Une équipe de promotion de la santé de MSF arrive au camp d’Abutengue pour sensibiliser les gens à diverses crises sanitaires, notamment le paludisme et la malnutrition. Le camp abrite plus de 45 000 personnes ayant fui la guerre au Soudan. Tchad, 2024. © Laora Vigourt/MSF
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Tchad : les voix des femmes des camps d’Aboutengue et de Metche

Des femmes prêtes à tout pour sauver leur famille dans un contexte de guerre brutale au Soudan

Depuis le début de la guerre au Soudan en 2023, plus de 550 000 Soudanais et Soudanaises ont fui vers l’est du Tchad. Ces personnes ont fui de violentes attaques ethniques, des violences brutales et des meurtres. La plupart de celles qui ont fui vers le Tchad étaient des femmes et des enfants, car les hommes ont été tués, sont détenus ou ont disparu au Soudan. Les femmes soudanaises, qui étaient les seules à subvenir aux besoins de la famille, assument désormais l’entière responsabilité de la prise en charge de celle-ci.

Vivant dans des conditions épouvantables dans des camps situés dans des zones désertiques isolées, comme Metche et Aboutengue, ces familles dépendent entièrement de l’assistance humanitaire. Depuis des mois, la réponse humanitaire dans l’est du Tchad s’avère totalement inadéquate. Les personnes réfugiées peinent à avoir accès aux services de base essentiels, tels que la nourriture et l’eau. Elles vivent dans des conditions inacceptables et indignes, ce qui les expose davantage à des risques en matière de santé et de protection.

À Metche et Aboutengue, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) fournissent des soins maternels et pédiatriques, traitent les enfants contre la malnutrition et prodiguent des soins primaires. De plus, les équipes chargées de l’eau et de l’assainissement distribuent la majeure partie de l’eau dans les camps. Malgré les efforts de MSF, la réponse humanitaire est insuffisante et l’organisme n’a cessé de réclamer une intensification immédiate pour répondre aux immenses besoins. Ce recueil de témoignages rappelle avec force le courage et la détermination inébranlable de ces femmes qui ont protégé leurs familles en fuyant les violences ethniques au Darfour. Elles ont fui lors des attaques brutales à El Geneina à la mi-juin 2023. Elles ont entrepris le dangereux voyage vers le Tchad voisin, arrivant au camp de personnes réfugiées d’Aboutengue et Metche vers le mois de juillet 2023.

« Je pense que si je n’avais pas menti en disant que j’étais une Masalit, nous serions morts ce jour-là. »

Taiba est arrivée dans le camp d’Aboutengue en juillet 2023, après avoir fui la guerre brutale du Soudan avec son mari, Bashir, et leurs deux enfants aînés : Aya (6 ans) et Ayoub (2 ans). Leur plus jeune enfant, Ayat, est né il y a quatre mois dans l’hôpital d’urgence de MSF, mis en place à Aboutengue pour rapprocher les soins de santé des gens qui en ont besoin.

« Ce jour-là [le 16 juin], j’étais à la maison avec nos deux enfants et mon mari était à l’extérieur. De nombreux hommes armés ont attaqué et pillé la région. Ils ont pris notre voiture et sont entrés dans notre maison. Ils m’ont menacée en pointant une arme sur ma nuque et m’ont demandé : “De quelle tribu êtes-vous?” Nous sommes de la tribu des Masalits, mais pour sauver nos vies, j’ai nié la vérité et répondu : “Je suis de Borgo, je ne suis pas une Masalit”. Ils m’ont forcée à parler la langue de Borgo pour s’assurer que je disais la vérité. Heureusement, j’ai réussi à prononcer quelques mots et ils m’ont laissée partir. Certains de mes voisins sont de la tribu Borgo et, au fil des ans, j’ai appris quelques mots d’eux, juste au cas où. Je pense que si je n’avais pas menti en disant que j’étais une Masalit, nous serions morts ce jour-là. »

« J’avais entendu dire par des voisins que lors d’attaques précédentes, les hommes armés avaient ordonné à des garçons de sortir de la maison et les avaient tués, uniquement en raison de leur sexe. Certains avaient même vérifié les pantalons des petits garçons. Nous avons donc pris l’habitude d’habiller nos garçons en filles. Ayoub avait environ un an à l’époque, mais je l’ai quand même habillé en fille, pour qu’il ne soit pas blessé ».

