Refugees gathering water at a water point in the village Al Hashaba. Ethnic Tigray, Ethiopian, refugees who fled the central goverment’s military offensive against what is perceived as separatism by the Tigray regional governement and its military branch TPLF. When crossing into Sudan the refugees settle in unoccupied, unfinished houses at Al Hashaba Village 8, built for local Sudanese being resettled after the building of a Tekeze river dam. Some Sudanese families and military live in the camp, village Al Hashaba. The Sudanese governement tries to move the refugees into the Um Rakuba camp. MSF runs the water supplies and has an emergency clinic in the camp. SUDAN, Gedaref Region, Eastern border with Ethiopia/Tigray Region. Al Hashaba. 2020/12. © Thomas Dworzak/Magnum Photos
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Soudan : « Les nouveaux arrivants sont épuisés, et leur état de santé est précaire »

Kiera Sargeant, ancienne coordonnatrice médicale de Médecins Sans Frontières (MSF) au Soudan, décrit la réponse de MSF à la crise des réfugiés à la frontière éthiopienne

Que se passe-t-il actuellement à la frontière entre le Soudan et l’Éthiopie?​

 

« Au début de novembre 2020, de nouveaux arrivants de la région du Tigré en Éthiopie ont commencé à traverser au Soudan à deux endroits, Hamdayet et Ludgi. Au départ, il ne s’agissait que d’un petit nombre de réfugiés, puis il est passé à plus de 1 000 nouveaux arrivants par jour. Depuis, plus de 55 000 réfugiés sont arrivés de la région du Tigré.

Les réfugiés sont installés dans les États de Kassala et de Gedaref. À Gedaref, il y a deux camps officiels permanents : celui d’Um Rakuba et le nouveau camp d’Al Tanideba. Le transport des réfugiés depuis les camps de réception frontaliers jusqu’aux camps officiels de Gedaref peut prendre entre 10 et 15 heures. »

 

Comment MSF répond-elle à l’afflux de réfugiés​?

 

« MSF travaille au Soudan depuis de nombreuses années déjà. Je suis arrivée en septembre 2020 pour aider à démarrer de nouvelles activités à Kassala et au Darfour-Sud. À ce moment, le Soudan était en train de se remettre de graves inondations, et MSF apportait son soutien face à des cas de fièvre hémorragique virale qui avaient été signalés dans deux États. Cependant, lorsque les combats ont éclaté en Éthiopie début novembre, nous avons adapté notre approche, et nous nous sommes dirigés vers la frontière éthiopienne. Le 19 novembre, nous avons installé notre première clinique à Gedaref.

Nous intensifions actuellement nos activités aux points de passage frontaliers et dans les deux camps officiels permanents d’Um Rakuba et d’Al Tanideba. Dans ces camps permanents, nous fournirons des soins de santé primaires, des soins de santé reproductive, des soins de santé mentale, la vaccination, le traitement de la malnutrition et le traitement des maladies chroniques. Nous sommes également en train de mettre en place un service de soins hospitaliers et des installations sanitaires et d’approvisionnement en eau. Dans le cadre de nos activités, nous consultons toujours les communautés pour identifier leurs besoins.

À la frontière à Hamdayet, nous soutenons une clinique du ministère de la Santé qui fournit des soins de santé gratuits à la communauté de Hamdayet et aux réfugiés; nous travaillons avec les communautés et mettons en place des services de santé reproductive, de santé mentale, de traitement des maladies chroniques, tout en assurant l’approvisionnement en eau et l’assainissement. Nos équipes sont également présentes aux points où les réfugiés traversent la frontière pour effectuer des contrôles de santé, y compris le dépistage de la malnutrition. Comme il n’y a pas d’autres organisations aux points de passage frontaliers, nous fournissons souvent des informations et des conseils aux nouveaux arrivants sur les endroits où ils peuvent aller et les services auxquels ils peuvent accéder, car le camp de réception se trouve de l’autre côté de la ville. »

Quel est l’état de santé des réfugiés à leur arrivée​?

 

« Au début, certaines personnes sont entrées au Soudan en traversant à la nage la rivière qui marque la frontière avec l’Éthiopie. C’est une rivière au débit très rapide, et donc difficile à traverser. D’autres ont traversé en bateau ou à pied en passant par Lugdi.

Début décembre, nous avons vu un changement dans l’état des gens à leur arrivée. Il y a maintenant quatre points de passage dans la région de Hamdayet, où nous avons des équipes pour aider à identifier si une personne est malade ou malnutrie. Initialement, l’état de santé physique des gens était correct, car ils n’avaient pas parcouru de longues distances. Mais maintenant, on constate que les nouveaux arrivants sont souvent épuisés, et que leur état de santé est précaire en raison du voyage. De plus, nous sommes préoccupés par le fait que les gens souffrant de maladies chroniques n’ont pas accès aux médicaments dont ils ont besoin.

