Par ailleurs, ses rapports indiquent également que la grande majorité demeure autour de la ville, principalement dans les villages ruraux à l’ouest et au nord d’El Fasher. 

Nos observations, les témoignages de personnes survivantes et les informations externes, comme l’analyse satellite réalisée par le Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale font état d’un scénario catastrophique : une grande partie des personnes civiles qui étaient encore en vie à El Fasher avant le 26 octobre ont été tuées ou sont décédées, sont détenues, piégées et incapables de recevoir une assistance essentielle et de se déplacer vers un endroit sûr.

Au poste de santé de Tawila Unda, les équipes de MSF effectuent le triage, nettoient les blessures et prodiguent des soins de base aux personnes déplacées, avant de transférer les cas les plus graves vers l’hôpital de Tawila. Soudan, 2025. © Natalia Romero Peñuela/MSF

Conditions de vie extrêmement précaires dans les camps de Tawila

Les personnes qui arrivent à Tawila rejoignent des camps déjà surpeuplés où les services essentiels sont saturés. Plus de 650 000 personnes déplacées venues d’El Fasher depuis ces deux dernières années s’y trouvent. Près de 380 000 d’entre elles sont arrivées depuis avril 2025, lorsque les FSR ont attaqué le camp de Zamzam.

« Les conditions de vie dans les camps de Tawila sont extrêmement précaires », explique Myriam Laaroussi, coordonnatrice des urgences de MSF au Darfour. « Des personnes dévastées arrivent dans un endroit où les ressources sont insuffisantes pour répondre à leurs besoins essentiels. Elles dorment sous des abris de fortune faits de bois et de draps, et l’aide alimentaire ne fournit qu’un repas par jour aux personnes prioritaires. » 

Lors d’une évaluation menée par MSF dans les camps de Daba Naira et Tawila Umda, nos équipes ont constaté qu’il n’y avait en moyenne que 1,5 litre d’eau par personne et par jour, soit bien en dessous du seuil minimum de 15 litres.

« Tout ce que nous possédions a été volé. La seule chose qu’il me reste, c’est ce vêtement, que mes enfants et moi étendons par terre pour dormir. J’ai besoin de vêtements pour mes enfants, car ils n’ont qu’une seule paire de chaussures à se partager. Il nous manque encore beaucoup d’articles de première nécessité. »

– IO, une personne déplacée à l’intérieur du Soudan

IO* est assise avec ses deux enfants sous une tente de fortune en bâche. Ils ont marché pendant trois jours avant d’atteindre Daba Naira, actuellement le plus grand camp de personnes déplacées de Tawila, qui accueille environ 210 000 personnes. Son mari a été tué par des bombardements à El Fasher alors qu’il était parti chercher de nourriture. Quand elle a finalement décidé de fuir avec ses deux enfants le 25 octobre, ils ont trouvé son corps sans vie dans la rue.  

« Tout ce que nous possédions a été volé », raconte-t-elle. « La seule chose qu’il me reste, c’est ce vêtement, que mes enfants et moi étendons par terre pour dormir. J’ai besoin de vêtements pour mes enfants, car ils n’ont qu’une seule paire de chaussures à se partager. Il nous manque encore beaucoup d’articles de première nécessité. » 

Selon l’Association des médecins soudano-américains, environ 74 % des personnes déplacées à Tawila vivent dans des sites sans infrastructures adéquates. En outre, moins de 10 % des ménages ont un accès fiable à l’eau ou à des latrines. Dans tout le camp de Daba Naira, il est courant de voir des gens déféquer à l’air libre, ce qui accroît le risque de propagation de maladies comme le choléra. À l’approche de la saison froide, les familles déplacées s’inquiètent également de ne pas avoir de vêtements chauds et des couvertures.

Daba Naira, qui accueille environ 210 000 personnes, est le plus grand camp de personnes déplacées de Tawila. Soudan, 2025. © Natalia Romero Peñuela/MSF

« Les personnes portées disparues sont toujours là-bas, et ils ne les laisseront pas partir. »

IA* travaillait comme gardien dans une université à El Fasher. La veille de la chute de la ville, il a été blessé à la jambe lors d’une fusillade, et son tibia a été fracturé en plusieurs endroits.  

« La plaie saignait, et mon frère m’a fait un garrot », raconte-t-il. « Puis il m’a hissé sur une charrette tirée par un âne et m’a amené ici. Vous imaginez la douleur? C’était très dur. »  

Il a passé trois jours sur les routes. Malgré leurs efforts, une partie de sa jambe a dû être amputée lorsqu’ils sont enfin arrivés à l’hôpital de Tawila. 