« Avant de quitter notre maison, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient voler. Puis ils m’ont dit de partir en disant : “Tu n’es pas en sécurité ici parce qu’une autre équipe d’hommes armés arrive, et ils sont plus frustrés. Vous devez partir maintenant.” Je n’avais pas beaucoup de temps, alors j’ai pris mes enfants et les quelques affaires que je pouvais emporter, comme des vêtements pour enfants. Mais au cours de notre voyage vers la frontière, les hommes armés les ont également volés – ils ne nous permettent pas de passer la frontière avec quoi que ce soit. »

« Lorsque j’ai quitté la maison, j’ai vu beaucoup de personnes mortes sur la route. Certains corps étaient en décomposition. C’était horrible à voir. Certains de mes voisins avaient été tués. J’ai fui avec les autres personnes survivantes. En chemin, j’ai réussi à retrouver mon mari et nous nous sommes joints à la foule de personnes qui fuyaient ensemble. Nous avons été arrêtés deux fois en chemin. Des gens ont été tués. La première fois, des hommes armés ont commencé à tirer sur la foule. Mon mari a reçu une balle dans le pied droit – il pouvait à peine marcher. La deuxième fois, des hommes armés nous ont à nouveau attaqués. Ils m’ont donné des coups de pied et ont frappé mon mari avec un bâton. Après cela, il pouvait à peine bouger et j’ai essayé de le porter autant que possible avec mon bébé Ayoub dans les bras. Une femme a gentiment proposé de s’occuper de ma fille Aya pendant que je m’efforçais de porter mon mari et mon fils. »

« Lors de la dernière étape de notre voyage, j’ai essayé de retrouver ma fille en criant son nom dans la foule. Enfin, nous l’avons trouvée, toujours avec la femme qui s’était occupée d’elle. Je me suis sentie soulagée. Au village, j’ai également rencontré l’armée qui m’a dit de laisser mon mari sur place et d’aller à Adré pour demander de l’aide à l’hôpital. Il nous a fallu quatre jours pour arriver à Adré. À l’hôpital, nous avons été pris en charge par les équipes médicales [soutenues par MSF] et avons été opérés et soignés. C’est là que nous avons appris que le bras et la jambe gauches de mon mari étaient paralysés à vie, à cause des coups reçus. »

« Nos enfants sont traumatisés par tout ce qu’ils ont vu en chemin. Lorsqu’ils entendent des coups de feu ou des bruits forts, même des voix fortes, ils se cachent et se bouchent les oreilles en pleurant. L’aîné ne cesse de poser des questions sur ce qui s’est passé, sur les raisons pour lesquelles nous n’étions pas en sécurité et sur ce qui va se passer maintenant. »

« À El Geneina, avant la guerre, notre vie était belle. J’étais sage-femme à l’hôpital et mon mari était un homme d’affaires qui vendait des voitures. Une fois que le Soudan sera sûr, nous rentrerons parce que la vie ici est si difficile, nous souffrons sans accès aux éléments de base : la nourriture, l’eau, l’école, le travail. Nous n’avons pas de lits, pas de matelas, nous manquons de beaucoup de choses. La seule nourriture que nous recevons provient des organisations humanitaires. Parfois, des personnes de la communauté nous soutiennent et nous donnent un peu de nourriture. Mais il n’y a rien que nous puissions faire ici, il n’y a pas de travail, pas de terres, il n’y a aucun moyen pour nous de nous sauver. Je suis la seule à m’occuper de ma famille. Mon mari ne peut pas se déplacer à cause de sa paralysie, alors je dois tout faire : porter l’eau, trouver de la nourriture, etc. »

Son mari a fondu en larmes en écoutant les paroles de sa femme.

