MSF midwife supervisor, Taqwa Abdulghani, Hassan assisting a mother Aiesha* to walk after she went through caesarean section for birth of her daughter at Al-Jamhouri hospital in Taiz City, Yemen. *name of the patient changed upon her request. © Nasir Ghafoor/MSF
PARTAGEZ

Yémen : Se faire soigner dans une ville divisée par une ligne de front

« La peur constante et le sentiment d’être à deux doigts de la mort sont horribles. Nous avons été bombardés. Ma soeur a déjà été touchée par un obus et elle a subi une blessure à un œil. Je ne pourrai jamais oublier la voir saigner de la sorte. Nous courons nous cacher dès que les bombardements commencent. Mes enfants se cachent sous les couvertures, ils sont terrifiés », a déclaré Wafa Muhammad Abdullah.

Wafa, 30 ans, fait partie des environ un million d’habitants de la ville de Taïz qui subissent un conflit impitoyable et hostile depuis plus de six ans. Autrefois reconnue comme la capitale culturelle du Yémen, la ville de Taïz est l’un des champs de bataille urbains de la guerre civile qui afflige le pays. La ville a vu des fusillades dans ses rues et des bombardements sur ses habitants, causant des décès, des blessures de guerre et des traumatismes psychologiques, et mettant à l’arrêt toute vie normale.

Effets à long terme du conflit

 

Située dans les hautes terres du sud-ouest du Yémen, près de la ville portuaire de Moka sur la mer Rouge, Taïz est la troisième ville la plus peuplée du pays. Elle est devenue le théâtre de violences quelques semaines après le déclenchement du conflit dans le pays en 2015. Depuis, il n’y a pratiquement pas eu un jour où les habitants de Taïz ont dormi paisiblement sans bombardements, coups de feu, attaques à la roquette ou frappes aériennes.

Les marques de balles et d’obus sur les maisons et les bâtiments effondrés à la suite de frappes aériennes racontent l’histoire de la destruction causée par cette guerre qui est entrée dans sa septième année. Après des années de combats intenses, la ligne de front de Taïz forme une cicatrice à travers la ville. Elle s’étend d’est en ouest, séparant Al-Houban, autrefois un quartier de Taïz, du reste de la ville. Jonchée de mines terrestres, la ligne de front qui scinde la ville est désormais un no man’s land surveillé par des tireurs embusqués. La capitale culturelle du Yémen s’est ainsi mérité un nouveau nom : la ville des tireurs embusqués.

Le technicien de laboratoire, Rashad Mansoor, prélevant un échantillon de sang d
Le technicien de laboratoire, Rashad Mansoor, prélevant un échantillon de sang d’Ahmad Muhammad Hasan pour les tests nécessaires avant un don de sang au laboratoire principal de l’hôpital Al Jamhouri soutenu par MSF dans la ville de Taïz, au Yémen. Nasir Ghafoor/MSF

 

Hesham, un habitant de la ville de Taïz, nous raconte l’incident dans lequel il a été victime d’un tireur embusqué. « J’étais en face de l’hôpital yéménite suédois, j’accompagnais ma fille qui souffre d’épilepsie. Je l’ai laissée avec sa mère pour aller emprunter de l’argent aux voisins. En sortant, j’ai été touché par un tireur embusqué à l’épaule gauche. Couvert de sang, j’essayais d’arrêter le saignement avec ma main quand j’ai marché sur une mine qui a explosé instantanément. J’ai perdu ma jambe dans l’explosion. Il n’y a aucun soutien, pas même un membre artificiel, avec lequel je pourrais bouger ou marcher. Il n’y a rien. »

Le centre-ville est coupé du reste du pays. La ville de Taïz est sous l’administration du gouvernement du Yémen internationalement reconnu, tandis que le côté nord de la ville se trouve dans la partie du gouvernorat de Taïz contrôlée par Ansar Allah.

Le trajet entre la ville de Taïz et Al-Houban, qui prenait 10 minutes avant le conflit, nécessite maintenant environ cinq à six heures pour éviter la ligne de front. Les gens parcourent des kilomètres à travers les montagnes avant de rebrousser chemin dans la même direction qu’ils sont venus, juste pour atteindre une zone qu’ils peuvent voir depuis leur toit par temps clair. Cela a largement restreint les mouvements des gens; les déplacements entre les deux quartiers sont désormais coûteux, longs et épuisants.

 

Augmentation du prix des produits de première nécessité

 

Comme dans n’importe quelle autre partie du Yémen, le conflit à Taïz a engendré des défis économiques importants : les prix de la nourriture et d’autres articles de première nécessité ont bondi, maintenant jusqu’à 500 fois plus cher qu’avant le début des combats. En parallèle, le pouvoir d’achat de la population a diminué. Les employés du gouvernement, en particulier les travailleurs de la santé en poste dans les hôpitaux publics, sont rarement payés, ce qui a entraîné la fermeture de plusieurs établissements médicaux.

« Je travaille comme infirmier pédiatrique à l’hôpital Al-Thura de Taïz. Je ne reçois pas de salaire régulièrement, alors j’occupe un deuxième emploi de nuit dans un hôpital privé. Les prix des denrées alimentaires et de tout sont si élevés que mes deux salaires ne suffisent pas pour avoir une bonne vie », explique Ahmad, dont le village n’est qu’à huit kilomètres de la ville de Taïz, un voyage qui lui demande maintenant quatre heures pour éviter la ligne de front. « La situation était bonne avant la guerre. Il était facile de voyager à tout moment sans crainte et à un prix abordable. Maintenant, les principales routes sont fermées. »

Le système de santé n’a pas pu échapper aux conséquences de la guerre. Plus de la moitié des structures médicales publiques du Yémen sont totalement ou partiellement non fonctionnelles. Certaines de celles qui sont ouvertes sont sur le point de fermer, faute de médicaments, de personnel et de fonds. Par ailleurs, le système de santé privé n’est pas abordable pour les personnes qui ont déjà du mal à acheter de la nourriture.