Les témoignages de ceux et celles qui ont réussi à fuir sont bouleversants. Toutes les personnes survivantes racontent avoir fui sous les tirs et les bombardements. Elles ont marché pendant trois à cinq jours, se cachant souvent pendant la journée et se déplaçant la nuit pour éviter les détentions et les attaques. Ils décrivent des violences extrêmes, notamment des massacres et des atrocités à caractère ethnique. 

Sur leur route, les personnes qui ont fui ont vu de nombreux corps sans vie et ont été confrontées à la torture, aux enlèvements contre rançon, aux violences sexuelles et à l’humiliation. Elles ont également été dépouillées de tous leurs biens. Elles mentionnent des arrestations massives où des hommes, principalement des jeunes, ont été détenus et séparés des femmes et des enfants dans des lieux comme Garni, au nord-ouest d’El Fasher. 

« Les personnes qui ont survécu à ces violences extrêmes restent en grand danger à El Fasher et dans ses environs. L’accès humanitaire est bloqué, les gens encore en vie sont piégés, et les informations directes sur la situation actuelle à l’intérieur et autour de la ville sont très limitées. » 

– Myriam Laaroussi, coordonnatrice des urgences de MSF au Darfour

FI* a été détenu pendant dix jours, battu et contraint de subir des violences indicibles. Ses ravisseurs exigeaient 10 millions de livres soudanaises (5 600 dollars canadiens) pour sa libération.  

« Ils se sont saoulés et nous ont emmenés dans le désert », raconte-t-il. « Ils nous ont forcés à nous allonger dans les buissons, nous ont battus et nous ont humiliés terriblement. Ils disaient qu’ils allaient nous tuer et ont tiré sur nous avec beaucoup de balles réelles. »  

Finalement, ses ravisseurs l’ont relâché après qu’il a payé 500 000 livres soudanaises (280 dollars canadiens), car ses blessures étaient gravement infectées. 

D’après les gens que nous soignons, de nombreuses personnes sont toujours détenues à Garni et dans d’autres localités autour d’El Fasher, contre rançon ou empêchées par les FSR et leurs alliés de rejoindre des zones plus sûres comme Tawila. « Les personnes portées disparues sont toujours là-bas, et ils ne les laisseront pas partir », explique FI. 

« Les personnes qui ont survécu à ces violences extrêmes restent en grand danger à El Fasher et dans ses environs », explique Myriam Laaroussi, coordonnatrice des urgences de MSF au Darfour. « L’accès humanitaire est bloqué, les gens encore en vie sont piégés, et les informations directes sur la situation actuelle à l’intérieur et autour de la ville sont très limitées. » 

Un chirurgien orthopédiste de MSF effectue une opération de suivi sur l’amputation d’une personne. Soudan, 2025. © Natalia Romero Peñuela/MSF

La réponse de MSF

MSF a renforcé ses capacités à Tawila pour répondre aux besoins croissants des personnes déplacées. Nos équipes ont construit un poste de santé à l’entrée du camp de Tawila Umda, l’un des principaux points d’arrivée des personnes déplacées d’El Fasher. Elles y assurent des soins ambulatoires, soignent les blessures, stabilisent les cas critiques et organisent le transfert en ambulance vers l’hôpital des personnes dont l’état est le plus grave. MSF a également identifié un besoin urgent en soins de santé mentale, qui sera une priorité pour nos équipes dans les semaines à venir. 

À la mi-août, nous avons mis en place une zone d’urgence à l’hôpital de Tawila pour les arrivants d’El Fasher. La capacité d’accueil des personnes blessées ou traumatisées a été augmentée, passant de 24 à plus de 100 lits.  

« Nous réalisons un nombre croissant d’opérations chirurgicales : environ 20 cas par jour, contre 7 cas par jour le mois dernier », explique Mouna Hanebali. Nos équipes continuent également de traiter les personnes qui arrivent en état de malnutrition alarmante. 

Récemment, nous avons commencé à distribuer de l’eau et à installer des latrines dans le camp de Daba Naira. De plus, nos équipes débutent une intervention pour rétablir et améliorer l’accès aux soins à Tina et Kornoi, dans le Nord-Darfour, près de la frontière avec le Tchad, ainsi qu’au Tchad. 

MSF appelle les FSR et leurs alliés à garantir de toute urgence un passage sûr et libre aux personnes malades et blessées, ainsi qu’à toutes celles qui cherchent à se mettre en sûreté. Nous leur demandons aussi de faciliter l’accès humanitaire à Garni, El Fasher et les autres lieux où se trouvent des personnes survivantes. Nous appelons également les bailleurs de fonds et les organisations humanitaires à renforcer leur réponse face aux besoins croissants en matière de santé, de protection, d’alimentation, d’eau et d’assainissement à Tawila. 

*Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.