« Ici, dans le camp, nous n’avons rien. Parfois, mes enfants doivent même mendier de la nourriture. »

Gamera (60 ans) et Jeta (35 ans), mère et fille, ont fui les attaques brutales d’El Geneina avec les cinq enfants de Jeta : Abdel Aman (14 ans), Mohamad (6 ans), Wiam (9 ans), Wafa (4 ans) et Sana (2 ans).

« Tôt le matin, des hommes armés ont attaqué notre maison », raconte Gamera. « Ils ont appelé mes trois fils dans une pièce et nous [les femmes] ont fait quitter la maison. Je les ai suppliés de ne pas tuer mes fils, je leur ai dit qu’ils étaient innocents, car ils les accusaient d’être des espions. Mais c’est alors que j’ai entendu les coups de feu. Lorsque je suis revenue à la maison, j’ai vu les corps allongés sur le sol. L’un de mes fils avait reçu une balle dans la poitrine, l’autre dans la tête et le troisième dans le cou. Les hommes armés m’ont ensuite menacée en me mettant un couteau sous la gorge et ont volé notre argent et nos téléphones. Ils ont même examiné mon corps pour voir si je ne cachais rien. En partant, ils ont mis le feu à la maison. »

« Nous avons fui à pied d’El Geneina jusqu’à la frontière avec le Tchad. Nous avons vu de nombreuxApres quelques cadavres en chemin. Il y avait beaucoup de monde et nous nous sommes perdus dans le flot des gens. Ce n’est qu’après avoir franchi la frontière que nous nous sommes retrouvés », poursuit Gamera. « Nous n’avons pas pu trouver d’eau potable. C’était la saison des pluies, et nous avions trouvé de l’eau de pluie en chemin, et nous dormions sous les arbres la nuit à cause des averses. Nous avions quelques vêtements avec nous, mais les hommes armés ne nous ont pas permis de traverser la frontière avec ceux-ci. Arrivés à Adré, nous avons trouvé refuge dans une école. Une organisation nous a donné de la nourriture et a vacciné les enfants. »

Jeta poursuit : « Mon père [le mari de Gamera] a été tué il y a deux ans lors d’une précédente attaque violente, et mon mari a disparu à peu près à la même époque – je ne sais pas s’il est mort ou vivant. Mes deux garçons, Abdel Aman et Mohamad, sont donc les seuls hommes qui restent dans la famille. J’ai fait ce que j’ai pu pour les protéger pendant notre fuite. Je les ai habillés avec des vêtements de filles pour qu’ils ne soient pas tués. Mais mon aîné a été découvert et battu jusqu’à ce qu’il tombe dans le coma. J’étais très inquiète, mais quand nous avons réussi à atteindre Adré, il a été soigné à l’hôpital [soutenu par les équipes de MSF] et il va mieux maintenant. » 

« Après quelques semaines à Adré, je suis moi-même tombée malade et j’ai passé une vingtaine de jours à l’hôpital [soutenues par les équipes de MSF]. Ce n’est qu’après cela que nous avons été transférés au camp d’Aboutengue. J’ai pu m’enregistrer officiellement comme personne réfugiée et j’ai obtenu un abri pour moi et mes cinq enfants. Ma mère [Gamera] n’a pas été enregistrée directement et n’a donc rien – elle reste avec nous. Mais nous n’avons pas assez, nous dépendons à 100 % de ce que les organisations humanitaires nous donnent. Parfois, mes enfants doivent mendier de la nourriture dans le camp. Ils ne vont pas à l’école, ils ne font rien ici », raconte Jeta avec émotion. À leur arrivée au camp d’Aboutengue en juillet, la fille cadette de Jeta, Sana, souffrait de malnutrition aiguë sévère. Elle a été traitée avec succès dans le cadre du programme d’alimentation thérapeutique de l’hôpital d’urgence [mis en place par les équipes de MSF].

