Nigéria : répondre simultanément à la malnutrition et à ses conséquences sur la santé mentale
L’équipe de santé mentale de MSF adopte une approche holistique pour offrir un soutien aux enfants et à leurs proches.
Chaque année, des millions d’enfants à travers le monde souffrent de malnutrition. Cette condition se reconnaît à leurs corps frêles et leurs regards fatigués. Cependant, ce qui est souvent moins visible, mais tout aussi dévastateur, ce sont les blessures psychologiques que la malnutrition inflige aux enfants et à leurs proches.
Ces dernières années, l’augmentation du nombre d’enfants admis pour le traitement de la malnutrition dans les programmes nutritionnels de MSF constitue une tendance préoccupante. Dans les 12 centres de nutrition thérapeutique pour les personnes hospitalisées et les plus de 30 centres de nutrition thérapeutique ambulatoires soutenus par Médecins Sans Frontières (MSF) dans sept États du nord du Nigéria, les équipes sont souvent débordées.
« La malnutrition est une maladie qui n’affecte pas seulement l’enfant physiquement. Elle a également des répercussions psychologiques, émotionnelles et comportementales. »
– Kauna Hope Bako, responsable des activités de santé mentale chez MSF à Bauchi
Rien qu’en 2024, plus de 300 000 enfants dénutris ont été traités dans les États de Zamfara, Kano, Katsina, Kebbi, Bauchi, Borno et Sokoto. Cela représente une augmentation de 25 % par rapport à 2023. Ces hospitalisations s’accompagnent de blessures psychologiques qui affectent la santé mentale des enfants et de leurs proches. De leur admission à leur sortie de l’hôpital, ils traversent ensemble tout un cycle d’émotions.
Kauna Hope Bako est responsable des activités de santé mentale chez MSF à Bauchi. Elle et son équipe s’efforcent de briser ce cycle, tout comme dans d’autres sites au Nigéria. Leur approche prend en compte que la malnutrition n’est pas seulement une urgence médicale, mais aussi une urgence psychologique.

Le tribut caché de la malnutrition
« La malnutrition est une maladie qui n’affecte pas seulement l’enfant physiquement », explique Kauna Hope Bako. « Elle a également des répercussions psychologiques, émotionnelles et comportementales. »
Les enfants souffrant de malnutrition deviennent souvent irritables, renfermés et apathiques. Parce qu’ils ont du mal à marcher, à parler ou à interagir avec leur environnement, ils peuvent passer à côté d’étapes clés de leur développement.
La souffrance émotionnelle est bien réelle.
« L’enfant se sent détaché, triste de ne pas pouvoir jouer comme les autres enfants, et il essaie de comprendre ce qui lui arrive », poursuit Kauna Hope Bako. « Il souffre énormément et subit un stress important, non seulement à cause de la malnutrition, mais aussi à cause des autres maladies qui l’accompagnent souvent. »
« Il est important que nous prenions soin non seulement de l’enfant, mais aussi de ses proches. Si la mère n’est pas capable de prendre en charge son propre stress, celui-ci peut inconsciemment se répercuter sur l’enfant. »
– Kauna Hope Bako, responsable des activités de santé mentale chez MSF à Bauchi
La santé mentale et la malnutrition sont étroitement liées. D’un côté, la malnutrition peut entraîner des problèmes émotionnels et cognitifs chez les enfants. De l’autre, des facteurs traumatisants tels que la négligence, un environnement familial violent ou le manque d’amour peuvent entraîner des souffrances psychologiques et contribuer à la malnutrition.
« Ce sont les deux faces d’une même médaille », explique Kauna Hope Bako. « La malnutrition peut entraîner des problèmes de santé mentale, et les problèmes de santé mentale peuvent entraîner la malnutrition. »
Les expériences menées au Niger et au Nigéria ces dernières années ont montré que l’intégration des activités de psychoéducation contribue à l’amélioration de l’état de l’enfant. On constate une prise de poids plus rapide et la réduction de la durée du séjour dans les centres nutritionnels pour personnes hospitalisées. Ces activités contribuent également à l’amélioration du bien-être des proches de l’enfant.

Le fardeau porté par les proches
Les conséquences de la malnutrition ne se limitent pas à l’enfant. Les mères et les proches, qui sont souvent leur principale source de soutien, sont confrontés à un stress et à une tension émotionnelle immenses.
« Au triage, les émotions les plus présentes sont l’anxiété, le stress et la peur », explique Kauna Hope Bako. « La personne qui accompagne l’enfant n’est pas vraiment à l’aise. Elle est inquiète. »
De plus, beaucoup de proches se sentent impuissants, frustrés, voire honteux, se reprochant parfois l’état de santé de leur enfant.
« Il est important que nous prenions soin non seulement de l’enfant, mais aussi de ses proches », poursuit-elle. « Si la mère n’est pas capable de prendre en charge son propre stress, celui-ci peut inconsciemment se répercuter sur l’enfant. »
Briser le cercle vicieux
L’équipe de santé mentale de MSF utilise une approche holistique pour offrir un soutien à la fois aux enfants et aux personnes qui en prennent soin. Tous les hôpitaux soutenus par MSF au Nigéria disposent d’une salle de jeux où les mères ou les proches et les enfants se rencontrent chaque jour pour des séances d’éducation en santé mentale.
Voici quelques exemples de leurs activités quotidiennes :
- Séances de stimulation psychologique : à l’aide de jeux, de couleurs, de sons et de massages doux, ces séances aident les enfants à retrouver les compétences développementales perdues et à renforcer les liens affectifs avec leurs proches.
- Psychoéducation : les familles et les proches apprennent l’impact psychologique de la malnutrition, la façon dont leur propre bien-être affecte le rétablissement de l’enfant ainsi que des techniques de gestion du stress.
- Groupes de soutien : les familles et les proches partagent leurs expériences, leurs stratégies d’adaptation et de soutien émotionnel, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance communautaire et la résilience.
- Activités récréatives : ces séances offrent aux familles, aux proches et aux enfants une occasion de se détendre et de se distraire du stress de la vie à l’hôpital.
- Consultations individuelles : pour les personnes en situation de détresse aiguë, un soutien individuel est offert.
Reconnaissant le rôle des pères, l’équipe organise également des séances pour les hommes afin de les éduquer et de les encourager à soutenir émotionnellement les mères. Ces séances leur apprennent à prendre des décisions éclairées concernant les soins de leurs enfants.