Les arrivants nous racontent qu’il leur est plus difficile de trouver des itinéraires sûrs pour atteindre les points de passage vers le Soudan; certains nous ont dit avoir dû se cacher pendant des jours à différents endroits, jusqu’à ce qu’ils puissent continuer leur chemin.

Les principaux problèmes de santé que constatent nos équipes sont les infections des voies respiratoires, la diarrhée aqueuse aiguë ainsi que les maladies chroniques, telles que le diabète et l’hypertension. Nous avons soigné plusieurs blessures par éclats d’obus et par balles, et des gens nous font part de leurs préoccupations liées à la santé mentale. Des violences sexuelles ont aussi été rapportées, alors nous diffusons le message au sein de la communauté que nous pouvons fournir des soins médicaux et psychologiques aux personnes qui en ont été victimes. »

 

Qu’est-ce que les réfugiés vous ont dit quant à la raison de leur fuite​?

 

« Un réfugié à qui j’ai parlé a déclaré être très confus : il pouvait entendre de fortes explosions au loin, qui se rapprochaient. Il ne savait pas ce que c’était, mais quand il a vu des gens courir, il a décidé de s’enfuir aussi. Il a couru dans la brousse, puis s’est dirigé vers la frontière.

Un autre réfugié que j’ai rencontré s’était rendu à Hamdayet, puis était retourné chez lui en Éthiopie pour essayer de récupérer quelques affaires. Quand il est arrivé là-bas, sa maison était désormais occupée par d’autres gens, alors il est revenu à Hamdayet bredouille. »

 

Quelles sont les conditions de vie à Hamdayet et dans les camps officiels​?

 

« La situation humanitaire dans la zone d’accueil de Hamdayet est mauvaise : il n’y a pas assez d’abris, de nourriture, d’eau ou d’articles de première nécessité pour tout le monde. Beaucoup de réfugiés restent dans le village, car ils ont plus de facilité à s’y trouver un abri.

Dans les camps, on s’active toujours pour intensifier les services, mais la réponse est trop lente. Depuis le 3 novembre, entre 250 et 350 réfugiés sont transférés chaque jour à Um Rakuba. Le déplacement des personnes vers le camp d’Al Tanideba a commencé au cours de la première semaine de janvier, bien que le site ne soit pas encore prêt à accueillir des réfugiés. Cela nous inquiète grandement, car il y manque de services essentiels, et leurs besoins de base ne pourront pas être satisfaits.

Dans le même temps, les réfugiés continuent d’arriver au Soudan, ce qui signifie que les services dans les camps de transit doivent être bien maintenus et améliorés, car le nombre total de réfugiés dans ces sites reste élevé. »

 

Quelles sont les principales préoccupations des réfugiés​?

 

« Comme de nombreux réfugiés ont été séparés des membres de leur famille en fuyant, ils sont principalement inquiets pour leur famille et leurs proches, surtout en raison du réseau téléphonique limité dans la région du Tigré.

Nous avons vu plusieurs enfants non accompagnés, la plupart ayant été séparés de leur famille dans la fuite. Nous orientons les enfants vers les services de protection de l’enfance de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Parmi les autres préoccupations dont nous entendons parler, citons les agriculteurs qui n’ont pu récolter leurs champs. Maintenant qu’ils sont au Soudan, ils se demandent comment ils gagneront leur vie et où ils pourront trouver de la nourriture et un abri.

Certains réfugiés ont parlé de leurs inquiétudes concernant la pandémie de COVID-19, mais la plupart me disent qu’ils ont bien d’autres choses qui les préoccupent, comme se trouver un abri, de la nourriture et de l’eau. »

 

Quels sont les principaux défis pour répondre à cette crise de réfugiés​?

 

« Pour MSF, l’un des plus grands défis est de se procurer suffisamment de fournitures médicales. Nous cherchons à importer d’urgence des fournitures médicales afin de pouvoir réagir promptement. Par ailleurs, la pandémie a engendré des défis pour envoyer du personnel médical expérimenté, ce qui est nécessaire en raison de la pénurie dans le pays.

L’afflux soudain de réfugiés a mis à rude épreuve les infrastructures existantes et les services de santé au Soudan. Cela s’est ajouté aux pénuries de carburant existantes et à la forte inflation dans le pays, qui ont causé des difficultés logistiques et financières pour tous. »

De façon générale, il est urgent d’accroître rapidement l’aide pour répondre aux besoins des réfugiés, en particulier avant la saison des pluies, qui rendra cette région du Soudan très difficile d’accès. Il est extrêmement important que le gouvernement du Soudan, l’ONU, les bailleurs de fonds et les ONG fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour intensifier la réponse. La coordination entre le HCR et les autorités soudanaises doit être améliorée; il faut de toute urgence plus d’argent de la part des bailleurs de fonds, l’autorisation d’importer des fournitures et le déploiement rapide des activités, qui doit se calculer en jours, et non en semaines.