« Notre vie au Soudan était agréable. Nous avions notre maison, suffisamment de nourriture et de confort. Nous travaillions. J’étais nounou et femme de ménage. Même si nous pouvions retourner au Soudan, tout est détruit maintenant – que ferions-nous? Que va-t-il nous arriver maintenant? Nous ne nous sentons en sécurité nulle part. Oui, c’est mieux ici que les massacres au Soudan, mais il y a parfois de la criminalité dans le camp. Nous n’avons aucune protection, si ce n’est entre nous. C’est pire pour mes enfants, ils ont toujours peur, pleurent et paniquent chaque fois qu’ils entendent un bruit fort », conclut Jeta.

« Le jour où nous avons fui, je n’ai jamais pensé que nous arriverions en vie : j’ai vu tant de gens morts dans la rue. »

Nafissa a fui les attaques brutales d’El Geneina en juin 2023. Elle a trouvé refuge dans l’est du Tchad et vit actuellement avec deux de ses enfants dans le camp pour personnes réfugiées d’Aboutengue. Son mari a été tué en 2022 lors d’une précédente période de violence.

« La guerre s’est intensifiée l’année dernière, mais il y avait déjà des violences dans notre région avant. Ces dernières années, ma maison a été incendiée quatre fois. Mon mari a été tué en 2022, et l’un de mes fils a été tué en mai 2023. Il n’avait que 10 ans. Il a été abattu dans la rue et a succombé à ses blessures à l’hôpital trois jours plus tard. Alors, quand j’ai entendu parler de nouvelles attaques dans notre quartier [en juin 2023], j’ai quitté ma maison avec mes deux derniers enfants et je n’y suis jamais retournée », raconte Nafissa.

« J’ai habillé mon fils de 11 ans avec les vêtements de sa sœur et nous sommes partis ensemble à pied. Je n’avais pris que deux couvertures, quelques vêtements et un bidon d’eau. Mais les hommes armés m’ont tout pris en chemin, en disant : “Personne n’emporte rien au Tchad”. Dans les rues, nous avons vu beaucoup de cadavres. Nous suivions la foule de gens, il y avait beaucoup de monde. À un moment donné, nous marchions vers Ardamatta pour nous y réfugier [là où se trouvait l’armée]. Nous avons entendu des coups de feu, des hommes armés ont commencé à tirer sur la foule, les gens couraient partout. C’est à ce moment-là que j’ai perdu ma fille. Elle avait tellement peur qu’elle a couru avec les autres », raconte Nafissa, peinée.

« Le lendemain, je marchais sur la route avec mon fils lorsque des hommes armés nous ont arrêtés. Ils ont essayé de le blesser avec un couteau, mais j’ai enroulé un tissu autour de ma main et j’ai réussi à dévier la lame et à le protéger. Ils ont ensuite donné un nouveau coup de couteau et m’ont coupé la jambe », décrit Nafissa, en faisant un geste. « Ils ont ensuite vu un homme à une certaine distance de nous, et ils sont allés le tuer. C’est à ce moment-là que j’ai réussi à m’enfuir avec mon fils. C’est comme ça, ils tuent d’abord les hommes, ensuite les femmes. Donc, d’une certaine manière, cet homme m’a sauvé la vie avec la sienne. »

« Je n’arrivais pas à y croire lorsque nous avons atteint la frontière à Adré. Le jour où nous nous sommes enfuis, je n’ai jamais pensé que nous arriverions en vie : j’ai vu tant de gens morts dans la rue. Dans chaque groupe de personnes voyageant ensemble, certaines se feront tirer dessus et d’autres parviendront à atteindre Adré. Mais à un moment ou à un autre, nous avons tous pensé que nous allions mourir en chemin », explique Nafissa. « À la frontière, j’ai retrouvé ma fille, elle était épuisée et effrayée, mais j’étais tellement soulagée qu’elle soit en vie. »

