Venezuela : Lutter contre le paludisme et un système de santé défaillant à Bolivar
Quand on pense à une nation qui traverse une grave crise politique et économique, la première chose qui vient à l’esprit n’est probablement pas l’or. Pourtant, à Bolivar, le plus grand État du Venezuela, l’extraction illégale de l’or est en plein essor depuis des années. Le précieux métal est devenu une motivation pour de nombreux Vénézuéliens à se diriger vers le sud du pays, comme une dernière chance de gagner leur vie avant de rentrer chez eux ou de fuir vers le Brésil. Médecins Sans Frontières (MSF) est présente dans différentes villes du Venezuela depuis 2015, dont Caracas, Sucre et Bolivar.
Luis Henrique Ripa arrive directement de Caracas, la capitale vénézuélienne. Il a laissé sa famille pour venir travailler comme mineur à Las Claritas, une petite ville située dans la municipalité de Sifontes, dans l’État de Bolivar. « C’est la deuxième fois que je viens ici », dit-il quand on lui demande s’il a déjà visité la région. « Pour être tout à fait honnête, je n’aime pas vraiment ça ici, mais l’occasion est trop tentante. Le premier jour de mon arrivée, j’ai trouvé de l’or. Certaines personnes cherchent pendant des mois avant de trouver quoi que ce soit. Moi, ça m’a pris juste une journée. Pour moi, c’est un signe. Être ici est une aventure, et ce que vous gagnez en vaut la peine. » Le fait que Luis soit maintenant alité, avec un large plâtre couvrant la majeure partie de sa jambe droite, ne semble pas le faire changer d’avis sur son voyage. L’homme continue de sourire et essaie d’oublier sa douleur. Plus tôt cette semaine, il s’est cassé la jambe après une chute libre de 11 mètres à l’intérieur d’une mine d’or. Luis a demandé à un médecin local quand une ambulance viendra le chercher. Ses blessures sont trop graves pour être traitées à la clinique locale où il se trouve actuellement; il devra être transféré à l’hôpital pour y recevoir les soins dont il a besoin.
Un autre jeune homme, Yordan Pentoja, est allongé dans le lit à côté de lui. Yordan n’est pas tombé, mais il est tombé malade. Le jeune homme de 27 ans est également soigné à la clinique pour une forme grave de paludisme. Il dit qu’il a été diagnostiqué avec la maladie environ une douzaine de fois depuis qu’il a commencé à travailler dans la mine, il y a plus d’un an et demi. « Le paludisme est comme la peste ici. J’ai tellement d’amis et de collègues qui l’ont contracté que j’ai arrêté de compter », explique-t-il. Il ferme les yeux et ajoute : « Je suis venu à la clinique ce matin parce que j’ai commencé à me sentir mal. Ma tête et mon estomac me font très mal. »
La prévalence et le danger du paludisme
Il y a cinquante ans, le Venezuela était souvent présenté comme l’un des principaux pays d’Amérique du Sud dans la lutte contre le paludisme. Bien que la maladie n’avait pas été entièrement éradiquée à cette époque, des efforts avaient été déployés pour réduire considérablement le nombre de cas dans le pays. Mais ces dernières années, le paludisme a fait un grand retour au Venezuela. En effet, en 2019, il se classait comme le pays le plus touché en Amérique latine, avec plus de 320 000 cas diagnostiqués.
« Vous voyez, c’est ici que tout a commencé. Ou là où tout s’est terminé, tout dépend de votre perspective », explique Yorvis Ascarnio, inspecteur en santé publique qui travaille pour le programme national de lutte contre le paludisme à Bolivar. Là, dans la municipalité de Sifontes, le paludisme est devenu endémique. « Lorsque la crise économique a frappé le Venezuela, elle a très durement touché les habitants de Sifontes. Au début, nous avons commencé à voir nos stocks de médicaments réduire. Rapidement, nous avons dû choisir à qui donner les quelques médicaments dont nous disposions; nous ne pouvions nous concentrer que sur les cas graves. Et c’était la même situation dans d’autres cliniques et points de diagnostic… Je travaille dans ce domaine depuis douze ans. J’ai vu les hauts et les bas de cet endroit. Mais cette période a été extrêmement difficile pour nous. »
En 2016, MSF a commencé à intervenir à Bolivar, pour soutenir le programme national de lutte contre le paludisme, en collaboration avec le ministère de la Santé. Depuis lors, l’organisation soutient différents points de diagnostic à Bolivar et aide à fournir un traitement adéquat aux patients atteints de paludisme. Il y a un an, MSF a également travaillé avec l’Institut du paludisme de Carúpano, dans l’État de Sucre, pour accroître sa capacité à lutter contre le paludisme dans le pays.
