Bertin, infirmière MSF chargée du triage des enfants sur le site d'Andréssa, dans la province de Sila, prend le poids et les paramètres vitaux d'un enfant. Tchad, 2023. © MSF
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Un frère et sa petite sœur attendent à Andressa, au Tchad, à la frontière du Soudan

Neal Russell est un pédiatre basé à Londres qui travaille pour Médecins Sans Frontières (MSF) depuis 10 ans. Il témoigne ici de sa récente visite d’un projet que MSF mène dans la région orientale du Tchad, Sila, aux abords de la frontière avec le Soudan.

Il doit avoir environ huit ans, peut-être neuf. Assis sur un banc, il porte dans ses bras sa petite sœur tout en faisant la file parmi un nombre incalculable de mères tenant leurs enfants malades. Je l’appellerai « Saleh » et elle, « Samiyah »*. Le visage du garçon exprime à la fois la peur et la détermination que sa sœur soit vue. Plus tôt, je l’ai vu embrasser sa tête alors qu’il pensait que personne ne regardait. Il l’aime.

La petite fille de deux ans, aux cheveux plaqués, est sur les genoux de son frère. Il dit que leur mère est à la maison. Selon moi, il veut plutôt dire qu’elle est ici, dans ce site de personnes réfugiées, peut-être sous un abri fait de bâches en plastique, ou simplement sous un arbre, comme d’autres familles que nous avons vues. Le père, s’il est vivant, est probablement encore au Soudan, où se déroulent les combats.

Je demande rapidement à Saleh de me parler du problème de santé de sa sœur, sachant qu’en cette fin de journée, nous n’aurons pas le temps de voir tout le monde avant de devoir quitter le site pour des raisons de sécurité.

Il parle d’abord de la diarrhée de Samiyah, mais on voit bien que celle-ci est affamée. Ses cheveux ont changé de couleur à cause du manque de nutriments. Elle est aussi épuisée, à peine consciente du monde qui l’entoure. Je demande à voir ses bras, à peine plus larges que mes pouces, et je vérifie doucement la circonférence de son bras à l’aide d’un ruban à mesurer spécial, outil que nous utilisons afin d’évaluer l’état nutritionnel. Pour Samiyah, le ruban indique « Rouge – Malnutrition aiguë sévère », et elle est bien en dessous du seuil.

Nous expliquons à Saleh que nous allons lui donner des sachets d’aliments thérapeutiques, un mélange de pâte d’arachide et de nutriments pour traiter la malnutrition. Nous lui disons qu’il doit donner à sa sœur deux sachets par jour et que nous en avons assez pour lui fournir une semaine de provision. Avec un peu de chance,  nous serons d’ici là de retour ici avec plus de produits. Espérons que les pluies ne rempliront pas les cours d’eau, ce qui pourrait bloquer la route vers le site. Espérons que la petite survivra assez longtemps pour recevoir la prochaine ration.

Ce site doit être évacué. Les gens vivent ici depuis des semaines, après avoir fui les combats au Soudan. Maintenant que les pluies saisonnières ont commencé ici au Tchad, les immenses lits de rivières (wadi) se remplissent. Bientôt, tous les gens seront pris en étau, entre les combats d’un côté et de l’autre, la montée des eaux qui bloque les routes vers des sites plus sûrs. Pire, l’oued empêchera les secours d’arriver jusqu’à ceux et celles qui resteront. Tout le monde le sait, mais aucune aide n’est encore venue pour permettre cette évacuation.

À l’école d’Andressa, dans la province de Sila au Tchad, les personnes réfugiées soudanaises qui ont fui les violences dans leur pays se retrouvent dans des abris de fortune improvisés. Tchad, 2023. © MSF

Les gens disent que ces personnes réfugiées ne sont pas celles qui intéressent le monde. Les réponses humanitaires au Tchad n’attirent que très peu d’attention, donc peu de financement. On raconte que les réductions de l’aide expliquent le retard pris pour l’évacuation. Il n’y a eu qu’une seule distribution de nourriture, ce qui, nous le savons tous, est insuffisant. Samiyah en est la preuve, comme des centaines d’autres enfants. Le même jour, nous voyons une fille de l’âge de Saleh boire de la boue, en essayant de la filtrer avec son tee-shirt : il n’y a pas d’eau potable ici. Nous voyons aussi des enfants atteints de rougeole et de coqueluche; les épidémies ont déjà commencé à se propager.

Nous quittons le site dans l’après-midi afin d’arriver à notre base avant la tombée de la nuit. Nous constatons avec horreur que le niveau de l’eau dans l’oued a déjà monté, coupant pratiquement le chemin vers et depuis le site. En jetant un regard par la fenêtre de notre Land Cruiser pendant que nous roulons, je peux voir que l’eau est déjà au-dessus des roues. Nous ne savons pas si nous pourrons revenir la semaine prochaine. Ces gens sont pris au piège, ils ont besoin de nourriture, d’eau potable et de médicaments. J’espère que nous verrons Saleh et Samiyah après leur évacuation. Je souhaite qu’ils reçoivent la prochaine ration, mais pour l’instant, je ne sais pas comment.

*Les noms ont été changés pour protéger la vie privée.

NOTE : La situation à l’est du Tchad reste très changeante. À Andressa, la situation humanitaire a considérablement évolué depuis la rédaction de ce témoignage. MSF a reçu des rapports indiquant que le nombre de personnes vivant encore sur ce site a considérablement diminué. Pour celles qui restent, la situation demeure néanmoins critique.