« Arrivée à Adré, je pouvais à peine faire un pas de plus. J’avais plusieurs blessures aux pieds à cause de la marche. Mes enfants et moi avons trouvé refuge dans une école. On nous a officiellement enregistrés en tant que personnes réfugiées auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Quelques semaines plus tard, nous avons été transférés dans le camp pour personnes réfugiées d’Aboutengue. Comme nous n’avions pas d’abri officiel, d’autres personnes réfugiées m’ont aidée à en fabriquer un avec des bouts de bois et des nattes. Il n’y a pas de travail pour moi ici, je suis donc entièrement dépendante de l’assistance humanitaire. Au Soudan, j’étais commerçante sur les marchés, je vendais des choses comme des tamir [beignets]. »

Lorsque nous discutons avec Nafissa, elle est assise dans les restes de son abri incendié. « C’est la cinquième fois que ma maison brûle depuis le début des violences au Darfour », explique-t-elle. « À chaque fois, je perds tout. Cette fois-ci, je ne sais pas ce qui a causé l’incendie. Un jour, j’étais au marché du camp, mes enfants étaient à l’école sous l’arbre du Ouaddi, et quand je suis revenue, tout était en feu. Une fois de plus, la communauté du camp m’a donné des choses et m’a aidée à construire un nouvel abri, mais j’ai peur que cela ne dure pas avec l’arrivée de la saison des pluies », conclut-elle.

Amira (14 ans), la fille de Nafissa, dont elle a été séparée pendant leur voyage vers le Tchad, explique : « J’aime bien étudier avec l’école sous les arbres ici, dans le Ouaddi. J’apprends les mathématiques, l’histoire, l’arabe, les études islamiques et l’anglais. Ma matière préférée est l’arabe. Mes cahiers et mes vêtements ont brûlé dans l’incendie. Je dois trouver un moyen d’obtenir un nouveau cahier pour l’école ». Elle poursuit : « Au Soudan, j’avais deux meilleures amies. Aujourd’hui, l’une d’elles est ici, dans une autre partie du camp. L’autre est dans le camp de Metche, mais je n’ai aucun moyen de la contacter. »

« Dans le camp, nous ne sommes pas tués, mais nous n’avons rien à manger. »

Ghalia a fui la guerre brutale du Soudan avec son mari, leurs cinq enfants âgés de 4 à 13 ans et deux de ses frères. Le groupe est arrivé dans le camp pour personnes réfugiées d’Aboutengue en juillet 2023. Enceinte au moment de sa fuite, Ghalia a donné naissance à sa plus jeune fille, Makarima, à l’hôpital d’urgence de MSF, il y a quatre mois.

« L’augmentation de la violence dans mon quartier était horrible. Je ne peux pas compter combien de personnes ont été tuées dans les rues, par des coups de feu et des bombes. Le jour de l’attaque de ma maison, j’ai commencé à courir, mon plus jeune enfant attaché à mon dos. Il y avait tellement de monde dehors que j’ai perdu mes autres enfants et mon mari. Je me souviens m’être rendue à Ardamatta dans la nuit, mais des hommes armés nous attendaient. Le matin, ils ont crié “personne ne bouge” et nous ont dit de laisser notre argent et nos armes. Puis ils ont commencé à tirer sur la foule. Les gens couraient partout. C’était le chaos, les gens arrivaient par vagues. Les hommes armés nous ont dit de faire demi-tour et de prendre la route vers l’ouest, celle qui va vers le Tchad. »

« Dans le village suivant, j’ai réussi à retrouver mes enfants – ils avaient pu rester ensemble et se soutenir les uns les autres. Ils avaient soif, ils avaient faim, ils étaient fatigués et ils avaient peur. Ils pleuraient. Mais j’étais tellement soulagée. J’avais cru que je ne les reverrais jamais; j’avais cru qu’ils avaient été tués. Je me suis sentie si heureuse et si soulagée de les retrouver ».

