Alléger les souffrances face à la guerre – 2e partie
« Je continuerai de soutenir les gens qui sont affectés par cette guerre brutale. »
Vous vous souvenez de moi? Je suis le Dr Mohamed Bashir, ancien coordonnateur médical adjoint de MSF au Soudan. J’ai déjà écrit un article, Alléger les souffrances face à la guerre, dans lequel je partageais mon expérience directe de la guerre civile non seulement comme médecin humanitaire, mais aussi comme Soudanais.
Je travaille toujours pour MSF, mais je suis maintenant affecté au Soudan du Sud, de l’autre côté de la frontière. Bien que je sois physiquement loin, les effets des conflits sont omniprésents. Je le constate à chaque bulletin de nouvelles, quand je compare les ravages dont j’entends parler avec les gros titres de l’actualité mondiale qui semblent ne pas les remarquer.
Le Soudan et son peuple en souffrance ont été relégués au second plan des priorités mondiales. Ils sont oubliés par les médias, négligés par la volonté politique et ignorés par les institutions donatrices humanitaires qui devraient pourtant placer cette catastrophe au premier plan. Je me demande : que puis-je faire en tant qu’individu? Ma détermination est claire : je continuerai à soutenir celles et ceux qui sont broyés par cette guerre brutale.
Ici, au Soudan du Sud, beaucoup de nos patientes et de nos patients sont des Soudanais de retour au pays qui ont été déplacés deux fois en l’espace d’une dizaine d’années. Des milliers de personnes réfugiées soudanaises ont également traversé différentes régions du Soudan du Sud, dispersées dans des communautés d’accueil ou entassées dans des camps de personnes réfugiées.
Je connais cette douleur
Cette guerre continue de nous tourmenter, détruisant des familles. Les gens qui fuient le Soudan partagent les mêmes histoires de pertes, d’incertitude et d’espoir de paix qui s’estompe. Je connais trop bien cette douleur.
Les frontières internes et les lignes de front contrôlées par les parties en conflit ont découpé une nation où des vies sont perdues, des maisons saccagées et des moyens de subsistance anéantis.
Quant au peuple, nous, on nous a abandonnés.
Ma famille a fui Khartoum avec des millions de personnes déplacées non pas une, mais plusieurs fois en l’espace de 18 mois. Ils ont tout laissé derrière eux, sans plan clair pour survivre et avec peu d’attention de la part du monde. Ma famille souffre toujours de la disparition d’un de nos proches, un civil enlevé chez lui par une partie belligérante il y a plus de 10 mois. Nous n’avons aucune nouvelle de lui, aucune information sur son état de santé ou sur la possibilité qu’il soit un jour libéré.
Même pour les gens qui échappent à la violence ou qui se retrouvent après une séparation, de nouveaux défis surgissent – inondations, épidémie, alors que le système de santé s’est effondré. La plupart des hôpitaux sont détruits. Ceux qui fonctionnent encore sont privés de médicaments, de personnel et de ressources. Il s’agit d’une privation délibérée, d’une cruelle tactique de guerre.
Survivant avec le strict minimum, les gens attendent un miracle, de nouveaux déplacements ou, pire encore, la mort.
Ne détournez pas le regard
Malgré tout, je suis ici pour parler de notre résilience. En tant qu’humanitaires – médecins, logisticiens et logisticiennes, infirmières et infirmiers –, nous faisons tout ce que nous pouvons pour soutenir les personnes qui en ont besoin. Chaque petit geste et chaque intervention comptent.
C’est exactement ce que j’ai fait ces derniers mois à Twic, en tant que référent médical de projet de MSF à l’hôpital du comté de Mayen Abun.
La région était déjà submergée par les besoins humanitaires, ayant déjà été témoin du déplacement interne de milliers de personnes du Soudan du Sud, déracinées en raison des violences intercommunautaires à Agok en 2022. C’est un endroit où le système de santé s’est effondré, accablé par le paludisme, l’hépatite E et la malnutrition.
Le travail effectué ici ouvre une fenêtre sur une autre dimension de la guerre dans mon pays. Je vois de mes propres yeux les conditions désastreuses auxquelles font face celles et ceux qui ont été contraints de fuir le Soudan. Ce qui m’étonne encore plus, c’est à quel point cette crise reste négligée : le monde connaît bien peu de choses sur le déplacement des gens du Soudan vers le Soudan du Sud, le Tchad et d’autres pays, malgré les besoins énormes des familles en quête de refuge.
Nous vivons dans une époque de crises croissantes, qu’elles soient d’origine humaine ou environnementale. Les conséquences des guerres d’aujourd’hui, dans différents lieux et contextes, sont presque trop tragiques pour être comprises.
Dans ce contexte, je lance un appel au monde entier : ne laissez pas le Soudan échapper à votre attention. Parfois, on a l’impression que personne ne s’en soucie, que le Soudan a été délibérément relégué au second plan par les institutions décideuses internationales, au profit d’autres crises. Combien de temps encore pourrons-nous tolérer cette inaction?
À propos du Dr Bashir
Le Dr Bashir a travaillé dans plusieurs projets de MSF au Soudan, notamment en supervisant les activités médicales dans les hôpitaux Umdawanban et Alban Aljadeed, soutenus par MSF, dans l’État de Khartoum. Il a également joué un rôle clé au sein de l’équipe soignante du camp pour personnes réfugiées dans l’État d’Al Gedaref, où MSF a délivré 40 000 consultations externes en 2023. En outre, il était responsable de la gestion des urgences sanitaires, comme la réponse de MSF à une épidémie de choléra en 2023.
Actuellement, le Dr Bashir travaille avec MSF dans l’État de Warrap, au Soudan du Sud, où nos équipes fournissent des soins complets dans le comté de Twic et la ville d’Abyei dans plusieurs installations. Elles soutiennent aussi les sites de prise en charge communautaire intégrée dans les camps de personnes déplacées.
Le travail de MSF au Soudan du Sud
MSF continue de collaborer avec le ministère de la Santé du Soudan du Sud dans le cadre des activités chirurgicales et des structures médicales d’urgence dans la seule installation de soins de santé secondaires de la zone administrative spéciale d’Abyei.
En raison des violences intercommunautaires en cours au Soudan du Sud et du bilan de la guerre au Soudan, les équipes de MSF à Abyei et Twic gèrent un afflux constant d’interventions chirurgicales liées à la violence.
De janvier à juin 2024, MSF a mené 16 885 consultations d’urgence et réalisé 1 914 opérations chirurgicales. Parmi celles-ci, 815 patients ont nécessité des soins en traumatologie violente, notamment des blessures causées par des balles ou des explosions, ou bien par des coups de couteau.
Malgré ces efforts, on constate toujours une pénurie importante de soins hospitaliers dans cette région, ainsi qu’une capacité chirurgicale et une disponibilité des salles d’opération limitées.