Soudan du Sud : la crise prolongée du choléra est un symptôme de défaillances plus profondes
Un an après son éclosion, cette épidémie révèle la fragilité du système de santé et la nécessité d’une action coordonnée.
J’ai passé un an à observer une maladie traitable, le choléra, ravager le Soudan du Sud. Et la question la plus difficile n’est pas de savoir comment la traiter, car nous le savons. La question la plus difficile est la suivante : pourquoi l’épidémie ne parvient-elle pas être contenue? Pourquoi, un an après sa déclaration le 28 octobre, combattons-nous toujours une maladie évitable, qui a déjà coûté la vie à plus de 1 500 personnes, et contaminé plus de 93 000 autres?
La dure réalité est que l’épidémie de choléra est le symptôme des vulnérabilités les plus profondes du Soudan du Sud : négligence systémique, violence incessante et système de santé fragile et sous-financé. C’est ce qui entraîne d’importantes lacunes dans la prestation des services, ainsi qu’une absence de réponse adéquate. L’ampleur de l’épidémie est le résultat d’une réponse lente, peu performante et mal coordonnée, un défi persistant depuis le début.
Le retrait du soutien des principaux bailleurs de fonds, dont l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a entraîné la fermeture de certains établissements de santé, supprimant ainsi des services essentiels.
En tant que coordonnatrice médicale adjointe de MSF au Soudan du Sud, j’ai été directement impliquée dans la gestion de notre intervention médicale. Notre priorité était de mettre en place des unités et des centres de traitement du choléra pour s’assurer que les gens puissent être traités rapidement. Nous avons commencé à Renk, dans l’État du Nil Supérieur, et au nord du Soudan du Sud. Nous nous sommes ensuite déplacés à Malakal et Ulang, suivis de Bentiu, dans l’État d’Unité, et de Juba, la capitale. Au cours des mois suivants, nos efforts se sont rapidement étendus à de nombreuses autres régions du pays, ce qui nous a permis de traiter plus de 35 000 personnes.

Un lien inquiétant entre sous-financement, déplacement et violence
La fragilité du système de santé publique du Soudan du Sud, qui dépend presque entièrement de l’aide extérieure, est au cœur de cette crise. Le gouvernement ayant alloué moins de 2 % de son budget à la santé ces dernières années, le système est incapable de répondre aux besoins courants des communautés, et encore moins de mener une réponse d’urgence robuste.
De plus, les programmes existants sont précaires en raison de difficultés persistantes, notamment l’insuffisance des financements nationaux et internationaux, ainsi que de lourds échecs dans leur mise en œuvre. Le retrait du soutien des principaux bailleurs de fonds, dont l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a entraîné la fermeture de certains établissements de santé, supprimant ainsi des services essentiels.
À Bentiu, par exemple, nous avons constaté que la réduction du financement des organisations qui gèrent l’eau, l’assainissement et les soins de santé primaires a créé d’importantes lacunes dans la réponse, mettant en danger les communautés sans accès aux soins.
À cela s’ajoute l’afflux de personnes qui ont fui le Soudan vers le Soudan du Sud, alourdissant la charge qui pèse sur des services déjà limités, à un moment où le pays fait face à une réduction de ces services en raison de coupes dans le financement. Depuis avril 2023, date du déclenchement de la guerre civile au Soudan, plus d’un million de personnes ont trouvé refuge au Soudan du Sud, soit 10 % de la population du pays.
Les personnes déplacées sont souvent coupées des services essentiels, notamment des programmes de vaccination, ce qui augmente leur risque de contracter et de propager la maladie. La situation dans les camps de transit de Renk, qui accueillent aujourd’hui plus de trois fois leur capacité, illustre parfaitement cette crise.
Cette surpopulation, combinée à des systèmes d’eau et d’assainissement déficients ainsi qu’à un accès limité à l’eau potable, crée un environnement propice à la propagation des maladies. Il n’est donc pas surprenant que cela ait entraîné la recrudescence d’autres maladies hydriques, comme l’hépatite E, une menace grave, en particulier pour les femmes enceintes.

Attaques contre les services de santé et impact de la violence et de l’insécurité
L’obstacle le plus cruel réside peut-être dans la violence omniprésente, l’insécurité et les attaques contre les structures de santé.
Un exemple poignant s’est produit à Ulang, en mars 2025, lorsque les combats ont forcé des dizaines de patientes et de patients à fuir l’hôpital de MSF, dont plus de 30 personnes hospitalisées pour le choléra. Ces gens se sont enfuis dans la communauté, risquant non seulement de mourir eux-mêmes, mais également de propager la maladie. L’hôpital a ensuite été fermé définitivement en raison des pillages.
Depuis le début de l’année 2025, MSF a été directement visée par plus de huit attaques. C’est ce qui a entraîné la fermeture d’un autre hôpital à Old Fangak, dans l’État de Jonglei, et la réduction ou la suspension des activités dans d’autres établissements. En conséquence, des centaines de milliers de personnes sont privées de soins de santé.


La voie à suivre : de la crise à la responsabilité
Nous savons comment prévenir le choléra. Ce n’est pas un mystère. Mais tant que le gouvernement, la communauté internationale et toutes les parties prenantes ne reconnaîtront pas leurs échecs et n’assureront pas une réponse unifiée, multisectorielle et durable, nous ne ferons qu’attendre la prochaine épidémie.
Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et prendre soin de ses communautés. Cela implique de renforcer les capacités de préparation et de réponse aux situations d’urgence, et de prioriser la prestation de services dans les zones à risque.
La communauté internationale doit renouveler son soutien à l’assistance humanitaire et au développement. Non seulement pour tenter de combler les énormes lacunes laissées par les récentes coupes dans le financement, mais aussi pour garantir une réponse humanitaire plus efficace avec les ressources limitées restantes. Il s’agit notamment de renforcer les programmes durables pour les services d’eau et d’assainissement, ainsi que la vaccination à grande échelle contre le choléra et l’hépatite E.
Enfin, toutes les parties au conflit en cours doivent respecter le droit international humanitaire et garantir un accès sûr aux personnes qui en ont le plus besoin.
Sans ce changement fondamental, de nouvelles épidémies continueront de se déclarer, condamnant les personnes du Soudan du Sud à un avenir sombre fait de souffrances évitables.