Un vaccin contre l’hépatite E : L’espoir dans la lutte contre ce virus
Depuis plus de vingt ans, les équipes Médecins Sans Frontières (MSF) sont confrontées à des épidémies d’hépatite E sur leurs terrains d’intervention, mais jusqu’à tout récemment, elles ne disposaient d’aucun outil pour lutter aux côtés des patients et des patientes. Quel a été le long chemin pour parvenir à cette vaccination contre l’hépatite E au Soudan du Sud en mars et avril derniers? Chronologie d’un marathon.
« On était à Morney au Darfour, au Soudan, en 2004, et on gérait l’hôpital installé au milieu d’un immense camp de personnes déplacées à cause des violences », explique Iza Ciglenecki, coordinatrice de la recherche opérationnelle pour MSF. « En tant que médecin, j’étais notamment responsable de l’unité des soins intensifs, où on recevait les patients et les patientes souffrant d’une forme sévère de l’hépatite E. La moitié étaient des femmes enceintes. Pour elles, ce n’était pas une simple jaunisse, elles souffraient d’insuffisance hépatique. Et nous n’avions aucun traitement à notre disposition pour lutter contre ce virus et arrêter ces épidémies discrètes, mais néanmoins fatales pour 20 à 30 % des femmes enceintes infectées. »
Dans les camps de personnes déplacées ou réfugiées au sein desquels MSF intervient, les équipes médicales observent depuis des dizaines d’années de grandes et mortelles épidémies d’hépatite E. Étant donné les conditions sanitaires et la surpopulation, les flambées sont très difficiles à contrôler en raison de la résistance et de la persistance du virus dans l’environnement. En effet, le virus se transmet par l’eau ou les aliments contaminés. Malgré les efforts des équipes de MSF pour améliorer l’hygiène et l’accès à l’eau, comme c’était le cas à Mornay, où plus de deux millions de litres d’eau potable étaient quotidiennement distribués, certaines épidémies peuvent durer plusieurs années.
Dès 2011, un vaccin contre l’hépatite E, Hecolin®, est produit en Chine et son taux d’efficacité s’élève à presque 90 %. Pour le personnel soignant, c’est un nouvel espoir dans la lutte contre ce virus, mais le chemin était encore long avant de pouvoir l’utiliser pour la première fois dans un contexte d’épidémie, en dehors de la Chine.
En 2015, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande son utilisation dans les réponses aux épidémies, mais l’hépatite E est une maladie peu connue qui touche des populations pauvres et défavorisées qui se trouvent souvent dans des camps ou des bidonvilles. L’impact de cette maladie est largement sous-estimé et ne reçoit pas l’attention qu’il mérite. Jusqu’à cette année, aucune autorité sanitaire n’avait encore franchi le pas, les décideurs n’étant pas non plus nécessairement au fait de l’existence de ce vaccin et des dernières recommandations de l’OMS.
Côté MSF, dès 2016, les équipes médicales travaillent à rendre possible l’utilisation du vaccin lors de prochaines épidémies. En 2020, une épidémie éclate auprès des personnes déplacées au Burkina Faso. Bien que les démarches pour organiser une campagne de vaccination contre l’hépatite E démarrent, elles échouent faute de disponibilité des doses chez le fabricant. Ce ne sera de nouveau pas pour cette fois. Pour éviter que ce scénario se reproduise, MSF prend la décision, début 2021, d’anticiper les futures épidémies en commandant et en prépositionnant des doses de ce vaccin chez le fabricant, en Chine, prêtes à être acheminées.
Août 2021, des personnes ayant contracté l’hépatite E se présentent dans les structures médicales de MSF du camp de Bentiu, au Soudan du Sud. Rapidement, MSF entame des discussions avec le ministère de la Santé sud-soudanais pour que le nouveau vaccin fasse partie de la réponse à l’épidémie. Les autorités sud-soudanaises connaissent bien l’hépatite E et les dangers que ce virus représente pour les femmes enceintes, que ce soient les risques de fausses couches ou de décès à la naissance. Elles sont immédiatement enthousiastes à l’idée d’organiser une campagne de vaccination avec le soutien de MSF. Cette fois, les premières sessions ont bel et bien eu lieu, en mars et avril 2022.
Environ 25 000 personnes, parmi lesquelles des femmes enceintes, se sont fait vacciner lors des deux premières sessions. La troisième et dernière session est prévue en octobre.
« Après des années de frustration, la réussite de cette vaccination suscite des espoirs dans la lutte contre ce virus », conclut Iza Ciglenecki. « Et nous espérons que le succès de cette campagne encouragera d’autres pays à utiliser le vaccin pour répondre à des épidémies d’hépatite E, particulièrement mortelle pour les femmes enceintes. »