« Arrivés à Adré, nous avons trouvé refuge dans l’école. Six jours plus tard, j’ai retrouvé mon mari à l’hôpital [soutenu par les équipes de MSF]. Dans la foule qui courait, il avait reçu une balle dans le bras. À l’hôpital, il a été opéré avec des fixations internes, des vis et des plaques. Il y a passé un mois pour se rétablir, mais aujourd’hui il éprouve toujours de la douleur et il ne peut pas soulever des objets lourds comme le jerrycan pour l’eau. Je dois donc m’occuper de lui. » 

« Nous sommes arrivés dans le nouveau camp à la mi-juillet de l’année dernière. Comment le décrire? Au moins, il n’y a pas de bombes ni de coups de feu. Nous ne sommes pas tués, mais nous n’avons rien à manger. Certains jours, nous ne mangeons pas du tout. Nous dépendons entièrement de l’assistance humanitaire, surtout pour la nourriture », explique Ghalia. « L’eau est également un grand problème. La file d’attente pour l’eau est très longue, je dois me lever tôt et placer mon jerrycan dans la file d’attente pour pouvoir obtenir de l’eau plus tard. Au Soudan, nous étions des agriculteurs. Mais ici, à Aboutengue, il n’y a rien, nous sommes au milieu de nulle part. La seule chose que j’ai trouvée comme travail, c’est d’aider à construire des briques – pour cela, je ne gagne que quelques centaines de francs CFA [l’équivalent de moins d’un dollar]. » 

« Aujourd’hui, c’est encore difficile pour nos enfants. Ils n’ont rien à faire, ils ne vont pas à l’école. Ils continuent à poser des questions pour comprendre ce qui s’est passé pendant la guerre. Ils m’ont dit que lorsqu’ils ont été séparés de moi pendant le voyage jusqu’ici, ils ont vu beaucoup de cadavres sur le chemin, y compris des enfants. Ils m’ont dit que des hommes armés leur avaient demandé : “Où est votre père? Où sont ses armes?”  Ils avaient peur. Mon fils de cinq ans se réveille la nuit avec des cauchemars en criant : “Ils arrivent!”. Ma fille de sept ans, Maria, [sur la photo] pleure plusieurs fois par jour », explique Ghalia.

Maria dit qu’elle aime aller à l’école et surtout apprendre l’anglais. Elle est fière de réciter l’alphabet en anglais. « Plus tard, je veux devenir médecin », affirme-t-elle.

« J’aime étudier, mais je ne peux plus, car je dois m’occuper de mes sœurs. »

Gisma prépare du thé devant son abri dans le camp de personnes réfugiées d’Aboutengue, dans l’est du Tchad. Elle vit avec sa mère et ses cinq sœurs et est souvent le principal soutien de la famille.

« Nous avons fui El Geneina en juin de l’année dernière. C’était très difficile. Mon père a été tué. Pendant les attaques, nous avons quitté la maison avec ma famille, mais nous nous sommes perdus en chemin. J’étais avec trois de mes sœurs, en portant la plus jeune sur mon dos. Dans la rue, nous avons croisé des hommes armés qui ont pris deux de mes sœurs. Ils les ont blessées, mais… nous ne pouvons pas en parler », dit Gisma, peinée. « Je n’avais pas d’autre choix que de fuir. »

« Nous avons traversé la frontière et sommes arrivés pieds nus à Adré, car nous ne pouvions rien emporter. Nous étions épuisés, nous avions soif et nous pleurions. Des gens nous ont aidés et nous ont donné de l’eau. Une gentille dame a partagé sa nourriture avec nous. Je me suis sentie soulagée d’atteindre la frontière, surtout quand j’ai rencontré à nouveau mes sœurs et ma mère. » 

« Nous étudions sous l’arbre dans le Ouaddi [un lit de rivière asséché]. Mais je n’y vais plus, car je dois m’occuper de mes sœurs. Ma mère essaie de retourner au Soudan pour prendre tout ce qu’elle peut prendre pour notre survie. Nous n’avons rien ici, c’est très dur de vivre », explique Gisma. « À l’avenir, je veux travailler pour une organisation humanitaire afin de pouvoir aider. Mais je ne sais pas vraiment ce qui va m’arriver dans le futur. » 

« La nourriture que nous avons reçue lors de la dernière distribution est déjà épuisée. Je me sens limitée et impuissante. »

Malak a 39 ans. Elle vit à Adré avec ses huit enfants.