« À Bolivar, nous aidons également avec ce que nous appelons la lutte antivectorielle : nous fumigeons les maisons et distribuons des moustiquaires à la population, pour diminuer le risque d’infection », explique Josué Nonato, agent de promotion de la santé à MSF. « Dans le cadre de mon travail, j’explique aux gens comment identifier les symptômes du paludisme et quoi faire lorsqu’ils commencent à se sentir malades, pour assurer qu’ils puissent obtenir un traitement avant que la maladie ne devienne trop grave. »
En 2019, MSF a pu informer plus de 55 000 personnes avec des séances de promotion de la santé dans la région. L’organisation a également traité plus de 85 000 personnes contre le paludisme, distribué plus de 65 000 moustiquaires, pulvérisé 530 foyers et aidé à effectuer plus de 250 000 tests diagnostiques du paludisme. Depuis lors, le nombre de cas de paludisme a diminué d’environ 40 % à Sifontes. Pour atteindre ces objectifs, la stratégie de MSF a été de se rapprocher le plus possible des personnes susceptibles d’être touchées par le paludisme. C’est pourquoi la plupart des points de diagnostic et de traitement que l’organisation supervise en partenariat avec le programme national de lutte contre le paludisme sont situés directement à l’intérieur des mines.
« Avant, jusqu’à 200 personnes faisant la queue devant les points de diagnostic, et de nombreuses personnes infectées par le paludisme devaient se rendre directement à la clinique car aucun traitement n’était disponible. Maintenant, la situation est un peu plus gérable », affirme Monserrat Barrios, bioanalyste MSF, en charge de la formation de nouveaux techniciens en microscopie aux points de diagnostic.
MSF renforce sa présence en 2020
Cette année, MSF soutient également la clinique locale de Las Claritas, appelée Santo Domingo. Initialement construite pour une population de 20 000 habitants, elle doit désormais répondre aux besoins de plus de 75 000 personnes qui sont venues vivre dans la région ces dernières années. MSF y fournit des services de prévention, de diagnostic et de traitement du paludisme, mais procède actuellement à l’accroissement de son soutien pour couvrir d’autres maladies et besoins de santé.
Fanny A. Castro, responsable des activités médicales de MSF, explique : « Nous savons que d’autres services sont également requis pour faire face au nombre de patients, y compris ceux souffrant de maladies non transmissibles, et pour prendre en charge les urgences et orienter des patients vers un hôpital. Nous nous concentrons davantage sur la santé sexuelle et reproductive, par exemple avec des services tels que la planification familiale et les accouchements. En gros, nous voulons faire une différence et augmenter les chances de la population d’accéder aux services de santé. Nous avons également installé un approvisionnement en eau et une capacité d’assainissement autour de l’établissement, ce qui améliore considérablement la qualité des soins prodigués. »
Cependant, les besoins de santé vont bien au-delà de Las Claritas et de la municipalité de Sifontes. La crise économique du Venezuela a eu un impact désastreux sur l’ensemble du système de santé, et elle se fait sentir presque partout. MSF essaie de répondre aux besoins les plus urgents dans différents États du Venezuela, et à Bolivar, l’organisation commencera bientôt à soutenir l’un des hôpitaux régionaux de l’État, aujourd’hui à peine fonctionnel, dans une ville appelée Tumeremo.
Dans l’un des couloirs abandonnés de cet hôpital, le cri d’un nouveau-né se fait entendre. Alicia Jimenez, une femme indigène de Bolivar, vient de donner naissance à son dixième enfant avec l’aide de l’une des sages-femmes restantes de l’établissement. Elle a dû voyager en bateau et en voiture pour se rendre à l’hôpital, mais elle dit que malgré la difficulté du voyage et les mauvaises conditions actuelles du bâtiment, elle est bénie par ce nouvel ajout à sa famille. En 2020, MSF intensifiera ses efforts pour lutter contre le paludisme au Venezuela, mais entend également faciliter et accroître l’accès aux services de santé, à Tumeremo et ailleurs dans le pays.