Aher tient un stylo à insuline, assis à côté de son père, Lual, dans leur maison à Ariath, dans le nord d’Aweil. Soudan du Sud, 2025. © Isaac Buay/MSF
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Soudan du Sud : la réalité des enfants atteints de diabète dans les villages isolés

Pour obtenir de l’insuline, les enfants atteints de diabète font face à des obstacles comme le transport, les coûts et une offre de soins limitée.

La route qui mène à Ariath, dans le nord du comté d’Aweil, traverse les interminables plaines arides de l’État du Bahr el-Ghazal du Nord. Dans cette région du Soudan du Sud, la route se transforme en bourbier lorsqu’il pleut, et lorsqu’elle s’assèche, la chaleur brûle le sol craquelé. Il faut une heure et demie de voiture pour atteindre ce petit village.  

Dans une maison aux murs de terre, Aher, 11 ans, est assis à côté d’un pot en argile rempli d’eau, le réfrigérateur improvisé de la famille. À l’intérieur se trouve le médicament qui le maintient en vie : l’insuline. Sans elle, son taux de glycémie s’emballe, et son corps est pris de convulsions. 

Les parents d’Aher, agriculteurs qui peinent à nourrir leurs cinq enfants, ont vécu d’innombrables nuits d’angoisse. À peine âgé de deux ans, Aher est tombé gravement malade. Il vomissait, perdait du poids et s’évanouissait. Ses parents l’ont emmené dans plusieurs cliniques, vendant le peu qu’ils possédaient pour payer les frais médicaux et de transport, mais son état ne faisait qu’empirer. Finalement, un voyage désespéré à l’hôpital public d’Aweil a tout changé. Là-bas, les médecins lui ont diagnostiqué un diabète de type 1, une maladie auto-immune qui nécessite des injections quotidiennes d’insuline pour survivre.

« Depuis qu’il utilise le stylo, il n’est plus retourné aux soins intensifs. Maintenant, il joue. Il sourit. Nous mangeons une ou deux fois par jour. Les médecins disent qu’il a besoin d’un régime alimentaire spécial, mais comment pouvons-nous le lui procurer? »

– Lual, le père d’Aher

À l’échelle mondiale, environ 20 millions de personnes vivent avec le diabète de type 1, dont 1,1 million d’enfants et de jeunes adultes de moins de 20 ans. Dans les pays à revenu élevé, cette maladie peut être contrôlée à domicile à l’aide de stylos à insuline et de glucomètres. Mais dans les pays à faible revenu, la situation est tout autre.  

Dans toute l’Afrique, seule une personne sur sept ayant besoin d’insuline peut s’en procurer. Sans insuline, l’organisme cesse de fonctionner, ce qui entraîne une acidocétose diabétique, une urgence médicale potentiellement mortelle sans soins hospitaliers.

Des membres du personnel de MSF échangent avec Lual, le père d’Aher, à leur domicile dans le village d’Ariath, dans le nord d’Aweil. Soudan du Sud, 2025. © Isaac Buay/MSF

Les obstacles à l’accès à l’insuline au Soudan du Sud

À Aweil, Médecins Sans Frontières (MSF) soutient l’unité pédiatrique de l’hôpital public. Chaque mois, nos équipes traitent environ 30 enfants atteints d’acidocétose diabétique dans le service de soins intensifs. La situation est critique, car c’est la deuxième cause de mortalité infantile après la malnutrition. Les familles voyagent pendant des heures, souvent à moto ou à pied, pour se rendre dans le seul centre spécialisé dans le diabète de la région. Certaines n’arrivent pas à temps. 

Au début, Aher recevait de l’insuline sous forme de flacons et de seringues. « Il détestait ça », raconte Lual, le père d’Aher. « Les injections étaient douloureuses, mais c’était le seul moyen de le maintenir en vie. » 

Au début de l’année, Aher a été inscrit à un essai clinique mené par MSF pour déterminer si l’utilisation de stylos à insuline et de glucomètres pouvait améliorer la vie des enfants. Les changements ont été immédiats. 

« Depuis qu’il utilise le stylo, il n’est plus retourné aux soins intensifs », explique Lual. « Maintenant il joue. Il sourit. » Mais le transport demeure trop cher pour la plupart des familles, et la faim complique ses soins. « Nous mangeons une ou deux fois par jour. Les médecins disent qu’il a besoin d’un régime alimentaire spécial, mais comment pouvons-nous le lui procurer? » 

À seulement 90 kilomètres de là, à Marial Bai, Ajou, 12 ans, lutte contre la même maladie. Toutefois, il n’a pas accès aux stylos à insuline. « Quand je n’ai plus de médicaments et que je ne trouve pas de moyen de transport pour me rendre à Aweil, son état s’aggrave », explique Rebecca, sa mère. « Parfois, je me dis qu’il ne survit que par miracle. » 

Rebecca ramasse du bois de chauffage qu’elle vend pour pouvoir acheter de la farine et nourrir son fils. Cependant, pendant la saison des pluies, la forêt est inondée, la coupant à la fois de toute source de revenus et de l’hôpital. Un seul trajet coûte environ 40 000 livres sud-soudanaises (430 dollars canadiens), plus que ce qu’elle peut gagner pour se rendre régulièrement à l’hôpital. « Si vous n’étiez pas venus aujourd’hui, nous n’aurions pas pu aller à l’hôpital », a-t-elle déclaré à une équipe de MSF en visite. « Mais je veux désespérément que mon fils soit soigné. » 

Les bras d’Ajou portent les traces d’innombrables injections. Las de douleur, il refuse parfois les piqûres. « Il veut abandonner », dit Rebecca à voix basse. « Mais je lui rappelle sans cesse que les médicaments sont son seul espoir de survie. »

Ajou, ici en compagnie de sa mère, Rebecca, souffre de diabète de type 1 et tombe fréquemment en acidocétose diabétique, ce qui entraîne souvent son admission aux soins intensifs lors de ses visites à l’hôpital. Soudan du Sud, 2025. © Isaac Buay/MSF

La réponse mondiale pour un accès abordable à l’insuline et aux outils essentiels

En 2021, l’Organisation mondiale de la Santé a lancé le Pacte mondial contre le diabète. C’est un engagement pour que d’ici 2030, toutes les personnes atteintes de diabète de type 1 aient accès à de l’insuline et à des dispositifs d’autosurveillance de la glycémie à un prix abordable. À seulement cinq ans de l’échéance, cet objectif semble encore lointain dans des endroits comme Aweil, où, pour de nombreux enfants, le cycle entre la maison et les soins intensifs est sans fin. 

Cependant, les premiers résultats de l’essai mené par MSF montrent que l’accès aux stylos à insuline change des vies. Lual le sait mieux que quiconque. Chaque mois, il craint que le stylo ne se casse ou qu’un jour, ils n’en reçoivent plus. « Je ne veux pas revivre l’époque où il était constamment aux soins intensifs », dit-il. « Je veux juste qu’il grandisse en bonne santé. »  

Les stylos à insuline et les glucomètres pourraient changer la donne pour les enfants du Soudan du Sud, mais leur prix les rend inaccessibles. Alors que le monde se rapproche rapidement de 2030, la question n’est plus de savoir si ces outils sont efficaces, mais si la communauté internationale les rendra abordables pour chaque enfant qui en a besoin. D’ici là, des enfants comme Ajou et Aher continueront à se retrouver aux soins intensifs et certains, malheureusement, n’auront toujours pas accès à des traitements essentiels.