Je m’appelle Malak, j’ai 39 ans. Il était 4 heures du matin, un vendredi, et mon mari m’a dit qu’il y aurait une attaque. Il m’a dit : « Prends les enfants et va chez ta sœur, et moi je vais dans les jardins (El Geinena) ».

« Je n’étais pas d’accord, mais il est allé là-bas, où il a été tué. C’était un innocent. Moi, mes frères et ses frères, nous l’avons cherché pendant quatre jours. Finalement, nous avons senti une odeur étrange à l’endroit où nous le cherchions. Ils ont cherché jusqu’à ce qu’ils le trouvent et nous ont dit que son corps était là. Il s’appelait Jaafar et avait 42 ans. À l’époque, il y avait beaucoup de tireurs, alors ses frères et quelques voisins s’étaient faufilés pour récupérer son corps afin que nous puissions l’enterrer. »

« Quand je suis arrivée à Adré, je n’ai pas trouvé ma mère et trois de mes enfants. Je les ai cherchés pendant quatre jours. Quand j’ai enfin retrouvé ma mère, elle était dans un état lamentable. J’ai retrouvé mes enfants. Nous sommes restés deux mois à Adré, jusqu’à ce que nous nous installions ici, à Metche, où j’ai donné naissance à mon enfant. »

« Nous avons beaucoup de difficultés à nous procurer de la nourriture et de l’eau. Maintenant, je suis seule avec mes huit enfants, sans ma mère et mes sœurs, parce que nous nous sommes séparées. Elle est à Adré et moi ici. Ma mère ne peut pas vivre ici, elle a le diabète. Cela fait six mois que je ne l’ai pas vue. »

« Nous n’avons pas d’affaires. Nous sommes venus avec ces vêtements. Au Soudan, nous vivions mieux et les gens s’entraidaient. Maintenant, nous n’avons plus rien, ma maison a brûlé. Ici, nous ne pouvons pas nous entraider et nous n’avons aucune source de revenus. Nous n’avons rien. »

« Si je trouve un emploi, je travaillerai. Aujourd’hui, nous dépendons entièrement des organisations; nous mangeons du pain de maïs, des haricots à œil noir et nous recevons un peu d’eau. La nourriture que nous avons reçue lors de la dernière distribution est déjà épuisée. Je me sens limitée et impuissante. Je n’ai aucune source de revenus pour acheter de la nourriture. J’espère retourner au Soudan en paix et en sécurité. »

« Toutes les responsabilités me reviennent. Je suis maintenant la mère et le père ».

Ruqaya a fui El Geneina avec ses deux enfants.

« Je m’appelle Ruqaya, j’ai 25 ans. J’ai perdu mon mari à El Geneina le 15 juin [2023], lorsque les combats se sont intensifiés ce jour-là. Il est porté disparu, tout comme sa famille. J’ai deux enfants et les conditions de vie sont très difficiles. Je n’ai personne pour nous soutenir. Toutes les responsabilités me reviennent. Je suis maintenant la mère et le père. Je suis responsable de la nourriture, de l’eau, du logement et du traitement si les enfants tombent malades. Je dois tout gérer et m’occuper de tout par moi-même. Les gens ici ont faim et soif. Il n’y a pas de nourriture. Il n’y a pas de sécurité au Soudan et nous ne pouvons pas y retourner. Nous vivons au jour le jour. »

« Je ne sais pas si mon mari est vivant ou mort. Je ne sais pas où se trouvent les membres de notre famille. Nous avons été dispersés entre le Soudan et ici, et nous n’avons aucune nouvelle d’eux. Je veux rechercher mon mari et obtenir des réponses pour savoir s’il est vivant ou mort. Il s’appelle Issam et a 45 ans. Il a les yeux verts, mais il n’est pas grand. »