 

MSF au Yémen

 

 

Hanan Rasheed Abdu Ali, 40 ans, a été admise au service postopératoire après avoir accouché de son troisième enfant par césarienne à la maternité de l’hôpital d’Al-Jamhouri soutenue par Médecins Sans Frontières (MSF) dans la ville de Taïz. Comme ses deux accouchements précédents s’étaient faits par césarienne, elle savait dès le premier jour de grossesse qu’une autre intervention chirurgicale était inévitable.

Hanan vit avec son mari à Aden, à sept heures de route de la ville de Taïz. Néanmoins, Hanan a parcouru tout le chemin depuis Aden jusqu’à Taïz pour donner naissance dans un établissement médical soutenu par MSF. Elle n’avait pas d’autre choix, car son mari n’avait pas les moyens de payer le coût élevé d’une césarienne, que ce soit dans un hôpital public ou privé.

 

 

Methaq, sage-femme, vérifie la tension artérielle d
Methaq, sage-femme, vérifie la tension artérielle d’une femme enceinte, Wafa Muhammad Abdullah, à la maternité soutenue par MSF à l’hôpital Al-Jamhouri de la ville de Taïz, au Yémen.Nasir Ghafoor/MSF

 

« Nous avons entendu dire que MSF aidait les gens et leur donnait tout gratuitement. Alors, je suis venue dans la ville de Taïz pour accoucher », explique Hanan. « La guerre a détruit les maisons. Les établissements d’enseignement et les hôpitaux se sont effondrés. Nous sommes sans électricité et sans salaires, et les prix des denrées alimentaires ont augmenté. Ceux qui ne sont pas morts de guerre sont morts de faim ».

« Comme les hôpitaux sont fermés, il est devenu difficile pour les gens d’acheter des médicaments. Beaucoup de gens sont morts parce qu’ils n’ont pas pu obtenir de médicaments. Les hôpitaux privés ne sont pas une option, car leurs prix sont élevés. Des mères sont mortes car elles n’ont pas pu se faire soigner. »

Les habitants de Taïz sont largement tributaires du soutien fourni par les acteurs humanitaires. MSF soutient les services de santé depuis début 2016, quelques mois après le début du conflit en 2015.

En 2020, après une évaluation approfondie de plusieurs établissements médicaux et des discussions avec des patients, groupes communautaires et interlocuteurs clés, MSF a identifié les services de santé reproductive de niveau secondaire gratuits et spécialisés comme l’un des principaux besoins de la population de la ville de Taïz. Chaque mois, les équipes de la maternité de l’hôpital Al-Jamhouri, désormais soutenue par MSF, assistent environ 350 accouchements et admettent 50 nouveau-nés à l’unité de soins néonatals spécialisés. Plus de 1 500 femmes y sollicitent mensuellement des services prénatals ou postnatals.

 

Soins neutres et impartiaux

 

« MSF reste déterminée à répondre aux besoins médicaux urgents de la population de Taïz. Nous travaillons des deux côtés de la ligne de front, en fournissant gratuitement des soins maternels et néonatals de qualité, ce qui est l’un des plus grands besoins de la région », déclare Emilio, coordonnateur de projet MSF.

« Nous recevons des patientes de régions éloignées. Les femmes voyagent pendant des heures pour atteindre la ville de Taïz et solliciter nos services, car elles n’en ont pas à proximité de leur domicile. Compte tenu des restrictions de voyage et des itinéraires difficiles, beaucoup ne peuvent pas atteindre Taïz ou aller ailleurs. »

 

Emilio Albacete est coordonnateur de projet pour MSF dans la ville de Taïz au Yémen.
Emilio Albacete est coordonnateur de projet pour MSF dans la ville de Taïz au Yémen.Nasir Ghafoor/MSF

 

Coupée en deux par une ligne de front, la ville de Taïz n’est pas sécuritaire et est difficilement accessible pour le reste du pays. Cela complique la provision d’assistance par les acteurs humanitaires, mais il faut continuer.

« Il est urgent de renforcer le système de santé dans le gouvernorat de Taïz, qui est très populeux. Nous exhortons les acteurs humanitaires à soutenir les établissements de soins de santé primaires pour permettre aux femmes d’obtenir des soins près de chez elles. »

Comme Taïz est densément peuplée, le conflit a infligé des dommages catastrophiques à la ville. En tant que plaque tournante sur les plans économique, éducatif et sanitaire pour la région, le siège de Taïz a créé un effet de ruissellement négatif non seulement sur la ville et le gouvernorat, mais aussi sur les zones environnantes.

Les dommages tangibles causés à la ville sont énormes et, sans espoir d’un avenir meilleur, le conflit persistant est en train de créer une catastrophe de santé mentale au sein de la population.

« Je souhaite que mes enfants aient une vie meilleure. Je prie pour des jours meilleurs, mais je ne pense pas que la vie du peuple yéménite s’améliorera. Je n’ai aucun espoir », dit une mère.