© Sam Taylor/MSF
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« Une araignée au centre de la toile » : un logisticien de MSF se raconte

En septembre 2022, un rare variant du virus Ebola, la souche soudanaise, a commencé à se propager en Ouganda. Bonnet Kamate Kihugo travaille depuis près de vingt ans comme logisticien pour Médecins Sans Frontières (MSF) un peu partout dans le monde, mais il n’avait jamais eu à affronter Ebola. Malgré cela, il n’a pas hésité à se joindre au projet.

Ce fut une affectation particulièrement intense. Puisqu’il s’agissait d’une souche différente de celle présente en l’Afrique de l’Ouest, il n’y avait pas de vaccins ni de médicaments disponibles pour la contrer. Lorsque le virus a commencé à se propager, ce fut une véritable course contre la montre pour mettre en place de centres de traitement et d’isolement. Pour ce faire, il fallait compter sur le concours de nombreuses personnes ayant des compétences différentes.

 

« Je suis une araignée au centre de la toile. »

 

En tant que responsable de la logistique, je ne suis expert en rien, mais j’en connais un peu sur beaucoup de choses. Mon travail consiste à coordonner les spécialistes, comme ceux et celles qui travaillent à la construction, à l’approvisionnement en eau et au soutien informatique, par exemple.

On peut dire que je suis l’araignée au centre de la toile. Nous travaillions de longues journées. C’était une grande équipe, et il y avait beaucoup de matériel et de personnel à coordonner. 

L’importance de la protection

J’ai appris à être extrêmement prudent. Dans le contexte, cela pouvait être une question de vie ou de mort. Comme je ne travaillais pas directement auprès des personnes malades, je ne m’inquiétais pas trop pour moi. J’étais plus préoccupé pour mes collègues.

Je n’arrivais pas à me détendre complètement. J’étais inquiet d’approcher les membres de ma famille, même si je suivais tous les protocoles de sécurité concernant le lavage des mains, l’absence de contact physique, la désinfection des chaussures, et ainsi de suite. Heureusement, ni moi ni aucun de mes proches ou de mes collègues avons été infectés.

Je suis tellement heureux et soulagé que l’épidémie ait été déclarée terminée le 11 janvier dernier. L’objectif était toujours de donner aux personnes infectées une chance de survivre et d’empêcher le virus de se propager à travers le pays. Dans notre intervention, ce ne sont pas uniquement les soins médicaux qui sont importants; nous éduquons aussi les gens sur le virus et la façon de se protéger.

Je pense que bien plus de gens en Ouganda saisissent dorénavant l’importance de consulter un médecin dès que possible s’ils remarquent des symptômes inhabituels, et de se rendre dans un établissement de santé plutôt que de se tourner vers des méthodes traditionnelles.

 

« Je suis originaire de la RDC et j’ai fui en Ouganda… Je pense que cela me permet de voir les choses différemment. »

Une personne d’expérience

Ma première affectation avec MSF remonte à 2004, puis j’ai travaillé au Soudan du Sud, au Cameroun et au Niger et dans plusieurs endroits en Ouganda. Ma dernière affectation avant celle-ci était à Kisoro, dans le sud-ouest de l’Ouganda, à la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda.

 

Bonnet Kamate Kihugo debout devant une voiture MSF
Bonnet Kamate Kihugo, logisticien de MSF en affectation. Ouganda, 2023.© Sam Taylor/MSF

 

Comme beaucoup de Congolais et Congolaises ont cherché refuge en Ouganda, nous avons ouvert un hôpital dans la région. Je me sens vraiment triste quand je vois comment les personnes réfugiées sont traitées, parce que je peux m’identifier à elles.

Je suis originaire de la RDC et j’ai fui en Ouganda il y a longtemps. J’ai donc été dans la même situation, et je pense que cela me permet de voir les choses différemment en comparaison aux autres qui n’ont rien vécu de tel. C’est pourquoi cela signifie beaucoup pour moi de pouvoir soutenir les personnes qui fuient.

Ma vie en RDC

J’ai grandi dans le Nord-Kivu. À l’époque, c’était calme là-bas. J’ai beaucoup de bons souvenirs de mon enfance. Mais après le génocide au Rwanda, une grande partie de la population a fui en RDC, et la situation est devenue très tendue.

Je me suis toujours senti en sécurité dans mon pays d’origine. Mais là, un jour, tout d’un coup, des combats ont commencé autour de chez nous. C’était la première fois que je voyais des gens se faire tuer; c’était horrible. J’ai alors compris que je n’étais plus en sécurité.

Je suis venu en Ouganda en tant qu’étudiant en 1999. Je ne suis pas retourné dans mon pays depuis. Beaucoup de membres de ma famille y vivent encore, donc c’est triste de ne pas pouvoir leur rendre visite. Mais je ne peux pas y retourner, c’est trop dangereux de traverser la frontière. Après toutes ces années, je me sens chez moi ici en Ouganda. Maintenant, j’ai ma propre famille ici – une femme et cinq enfants.

Qui sait, peut-être que mes enfants travailleront un jour pour MSF.

Mes enfants s’ennuient de moi, bien sûr, mais ils sont fiers de moi aussi. Ils se sont habitués à mes absences au fil du temps. Si je suis à la maison sur une longue période, ils se demandent ce qui se passe. « Tu vas bientôt partir en affection? » Ha ha! Je pense qu’avec tout ce que je leur ai dit sur le travail, qui sait, peut-être que mes enfants travailleront un jour pour MSF.

Juste avant la pandémie, en 2019, j’ai acheté un petit terrain dans le village de Gitta-Nabuyaka, tout près de Kampala. J’ai une petite ferme de poulet là-bas. C’est vraiment différent de la logistique. Je creuse, je sème différentes cultures. Je ne connaissais pas grand-chose à l’agriculture avant de commencer ce projet, mais j’apprends tout le temps. J’aime aussi me détendre en lisant et en regardant des films. J’ai lu la Bible, et aussi des livres sur la logistique. Quand il s’agit de films, j’aime les films d’action.

Qu’est-ce qui me plaît le plus dans ce travail?

J’aime beaucoup l’ambiance qui règne au sein de MSF. Bien que nous soyons des membres du personnel, je trouve qu’il y a un véritable esprit de bénévolat. Nous nous donnons corps et âme dans notre travail, et cela fait tellement de bien. Je veux continuer à aider les gens comme j’aurais aimé qu’on m’aide moi-même.